L'ancien conseiller de François Mitterrand, Jacques Attali a surpris son monde lorsqu'il a pronostiqué la prochaine victoire de Marine Le Pen à la présidentielle de 2022 dans l'émission C ce soir sur France 5, le 6 mai dernier. « Si j'avais à faire un pronostic aujourd'hui, je pense que Marine Le Pen va être élue au mois de mai prochain », a-t-il déclaré. Face à lui, l'animateur Karim Rissouli, et la chroniqueuse Laure Adler, écarquillent les yeux. Leur étonnement n'est pas feint : comment un compagnon de route de Mitterrand peut-il être aussi froidement péremptoire au sujet de la fille Le Pen ? L'intéressé précise alors son analyse politique (et non son souhait) : « Je pense qu'on peut l'empêcher, je pense que c'est pas gagné mais je pense que si le scrutin avait lieu en septembre, elle serait élue. »
Et d'expliquer que cette possibilité est dans « l'air du temps », que la multiplication des faits divers aide la présidente du Rassemblement National, et qu'elle « cristallise toutes les fautes de ses adversaires ». Quelques jours après, sur l'antenne d'Europe 1, Attali enfonce le clou en comparant la situation politique de 2022 avec celle de 1981 pour François Mitterrand... Et de pointer l'envie de « dégagisme » visant la classe politique... et dont Macron et LREM pourraient faire les frais après en avoir profité cinq ans plus tôt.
Si Jacques Attali précise que, personnellement, il ne souhaite pas la victoire de Marine Le Pen, ses prédictions ont également pour conséquence de crédibiliser encore un peu plus la candidate du Rassemblement National dans le « débat » public et médiatique à un an de la présidentielle. Par ses alertes, Attali veut-il laisser entendre à l'opinion et à la bulle politico-médiatique qu'Emmanuel Macron n'est pas forcément le meilleur rempart à l'extrême droite ? Veut-il piéger le jeune président sur son terrain, le prendre à son propre jeu avec le RN qui vise à laisser aux électeurs en 2022 un choix réducteur ?
Depuis la commission sur la libération de la croissance de 2007, les liens entre les deux hommes se sont largement distendus. Lors de la dernière présidentielle, Jacques Attali n'avait pas caché ses préférences pour Manuel Valls. Cela n'avait pas échappé à Emmanuel Macron qui estimait à la même époque que l'ancien conseiller de François Mitterrand était un « pipoteur », comme il nous l'avait confié lors d'une interview à Bercy.
Opération séduction du RN en direction du patronat et des experts
Bien sûr, Jacques Attali ne souhaite pas la victoire de Marine Le Pen, mais l'ancien conseiller de l'Elysée s'intéresse de près à la candidate. Au point d'avoir entamé un discret dialogue, selon plusieurs sources, avec certains de ses conseillers informels sur les questions économiques depuis quelques mois déjà. Il est vrai que l'équipe de la candidate tente d'élargir son réseau par tous les moyens. Objectif : faire oublier son image d'amateurisme qui lui colle à la peau depuis le débat du second tour de 2017. Ces derniers mois, la candidate d'extrême droite a rencontré à tour de bras, et parfois loin de ses terres politiques habituelles. Après l'opération « dé-diabolisation » vis-à-vis des médias, place à l'opération séduction en direction du patronat, des experts et des hauts fonctionnaires. Avec un message : que vous le vouliez ou non, Marine Le Pen est désormais prête à prendre le pouvoir.
Une fois n'est pas coutume, le RN se réclame de Jacques Attali ! Selon plusieurs de ses membres, une rencontre a été organisée entre l'ancien conseiller de François Mitterrand et la présidente du Rassemblement National. Contacté, Jacques Attali conteste la réalité d'un tel rendez vous : « Je n'ai jamais rencontré Madame Le Pen sauf pour un débat à la télévision il y a des années, et jamais personne se présentant comme son conseiller ».
