Pour ou contre : y a-t-il une urgence budgétaire à réformer les retraites ? (Philippe Trainar face à Thomas Porcher)

LE DÉBAT DE LA TRIBUNE – Le gouvernement justifie la réforme des retraites par la nécessité de rétablir l'équilibre du système structurellement déficitaire. Un argument que contestent les syndicats et la NUPES mais aussi une partie des économistes pour qui l'équilibre du régime n'est pas menacé. « Y a-t-il une urgence budgétaire à réformer les retraites ? », c’est le thème de ce nouveau débat organisé par La Tribune, qui oppose Thomas Porcher, professeur à Paris School of Business, membre des économistes atterrés, auteur de « Mon dictionnaire d'économie » (Ed. Fayard), et Philippe Trainar, professeur titulaire de la chaire assurance du CNAM, membre du cercle des Economistes.
Philippe Trainar, professeur titulaire de la chaire assurance du CNAM, membre du cercle des Economistes, et Thomas Porcher, professeur à Paris School of Business, membre des économistes atterrés, auteur de « Mon dictionnaire d'économie » (Ed. Fayard).
Philippe Trainar, professeur titulaire de la chaire assurance du CNAM, membre du cercle des Economistes, et Thomas Porcher, professeur à Paris School of Business, membre des économistes atterrés, auteur de « Mon dictionnaire d'économie » (Ed. Fayard). (Crédits : Reuters)

C'est le premier argument brandi par le gouvernement pour justifier sa réforme des retraites. « Sans cette réforme, notre système de retraite accumulera durablement des déficits : 12 milliards d'euros en 2027, 14 milliards d'euros en 2030 et 21 milliards d'euros en 2035 », est-il écrit dès les premières lignes du dossier de présentation du projet. Si elle ne se fait pas, « 500 milliards d'euros de dette sur les 25 ans à venir »,  attendent la France, ne cesse de marteler le ministre du Budget, Gabriel Attal, pour qui « il y a urgence à sauver notre système de retraites ».

L'exécutif s'appuie sur les chiffres du Conseil d'orientation des retraites (COR), organisme indépendant mais rattaché à Matignon, que conteste l'opposition. Ainsi, la NUPES et les syndicats unanimement hostiles à cette réforme clament-ils, à l'image du secrétaire général de la CGT Philippe Martinez, que « pour l'équilibre financier, il n'y a pas péril en la demeure ». Même son de cloche à la CFDT : « Le déficit projeté de 12 milliards d'euros pour 2027 ne représente en réalité que 3 % des dépenses
de retraites par an (s'élevant à 324 milliards). 
Un tel déficit ne met pas notre système en danger. » Le débat agite aussi les économistes, divisés entre ceux qui estiment que la réforme va mieux assurer la soutenabilité du système et d'autres qui jugent au contraire que le gouvernement se trompe d'objectif.

« Y a-t-il une urgence budgétaire à réformer les retraites ? » C'est la question du débat du jour de La Tribune.

Trainar

La réforme des retraites, sous le vocable de laquelle je mets le report de l'âge de départ à la retraite, l'avancement de l'allongement de la durée de cotisation et la fin des régimes spéciaux, est nécessaire pour maîtriser nos finances publiques. Certes, le Conseil d'Orientation des Retraites (COR) considère que notre système de retraite est à l'équilibre aujourd'hui et qu'il serait en déficit, à hauteur de 0,6% du PIB, en 2030.

Mais, en acceptant de considérer les cotisations sociales employeurs aux taux de 74,28% et 126,07%, respectivement pour les fonctionnaires civils et les fonctionnaires militaires, comme des cotisations de droit commun, le COR masque la réalité de nos finances sociales. Des taux de ce niveau n'ont rien d'assurantiel et constituent, de fait, des subventions d'équilibre déguisées. Sur la base du taux de cotisation normal du régime général des salariés (16,46%), les retraites des fonctionnaires et, par voie de conséquence, notre système de retraite sont en déficit implicite de 30 milliards d'euros, soit 1,2% du PIB.

Or, si l'on comblait sérieusement ce déficit des retraites, le niveau du déficit public serait ramené à celui de la zone euro, de l'Union Européenne, de l'OCDE et des Etats-Unis (compris entre 3,6% et 3,8%), pas très éloigné de celui de l'Allemagne (3,2%). Il est donc évident que la maîtrise de nos finances publiques, à court terme comme à plus long terme, passe par l'élimination du déficit de notre système de retraite. Mais, les options pour cela ne sont pas nombreuses.

Faire payer les riches ne rapportera pas grand-chose, au-delà du court-terme, puisque cela supposerait de leur imposer des niveaux de prélèvements qui les inciteraient soit à émigrer soit à réduire leur activité. En outre, il n'y a aucune légitimité, éthique ou économique, à redistribuer dans un système assurantiel en répartition qui est parfaitement en mesure de s'auto-financer sans hausse de cotisations. Ce qu'il faut, c'est s'attaquer au vrai problème structurel de la France, qui est à l'origine de ses problèmes tout-à-la-fois de chômage, de paiements extérieurs et de déficit public : nous ne travaillons pas assez. Quand on combine le taux d'activité des personnes en âge de travailler avec le taux d'emploi des actifs, la durée annuelle du travail et la durée de vie estimée à la retraite, il ressort que la France demeure le pays de l'OCDE où l'on travaille le moins (après le Danemark) et où l'on est le plus longtemps à la retraite. Il n'est pas étonnant que la France rencontre des difficultés à partager un gâteau rétréci.

