
Emmanuel Macron a fait de la future loi sur le travail un des piliers de son chantier des « cent jours », conçu pour tourner la page de la réforme des retraites. Au menu de ce texte figurera la réforme du revenu de solidarité active (RSA). Comme promis pendant la campagne de 2022 par le président-candidat, le futur RSA pourrait instaurer « l'obligation de consacrer 15 à 20 heures par semaine à une activité facilitant l'insertion professionnelle » pour les allocataires.
Une expérimentation est déjà menée en ce sens par 18 départements de métropole. En échange de fonds supplémentaires de l'Etat, les conseils départementaux de l'Eure, des Pyrénées-Atlantiques ou encore du Nord doivent mieux suivre les bénéficiaires en leur proposant des formations, des stages en entreprise et autres activités susceptibles de les rendre plus employables. Si ces derniers ne respectent pas les engagements qu'ils ont pris pour percevoir le RSA, l'allocation peut être suspendue voire retirée, comme le prévoit en théorie la loi.
A gauche, on s'offusque de ces contreparties. Le président du département de Seine-Saint-Denis a claqué la porte de l'expérimentation, refusant toute conditionnalité du RSA qu'il considère comme un « droit fondamental ».
Alors, faut-il conditionner l'accès au RSA ?
A sa création en 2008, l'idée était louable : lutter contre la grande pauvreté et aider à l'insertion sociale des bénéficiaires. 15 ans plus tard, l'échec du RSA est patent. « A défaut d'un engagement fort de l'ensemble des acteurs, le RSA risque d'évoluer vers une simple allocation de survie, marquant l'échec des ambitions affichées lors de sa création », concluait la Cour des comptes en 2022. Il est venu le temps des droits et des devoirs.
Les chiffres sont têtus. La grande pauvreté croît chez les jeunes de 25 ans et plus : 1,3 million de bénéficiaires du RSA en 2008 et presque 2 millions en 2022. Sans compter les 30% qui pourraient être éligibles à cette allocation mais qui ne le savent pas. Si la tendance de cette augmentation de 53% s'est atténuée après le Covid, elle ne saurait gommer la réalité du quotidien.
Le deuxième pilier du « grand frère » du RMI n'est pas plus réjouissant. La promesse d'encourager le retour à une activité professionnelle a fondu comme neige au soleil. 7 ans après leur entrée au RSA, seul un tiers des bénéficiaires en est sorti, et seul un tiers est en emploi stable.
A cela trois raisons majeures -sans généraliser le propos, avec discernement, j'insiste- : une allocation entre 600 et 1300 euros sans réelle contrepartie, ni formalisée, ni sérieusement contrôlée ; une faiblesse de l'accompagnement ; un accès difficile à l'emploi qui compromet la promesse centrale du dispositif de faire des revenus du travail le principal rempart contre la pauvreté.
Comment en vouloir à ces Français de classe moyenne qui nous récitent chaque jour le poème sur « l'intérêt de rester chez soi plutôt que d'aller travailler » ? On ne peut leur donner tort. Aujourd'hui encore, un bénéficiaire du RSA et de l'allocation retour à l'emploi gagne davantage en restant chez soi qu'un travailleur au SMIC sur le terrain (1489 euros contre 1329 euros).
Que dire de la fraude qui en découle ? Le RSA est le dispositif social le plus fraudé. Entre les omissions frauduleuses et les fausses déclarations, le montant est estimé à 350 millions d'euros.
Il est venu le temps du contrat gagnant/gagnant, le temps de la réciprocité entre les droits et les devoirs. Ici comme ailleurs. C'est le sens des mesures annoncées. Une contrepartie de 15 à 20h par mois autour de formations professionnelles, accompagnement vers un logement, travail dans des collectivités.... Avec un meilleur accompagnement et un contrôle systématisé, sanctions à la clé pour les contrevenants : de la suspension à la suppression des indemnités (là encore avec discernement).
La mise sous respiration artificielle de 15 milliards d'euros par l'Etat et les départements chaque année - coût du RSA - n'a malheureusement jamais débouché sur un meilleur bulletin de santé de ceux qui en bénéficient. Mais elle continue de creuser son déficit... Le R de Revenu est le fruit d'un travail, le A de Active est le contraire de passive. Le RSA doit rester un CDD de survie et non un CDI à vie. Elle est là, la justice et la justesse sociale que notre pays doit désormais insuffler.
Le principe des « 15 à 20 heures d'activité » qui deviendraient obligatoires pour les allocataires du RSA est énormément redouté par eux pour son caractère aveugle et punitif. En fait, il a deux sens bien différents. C'est d'abord une stratégie électoraliste. Cette première signification s'est aggravée : le Président de la République, sans majorité stable au parlement pour la réforme du RSA, recherche des voix de droite, voire d'extrême-droite.
L'autre sens, bien sûr rationnel, c'est l'accompagnement de qualité des allocataires : le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion (CNLE) a demandé en 2021 que l'accompagnement, individualisé, soit universel, ce qui est loin d'être le cas. Tous les experts le savent, y compris la Cour des Comptes.
La question de l'efficacité et de la légitimité de la réforme du RSA, mais aussi des autres minima sociaux, de l'insertion sociale et professionnelle des personnes en graves difficultés pour trouver de l'emploi et qui n'ont qu'un « revenu de survie », existe partout en Europe dans des termes comparables. Dans le pays le plus efficace, à très forte cohésion sociale, je parle ici du Danemark, les succès des politiques d'insertion sont mitigés. C'est la même chose en Allemagne, qui a une politique bien plus accueillante aux souhaits des bénéficiaires. Les autres pays ne font pas tous comme la France en 2023.
La solution n'est pas de menacer, mais d'investir et de former. Trois points sont essentiels. Le plus grave est pointé par la Cour des Comptes, qui n'a pas osé aller jusqu'au bout de ses constats de 2022 : c'est le financement. On ne peut contribuer efficacement et légitimement à l'insertion sociale et professionnelle des allocataires des minima sociaux sans un financement très conséquent (le rapport France Travail ne prévoit que moins de 3 milliards d'euros sur 5 ans). Or, depuis 1988, l'État central n'a jamais payé sa part, remboursant très mal les dépenses des départements et ne prévoyant pas de mécanisme responsable de financement partagé avec eux, ce qui existe à l'étranger.
Ensuite, l'insertion professionnelle de millions de personnes demande des investissements qui n'ont jamais été vraiment faits en France. Cela relève aussi et surtout de la création d'emplois de qualité. Une des questions majeures est l'accès des personnes peu formées et pauvres à la formation. Cette question a une place mineure dans le rapport de « France Travail », qui considère les jeunes, les chômeurs et les allocataires comme une vaste population indifférenciée à placer. Mais « placer », c'est l'art difficile de placer des individus, non un algorithme informatique. Enfin, tous les experts savent que le rôle des sanctions est mineur, alors que la démagogie la met en avant. Il faut se centrer sur le fond.