La présidentielle, c'est dans moins d'un an. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que les esprits commencent à s'échauffer sérieusement dans le petit Paris politique et médiatique. Mélenchon et ses élucubrations, Macron victime d'une gifle, une vidéo de « charme » sortie contre un candidat RN en Bourgogne-Franche-Comté, chaque jour passe, et les événements, petits et grands, qui scandent le débat « politico-médiatique » en France, dépassent toujours un peu plus n'importe quel scénario de série à la télé. Un président giflé, d'ailleurs, on trouvait l'épisode dans le « Baron noir ». Dans une scène de la troisième saison de la série politique de Canal +, la présidente (fictive) de la République, Amélie Dorendeu, va ainsi à la rencontre d'un groupe de manifestants, et reçoit une gifle en retour. Réalité, fiction, tout se mélange dans la France de 2021.
Un grand fourre-tout qu'on retrouve sur les réseaux sociaux, où extraits vidéos, rumeurs, vraies informations, fake news, participent à créer une véritable hystérie collective... du moins chez les journalistes, « communicants », et autres tâcherons de la vie politique française. Il y a quelques années, Jean-François Kahn alertait son public sur les « bulles médiatiques ». Aujourd'hui, de bulles uniformes, on est passé à un univers patchwork, où chacun voit de plus en plus midi à sa porte, et où chaque responsable politique a tendance à fragmenter sa parole.
Pour le chef de l'Etat, le coupable idéal est donc tout trouvé : les réseaux sociaux sont les initiateurs de la violence dont il a été la victime cette semaine : « Au fond, ça vient de ça. On s'habitue à une haine et une violence sur les réseaux sociaux qui après se normalise, et quand on se retrouve face à face, on a l'impression que c'est la même chose ». Cette séparation qu'il y aurait entre la « RL », la « real life », et le « virtuel » est aussi vieux que la diffusion du numérique dans nos sociétés. Déjà dans les années 1990, les jeux vidéo étaient pointés comme la cause de la violence. Comme si jeux vidéo et les réseaux sociaux n'étaient pas de simples miroirs tendus à nous-mêmes.
En réalité, tout est réel. Et la violence provient davantage des circonstances historiques (une épidémie qui a fait exploser les inégalités), de la situation internationale (escalade des tensions entre grandes puissances, notamment entre la Chine et les Etats-Unis), et aussi d'une certaine pratique du pouvoir, en France, comme ailleurs, qui a largement utilisé les réseaux sociaux pour mieux décrédibiliser tous les corps intermédiaires.
Peur panique face à la puissance des réseaux sociaux
Responsables politiques comme firmes de la « big tech » ont joué avec le feu, et maintenant, ils en appellent à contrôler ces mêmes outils. On voit ainsi se multiplier les décisions unilatérales de censure de Twitter et de Facebook à l'encontre de tel ou tel. Où sont les libertés dans ces conditions ? De fait, ces entreprises se transforment en autant d'églises qui procèdent (trop) facilement à des excommunications. Alors que les mêmes ne s'interrogent guère sur leur utilisation maladive d'algorithmes qui manipulent les foules pour mieux rentabiliser leur modèle économique.
Mais dans un autre sens, les pouvoirs politiques dans le monde entier ont aujourd'hui une peur panique de la puissance de déstabilisation de ces réseaux sociaux. Sans Facebook, y aurait-il eu en 2011 le fameux « printemps arabe » ? On peut se le demander. Sans réseaux sociaux, y aurait-il eu en 2018/2019 les Gilets Jaunes ? La question se pose. Reste une chose : le degré de tensions dans le discours politique n'est bien souvent le fait que des acteurs eux-mêmes. Et à ce jeu-là, le niveau du débat public en France est particulièrement inquiétant.
Va-t-on vers une campagne présidentielle où, en guise d'échanges et de confrontations, seul le choc des images restera sur la rétine de nos concitoyens. C'est peut-être le vrai sujet : trop d'images et trop d'incertitudes. « Ils sont paranos ». Voici comment on présente aujourd'hui le pouvoir macronien dans les couloirs de l'Assemblée nationale. Paranos et sûrs d'eux. Au point de commettre des imprudences ? Reste que pour l'instant aucun candidat ne semble en mesure de challenger réellement le couple de favoris médiatiques et politiques formé par Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Et à ce compte-là, rien n'empêchera de voir surgir de nulle part des surprises. Pour le meilleur comme pour le pire.
Rassurons-nous tout de même : il n'y avait qu'à voir la jeunesse, de toutes origines, fêter le dé-confinement dans les rues et parcs des villes de France, et à Paris ces derniers jours, pour comprendre que les responsables politiques adorent agiter le spectre d'une guerre civile d'abord pour se trouver une posture. Et surtout à défaut de proposer un projet d'avenir. L'année risque d'être encore longue...