La réforme conçue par le gouvernement n'est certainement pas parfaite mais c'est, après les réformes Balladur, Fillon et Touraine, un pas supplémentaire nécessaire dans la bonne direction pour corriger cette anomalie délétère. Il est urgent de l'adopter et de la mettre en œuvre. Notre espérance de vie en bonne santé (11 ans à 65 ans) est plus que largement suffisante pour nous permettre d'absorber sans problème cette réforme.

Porcher

D'abord il faut se méfier des prévisions à long terme. C'est un exercice extrêmement fragile qui repose sur l'extrapolation de la situation actuelle. Nous avons vécu ces cinq dernières années des épisodes comme le Covid-19 ou la guerre en Ukraine qui devraient nous faire relativiser toutes les prévisions à long terme. D'ailleurs, le COR, en 2013, prévoyait pour 2022 un déficit sur les retraites et nous sommes en excédent. Ensuite, le COR utilise plusieurs conventions et il est important de noter que pour faire passer sa réforme, le gouvernement utilise volontairement la plus catastrophiste celle dite d'EPR (équilibre permanent des régimes).

Or, dans la convention EEC (effort constant de l'Etat), les déficits se réduisent plus rapidement dans 3 scénarios sur 4. Par ailleurs, même dans ces prévisions, les déficits restent largement supportables, on est loin de la faillite. De plus, les chiffres sont volontairement donnés en milliards plutôt qu'en pourcentages rapportés aux PIB futurs et non au PIB présent. Le but est d'inquiéter les français pour imposer une réforme à laquelle ils sont majoritairement opposés.

Enfin sur l'argument principal pour justifier la réforme des retraites, le vieillissement de la population française qui rendrait notre système de retraite par répartition déficitaire : cet argument est faux parce que le choc démographique a déjà eu lieu. En 1970, il y avait 3 retraités pour 10 emplois alors qu'aujourd'hui il y en a 6 pour 10 emplois. Ce qui est censé tuer notre système de retraite est le passage à 7 retraités pour 10 emplois en... 2040. On comprend moins cet empressement à vouloir réformer aussi rapidement notre système. Surtout dans un pays où il y a 5 millions de chômeurs (qui pourraient potentiellement, s'ils trouvaient un emploi, contribuer aux financements des retraites).

D'ailleurs, comment avons-nous continué à financer notre système de retraite entre 1970 et aujourd'hui avec le vieillissement de la population ? Tout simplement en augmentant la part du PIB consacrée aux retraités qui est passé de 7,3% en 1970 à 14% aujourd'hui. Mais, en même temps, n'est-ce pas normal de consacrer une plus grosse partie des richesses produites au paiement des retraites si notre pays vieillit ? Que va-t-il se passer si les pensions diminuent ? Soit les personnes âgées vont devoir aller travailler, soit leurs enfants leur offriront un complément de revenu (quand ils le peuvent). Est-ce vraiment une situation idéale ?

Commentaires 7
à écrit le 19/01/2023 à 10:17
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Excédentaire en 2022, mais déficitaire de 18 milliards d'€, 2 ans plus tôt. Le coup "du choc démographique a déjà eu lieu" qu'aiment à marteler les économistes franchisés "atterrés" est clairement réfuté par Jean Hervé Lorenzi, fondateur du cercle ...

à écrit le 19/01/2023 à 9:06
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S'il y avait eu urgence, les pensions aurait été forfaitaire égale pour tous et les cotisations proportionnelles !

le 19/01/2023 à 10:43
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Communisme en somme !

à écrit le 19/01/2023 à 8:22
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«  11ans sans problème de santé à partir de65 ans » il parle pour sa caste … les ouvriers et employés ont l espérance de vie la moins élevée par rapport aux cadres/ cadre sup qui ont des retraites bien plus élevées et donc nous coûtent cher . La retr...

à écrit le 19/01/2023 à 8:10
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J’ai lu quelque part un commentaire de quelqu’un qui annonçait fièrement que même avec un âge légal de 64 ans la France allait être le pays européen où l’on allait partir à la retraite le plus tôt. FAUX, la France est le seul pays où l’âge légal sign...

à écrit le 19/01/2023 à 7:50
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Un économiste de gauche face à un de droite ,nul besoin de lire l'article pour savoir qui est pour ou contre la réforme. Ceci dit l'espérance de vie des femmes /hommes entre 1981 et 2021 a évolué comme suit; 1981: 78,5 ans(F) 70,4 ans(H) 2021: 85,...

le 19/01/2023 à 9:53
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"J'ajouterai que les sexagénaires nés dans les années 20 ont eu une vie plus dure que celle des de ceux nés dans les années 70 et qui seront concernés par la réforme." Bizarrement ,tu oublies qu'entre ces deux générations que tu cites ,il y a les ...

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