
« 100 à 230 euros net » par mois pour tous, et « jusqu'à 500 euros » pour les volontaires qui accepteront de nouvelles missions. L'annonce faite par Emmanuel Macron le 20 avril aux 850.000 professeurs de l'Education nationale fait suite à sa promesse de campagne d'une hausse de 10% des salaires pour tous les enseignants.
L'augmentation inconditionnelle, bien que le montant soit critiqué, est saluée, mais le principe de travailler davantage pour être mieux payé suscite l'ire des syndicats d'enseignants, hostiles également au principe qu'un professeur enseigne deux matières comme en Allemagne.
Alors, faut-il que les professeurs travaillent plus pour gagner plus ?
La revalorisation des enseignants était indispensable. Si celle annoncée par le Président de la République est substantielle, elle demeure toutefois insuffisante. Elle ne compense ni l'inflation, ni la longue dévalorisation subie par le métier en comparaison des rémunérations des agents des autres ministères ou même de celles des professeurs des autres pays européens. Nous n'échapperons donc pas à d'autres augmentations, aussi nécessaires que méritées.
Pourquoi ne pas repenser le système en proposant une rémunération supplémentaire aux professeurs volontaires contre des tâches nouvelles ? Il ne s'agirait pas de les généraliser bien sûr mais d'offrir cette possibilité aux enseignants qui en ont l'envie ou le besoin, à un moment de leur vie personnelle ou professionnelle. Cela reviendrait tout simplement à étendre un dispositif qui existe déjà dans les faits.
En effet, certaines missions supplémentaires donnent déjà lieu à des primes, à l'instar de la responsabilité de professeur principal d'une classe ou de référents thématiques ou techniques en charge de l'informatique, de l'orientation et de la laïcité. D'autres initiatives, au contraire, ne donnent lieu à aucune rémunération supplémentaire, à l'image des sorties pédagogiques ou des voyages scolaires qui sont pourtant particulièrement chronophages.
Il importe donc de recenser l'ensemble des tâches accomplies par les professeurs et qui s'ajoutent aux heures d'enseignement. Il me paraît important d'observer quelles missions pourraient nécessiter un revenu supplémentaire. Or, en l'état, ce recensement n'existe pas.
Au vu des nombreuses auditions et des différents entretiens que j'ai menés dans le cadre de la préparation de mon rapport sur le métier d'enseignant, je peux affirmer que nous trouverons des volontaires pour assumer ces tâches et ces responsabilités supplémentaires, ô combien nécessaires au bon fonctionnement des établissements.
Quant à l'enseignement de deux disciplines, souvent pratiqué à l'étranger, je sais qu'il existe une levée de boucliers des syndicats, offusqués d'une telle proposition. Pourtant, la « bivalence » est déjà possible dans les lycées professionnels et l'était auparavant dans l'enseignement général. Aujourd'hui, la loi ne l'autorise plus ; c'est une absurdité. Le cursus étudiant de certains professeurs leur permettrait tout à fait d'assumer cette bivalence, en dispensant à la fois des cours de lettres et d'histoire géographie ou de mathématiques et de physique-chimie par exemple.
Au-delà, le pacte proposé par Emmanuel Macron ne doit pas s'articuler autour d'un unique volet financier. Car la rémunération n'est qu'un élément parmi d'autres pour restaurer l'attractivité du métier d'enseignant et ce ne sont pas quelques centaines d'euros de plus par mois, aussi appréciables soient-elles, qui attireront davantage de candidats aux concours. Il faut une vision plus large de la profession, de ses difficultés et de ses attentes si nous voulons que le métier d'enseignant renoue enfin avec ses lettres de noblesse.
L'enjeu majeur est notamment de soigner l'entrée dans le métier. Le début de carrière décourage, entraîne des démissions et explique la chute des inscriptions aux concours. Les jeunes professeurs subissent un véritable bizutage institutionnel, en particulier lorsqu'ils sont envoyés dans les établissements les plus difficiles, les territoires les plus enclavés et dans les académies les plus éloignées de celles où ils ont passé leur concours. Il faut rompre avec cette pratique qui est pour moi un élément déterminant de la crise d'attractivité du métier.
Enfin, il faut redonner aux professeurs leur place et leur autorité dans la société, rompre avec une école où la parole du professeur vaut celle de l'élève. Comme je le dis fréquemment, l'estrade où siège le maître doit être rétabli, même si ce rétablissement est purement symbolique. C'est bien du haut de son estrade, même virtuel, que le maître transmet les savoirs, rôle premier de l'Ecole.
Le ministre de l'Éducation nationale, Pap Ndiaye, fait claquer les chiffres : 3 milliards d'euros pour les enseignants. Pourtant, derrière les chiffres, il y a les faits et ils sont têtus. Le ministre promet un socle et un pacte. Pour le socle, le diable se niche dans les détails. Passons sur le fait que le Pap N'Diaye annonce 2 milliards d'euros d'augmentations sans condition quand, pendant les discussions, il fut question de 1,9 milliard d'euros. Une question d'arrondi nous dit-on rue de Grenelle...
Cette somme va permettre d'augmenter les revenus des enseignants sous forme de primes. La précision est de taille car les primes ne comptent pas pour la retraite. Surtout, ces sommes ne compensent pas ce que les professeurs ont perdu ces dernières années : 15 à 25% de pouvoir d'achat en 20 ans. Ce déclassement salarial pèse lourdement sur le recrutement : tout le monde se souvient des job dating de la dernière rentrée.
Les promesses d'Emmanuel Macron ne sont pas plus tenues. Dans le débat de l'entre deux tours, il garantissait 10% d'augmentation pour tous les professeurs, sans contreparties, dès janvier 2023. Le Snes-Fsu a sorti sa calculatrice, estimant sur la base des documents budgétaires qu'il faudrait 3,6 milliards pour réaliser la promesse du candidat Macron. La hausse ne sera donc pas pour janvier 2023 mais septembre et pas égale à 10% pour tous. Le président précise que ce sera 10% en moyenne. Pourtant, les derniers chiffres du ministère laissent à penser que ce sera même 5,5% en moyenne entre septembre 2022 et septembre 2023. Moins que l'inflation !
Or, le besoin de recrutement est urgent : 380 000 embauches d'enseignants nécessaires dans le premier et le second degré d'ici 2030 selon la Dares. Certes, plus un seul enseignant ne commencera en dessous de 2000 euros. Mais comment espérer un choc d'attractivité quand les perspectives d'augmentations futures ne couvrent même pas l'inflation ? Ces mesures sont clairement insuffisantes.
Et puis il y a le pacte : de nouvelles tâches pour être mieux rémunérés. Il ne s'agit pas de revalorisation mais d'être payé pour des activités. Rien de disruptif. Parler de « travail en plus pour les enseignants » agite aussi l'idée tenace que les profs n'en feraient pas assez. Idée tenace, mais idée reçue ! Les chiffres du ministère sont édifiants. Une enquête du ministère parue cet automne montre que près d'un enseignant sur deux travaille plus de 43h par semaine et que la moitié des enseignants travaille 34 jours (entre six et sept semaines) pendant leurs vacances. Les enseignants sont aussi moins absents que la moyenne du privé comme du public.
Ce pacte du « travailler plus pour gagner plus » a des « airs de travailler plus pour s'épuiser plus ». Déconnectée de la réalité, cette mesure ne prend pas en compte l'épuisement de nos professions. Comment penser que c'est ainsi qu'on retiendra les professeurs qui songent à démissionner ? Sans enseignants bien payés, considérés et respectés, notre école n'a pas d'avenir.
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