L'équipe de Marine Le Pen qui se réfère à un ancien conseiller de François Mitterrand ? C'est que la candidate d'extrême droite tente par tous les moyens de montrer qu'elle est désormais prête à se convertir au « réalisme » économique. C'est ainsi qu'il y a quelques semaines elle s'était déclarée contre l'annulation de la dette covid, en expliquant : « Sans mépriser ceux qui souhaitent une annulation de la dette, je les appelle à la raison. Quand vous expliquez à vos créanciers que vous n'allez pas les rembourser, c'est assez difficile d'aller leur redemander éventuellement un prêt par derrière », avait-elle fait valoir. Encore un peu, et elle pourra rétorquer à Emmanuel Macron : « Vous n'avez pas le monopole de la raison ». Un sujet d'autant plus sensible pour l'actuel président de la République qu'il s'était présenté comme le garant des compétences en 2017... Et qu'avec sa gestion de l'épidémie de Covid-19, il a perdu cet avantage comparatif.
Aux régionales de juin, « toutes les digues sautent »
Voilà peut-être pourquoi « toutes les digues sautent », comme le déplore un cadre de LREM. On le voit à l'occasion des élections régionales de juin. C'est ainsi qu'Yves Bonnet, ancien patron de la DST lors du premier septennat Mitterrand, a décidé de rallier le RN lors des prochaines élections régionales en Normandie. Il sera en cinquième position sur la liste de Nicolas Bay en Seine Maritime. À Montpellier, c'est également un tremblement de terre politique qui a secoué les socialistes du cru : Frédéric Bort, l'un des anciens directeurs de cabinet de Georges Frêche, l'ancien baron socialiste, prend la tête de liste du RN dans l'Hérault !
Dans ce contexte particulièrement porteur pour le RN, les sondages se multiplient et donnent des sueurs froides aux supporters d'Emmanuel Macron. En Provence-Alpes-Côte d'Azur, le RN Thierry Mariani est ainsi donné gagnant par plusieurs sondages dans tous les cas de figure. Après des jours de polémiques, la secrétaire d'Etat Sophie Cluzel a finalement décidé d'apporter son soutien à la liste LR de Renaud Muselier qui, selon elle, « a su entendre nos préoccupations et su bâtir une liste de rassemblement »...
Tambouille locale dans les Pyrénées-Orientales
Justement, dans les Pyrénées-Orientales, s'est joué une tragi-comédie entre Jean Castex, Stanislas Guérini, délégué général de LREM, et la référente du parti présidentiel Frédérique Lis. Début mai, Stanislas Guénini, sur demande express du Premier ministre, a en effet imposé aux troupes locales LREM de ne présenter aucun candidat lors du prochain scrutin départemental. Huit jours plus tard, les élus LR, avec à leur tête le sénateur Jean Sol, un proche de Jean Castex, ont boycotté la dernière session de l'assemblée départementale, histoire de mettre des bâtons dans les roues à l'actuelle majorité socialiste.
Cette situation suscite l'amertume chez de nombreux militants LREM. L'un d'eux dénonce une « politique de la chaise vide » et une « attitude de renoncement faute d'alternative à proposer ». Il ajoute : « Ces deux événements interrogent sur les jeux du Premier ministre. Faire battre la majorité sortante et permettre à son ami Jean Sol de prendre la présidence de ce département perdu par la droite depuis des lustres, afin de prendre la main sur ce dernier lors de sa sortie de Matignon ? »
Cette tambouille locale ne semble pas à la hauteur des enjeux. Car c'est bien à Perpignan, grande ville raflée par le RN aux dernières municipales, que le prochain congrès national du parti d'extrême droite se tiendra début juillet. Et c'est à cette occasion que Marine Le Pen sera désignée officiellement comme candidate à la prochaine présidentielle. Perpignan et les Pyrénées Orientales, piste d'envol du RN ? C'est en tout cas un lieu symbolique qui synthétise à la fois l'électorat ouvrier des Hauts de France, et l'électorat qui a connu l'Algérie française qu'on trouve également en PACA. Un peu oubliées pour cause d'épidémie, les élections départementales et régionales pourraient bien permettre à la candidate du RN de se présenter comme la favorite en 2022...