C'est un chiffre qui commence sérieusement à effrayer bon nombre d'acteurs politiques, qu'ils soient élus, militants ou simples commentateurs et journalistes. 80 % des moins de 35 ans ont préféré s'abstenir aux dernières élections régionales et départementales. Sur les plateaux de télévision, certains évoquent péniblement la situation exceptionnelle de l'épidémie de covid-19, d'autres, l'arrivée de l'été, ou même le bac, pour expliquer une telle contre performance qui touche l'ensemble de l'arc politique. Et pourtant : ce chiffre commence bien à dessiner une évolution structurelle, exprimant une réelle fatigue démocratique. Rappelons qu'entre 1986 et aujourd'hui, l'abstention aux régionales est ainsi passée de 22 % à 66 %. Autant dire que c'est l'ensemble du système politico-médiatique qui est désormais mis en cause par un tel niveau d'abstention, sur fond de guerre de générations.
Depuis des années, la France se détourne de sa jeunesse, de ses forces actives, et se concentre sur ses retraités et ses rentiers. En 2017, Emmanuel Macron avait d'ailleurs essayé de surfer sur une telle tension présente dans la société, en promettant de mettre en valeur les « outsiders » contre les « insiders ». Quatre plus tard, la société française semble plus que jamais bloquée, crispée, engoncée dans ses incompréhensions. Et pourtant, là encore, ces dernières élections régionales ont révélé un autre paradoxe : la peur relayée à longueur de journée dans les médias audiovisuels n'a eu en réalité qu'un effet : faire exploser l'abstention. Les électeurs ne se sont pas jetés dans les bras du parti de la peur par excellence, le Rassemblement National.
À tel point que les leaders de ce parti doivent sonner le tocsin auprès de leurs électeurs traditionnels pour les mobiliser pour le prochain scrutin de dimanche. D'un coup, Marine Le Pen et ses associés sont apparus comme partie intégrante du système politico-médiatique, eux qui adorent se définir, ou qu'on dépeint souvent, comme « anti-sytème ». Bref, l'extrême droite après quatre ans de « macronisme » se retrouve en plein tête-à-queue stratégique et tactique. La stratégie de banalisation est allée au-delà des espérances de ses initiateurs : le RN est devenu tellement banal qu'il ne réussit plus à capter la colère pourtant présente chez une partie des Français.
Ce ne sont pourtant pas les seuls à se retrouver pris au dépourvu par ces derniers résultats. Au plus haut niveau de l'État, Emmanuel Macron apparait plus que jamais isolé, en dépit de ses bons sondages de popularité. Le « disrupteur » en chef paye aujourd'hui son indifférence à l'égard du parti LREM et de son inscription territoriale dans le pays. À sa décharge, seuls les partis traditionnels, qui disposaient déjà de fortes positions locales, ont réussi à tirer leur épingle du jeu, aux départementales comme au régionales. Socialistes et Républicains ont bénéficié à fond de la prime aux sortants. Reste que l'équation 2022 pour le président se complique.
Car ces dernières élections révèlent désormais deux faiblesses tactiques et stratégiques pour Emmanuel Macron : le président qui se targuait depuis les élections européennes de 2019 être devenu un expert dans la fracturation la droite traditionnelle semble avoir perdu son mojo. Car l'électorat qui s'est déplacé aux urnes dimanche dernier, pourtant plus âgé, n'a pas cru bon soutenir son action, préférant les partis traditionnels, LR comme le PS, c'est-à-dire « l'ancien monde ». Surtout, Emmanuel Macron, qui essayait d'utiliser Marine Le Pen comme épouvantail et menace immédiate, pour mieux se mettre en valeur, comme rempart, aura bien du mal dans les prochains mois à mobiliser les électeurs. Notamment ces électeurs de gauche, particulièrement irrités par son action et son bilan, et qui sont pourtant bien les derniers à jouer le jeu du « front républicain » contre l'extrême droite.
Pour ne rien arranger, l'un de ses concurrents à droite, Xavier Bertrand, semble avoir réussi son pari de se propulser vers la prochaine présidentielle à partir des élections régionales. Le jeu politique pour 2022 est-il pour autant totalement rouvert ? La fracturation des partis traditionnels ne cesse de provoquer des dégâts, à droite comme à gauche. Et Xavier Bertrand pourrait pâtir de la concurrence de ses autres petits camarades de droite qui ont pu, eux aussi, grâce à ces régionales, jouir d'un certain répit face au rouleau compresseur Macron : Valérie Pécresse comme Laurent Wauquiez. Et puis, n'oublions pas qu'à l'élection présidentielle, les électeurs « invisibles » continuaient à se déplacer en masse aux urnes.