Il y a quelques années, Stéphane Fouks, le puissant patron d'Havas, l'agence de com' et de relations publiques omniprésente à Paris, avait prévenu : terminé le conseil politique, du moins officiellement. Et pourtant, chassez le naturel, il revient au galop. De fait, à quelques mois de l'élection présidentielle de 2022, la galaxie Havas est plus que jamais présente dans la vie politique et médiatique française. Le prix de l'influence.
À l'heure des tensions entre Vincent Bolloré et Emmanuel Macron, les questions se multiplient. Quand les proches du président de la République assurent depuis plusieurs mois, par offs interposés, que le grand patron breton verrait d'un bon œil la victoire de Marine Le Pen, les deux hommes ont finalement décidé de se voir à l'Elysée. Les entourages respectifs se demandent si les deux fauves ont trouvé un terrain d'entente.
Au centre de l'attention présidentielle : CNews et Europe 1, fraîchement rachetées par Bolloré. Mais qu'en est-il d'Havas et sa galaxie, contrôlée depuis 2005 par le magnat qui fait tant peur à la macronie ? Au sein du groupe Lagardère, cela fait longtemps que le communicant Ramzi Khiroun, ami de Cyril Hanouna, est devenu l'homme de confiance de Vincent Bolloré en matière de médias, au point de jouer un rôle clé dans le rapprochement des marques des deux groupes, et leurs équipes. Depuis 2017, Khiroun s'était plutôt fait discret en macronie, tout en gardant ses relais historiques (la fameuse « bande la Planche » de DSK, Grivaux, Emelien, etc...). Car au cours de la campagne présidentielle, Brigitte Macron avait préféré décliner fermement son offre de service. C'est dire si le château s'inquiète aujourd'hui de son action autour d'Europe 1...
Autre motif d'inquiétude : l'un des piliers d'Havas n'est autre que l'ancien directeur de cabinet à l'UMP de Xavier Bertrand, Michel Bettan. Ancien haut fonctionnaire converti aux relations publiques, le vice-président du pôle d'influence d'Havas, est en contact constant avec son ancien patron, requinqué par son score aux dernières élections régionales. À droite pourtant, la grande famille Havas n'a pas mis tous ses œufs dans le même panier.
On trouve ainsi, parmi les anciens de la maison, Jean-Marc Zakhia, comme conseiller de Valérie Pécresse, autre gagnante des régionales qui vise la présidentielle. De son côté, à Matignon, Jean Castex peut compter sur l'aide de Mayada Boulos pour essayer de faire décoller sa communication...
Le « en même temps » appliqué à l'influence
Bien avant Macron, Havas pratique donc le « en même temps » avec brio. Dans les couloirs du siège de l'agence à Puteaux, collé à la Tour Bolloré, on aime répéter cette boutade attribuée à Stéphane Fouks : « Avoir deux banques comme client, c'est un conflit d'intérêt. Avoir toutes les banques, c'est une expertise ». Et pour Havas, c'est un peu la même chose en politique. Et peu importe si l'actionnaire ne peut plus voir en pâture le président, ou vice versa.
C'est ainsi que le bébé Havas qu'est Ismaël Emelien, désormais libre de ses mouvements après avoir été le principal conseiller politique d'Emmanuel Macron, à Bercy puis à l'Elysée, continue de conseiller le chef de l'État à tout heure. Il ne cache pas à ses interlocuteurs qu'il consacre encore près d'un tiers de son temps à la préparation de la future campagne. Pour le business, il reste proche de son mentor, un autre personnage clé de la galaxie Havas, le communicant Laurent Obadia, spécialiste tout terrain, et proche historiquement de Stéphane Fouks, devenu le principal conseiller d'Antoine Frérot à Veolia. Seuls les initiés connaissent la proximité d'Obadia avec Emelien : chez Havas, les deux hommes ont travaillé ensemble par le passé, et le premier était également présent au mariage du second en octobre 2018.
Au château pourtant, Emmanuel Macron a fait en sorte de montrer qu'il peut largement se passer d'Havas. C'est ainsi qu'en septembre 2020, le président décide de nommer comme conseiller communication à l'Elysée un pilier de Publicis, Clément Léonarduzzi (il était président de Publicis Consultants). À l'origine, les deux quarantenaires se sont rencontrés chez Les Gracques, le think-tank "social-démocrate-libéral". Publicis, la grande rivale d'Havas : le message est alors reçu cinq sur cinq à Puteaux.
L'ombre de Séguéla
Au sein de la galaxie de l'agence, un homme a pourtant gardé un contact proche avec le château : Jacques Séguéla, un expert dans le domaine des batailles présidentielles. Le publicitaire préféré de François Mitterrand est un très proche de l'ancien journaliste Bruno Roger-Petit, le conseiller mémoire d'Emmanuel Macron, qui sait mobiliser à l'occasion son réseau de journalistes pour protéger le chef de l'État. À la tour Havas, Séguéla conserve un bureau, installé à l'exact opposé de celui de Stéphane Fouks... Et comme son ami BRP, le publicitaire ne cache pas ses réserves quant à l'action passée d'Ismaël Emelien auprès du président Macron.
Lors de la présidentielle de 2017, c'est d'ailleurs Séguéla qui avait organisé deux dîners qui avaient permis à Yannick Bolloré et au couple Macron de faire connaissance. À l'époque, la famille Bolloré regardait d'un bon œil l'aventure du jeune Macron. Depuis, des incompréhensions - c'est un euphémisme ! - se sont installées. Cela n'empêche pas BRP et Séguéla, deux admirateurs de Mitterrand, de continuer à garder un contact constant. Comme nous le rappelait Roland Dumas en début de mandat : « Le président Macron a une qualité commune avec Mitterrand : il ne rompt jamais vraiment avec les gens ». Les adversaires du président de la République ont tendance à l'oublier un peu rapidement.