Au lendemain des élections municipales marquées par une abstention record en France (58,4% au second tour en 2020), voici des chiffres qui viennent donner un coup de projecteur inattendu sur la question de l'accessibilité et sur la notion de service public rendu par les maires, vis à vis de leurs administrés. D'après une étude menée par la plateforme en ligne Polipart, début juillet 2020, près de la moitié des mairies de l'Hexagone (46,94%) ne disposait pas de site Internet pour répondre aux besoins des habitants. Aussi, selon ce site enregistré en association à but non lucratif et dont le modèle économique est - justement - d'être un intermédiaire entre les élus et les citoyens, c'est la représentativité et plus largement la démocratie en France qui serait mise à mal au regard de ses résultats.
Pourtant, les attentes des Français en matière d'e-démocratie sont fortes. Évaluation des politiques publiques, accès facilité aux démarches administratives, dialogues citoyens... 73 % des Français estiment que le numérique peut améliorer le dialogue entre citoyens et élus locaux, d'après une enquête Odoxa et SAP menée en mars 2020, soit quelques jours avant le premier tour des élections municipales.
Or, à l'échelon hyper local, Polipart montre, elle, dans son étude, que d'importantes lacunes demeurent. Pour tirer ses conclusions, la Civic Tech a compilé les informations du gouvernement (DILA, DINUM) et de l'INSEE, couvrant au total 34.947 mairies auditées en juillet 2020.
"Aujourd'hui l'Etat est en train de rendre les services des impôts et de la poste via une présence en ligne. Mais si les premiers représentants de l'Etat (élus locaux et maires NDLR) ne sont pas en ligne, alors l'Etat n'existe plus. On abime le rôle de l'élu", explique à La Tribune Brice Maydieu qui a fondé Polipart en 2019.
Le désert numérique français
Premier enseignement de cette étude, Polipart s'attache à montrer une réalité : les plus petites communes sont les moins dotées en outils numériques. Sur ces petites villes, le taux d'inaccessibilité des élus en ligne dépasse en effet 70% dans les communes de moins de 500 habitants, contre à peine 10% pour les communes entre 1.000 et 3.500 habitants et 2% pour les communes plus importantes (plus de 3.500 habitants).
Mais est-ce réellement pertinent pour une petite commune d'avoir un site Internet alors que les maires sont géographiquement (et logiquement) plus proches de leur population ? Brice Maydieu n'a là-dessus aucune doute : « avoir un site Internet, ce n'est pas une première nécessité en soi. Cependant, sans site, il n'y a pas cette altérité du lieu physique en ligne. Et pour un jeune, s'il n'y a pas de site cela veut dire que cela n'existe pas.»
Autre enseignement, Polipart révèle des disparités géographiques sur ces développements numériques en propre. Ainsi, les régions au Nord, dans l'Est, l'Occitanie ainsi que la Corse sont les zones les plus pauvres en matière de site Web officiel, et donc, selon Polipart, en matière de visibilité numérique. En moyenne, dans ces régions, moins de la moitié des villes possède un site.
En bas du podium, la Corse affiche un taux de communes dépourvues de site Web qui s'élève à 62,40%, suivi de près par la région Grand Est avec 62,31% et de la Bourgogne-Franche-Comté avec 60,24%. Au contraire, en Ile-de-France, seules 17,25% des communes n'ont pas de site, 18,33% en Bretagne et 21,30% pour la région PACA.
Facebook, un Goliath de la Civic Tech
Pour autant, le site Internet d'une mairie est-il vraiment indispensable et la première porte d'entrée, quand, aujourd'hui, de nombreux élus cultivent leur présence et leur lien local directement sur les réseaux sociaux ? Par exemple, la page Facebook de la ville de Paris cumule pas moins de plus de 3 millions de "j'aime" et 2,9 millions de "suiveurs". Même constat pour les villes moyennes, telle Dijon (155.000 habitants) qui attire plus de 27.500 personnes sur sa page, Montpellier plus de 126.000 parmi 277.000 habitants. Enfin, les plus petites villes sont aussi présentes sur le réseau social du géant américain. Sur ces pages sont alors renseignées les informations utiles pour prendre contact. On trouve même sur Facebook la page de l'une des "100 plus petites villes de France" recensées par le site commune-mairies.fr, telle Leménil Mitry, en Lorraine.
Soucieux de montrer son rôle bénéfique pour la démocratie, Facebook publiait même en 2012 une étude faite maison montrant que 78% des grandes villes ont leur page sur le réseau social et 28% un community manager, rapportait LaGazette.fr. Depuis, sur ce marché dit des Civic Tech, l'Américain n'a d'ailleurs eu de cesse de se présenter comme le nouvel intermédiaire entre les élus et les citoyens. En 2017, il lançait ainsi en France et dans d'autres pays un nouvel outil, nommé Town Hall, permettant d'entrer en contact facilement avec son élu, à partir de l'adresse de l'utilisateur.
En pleine crise du coronavirus, Rânes, une petite commune de l'Orne (61), a même eu le réflexe de créer une page Facebook afin d'informer ses habitants sur la pandémie et de "rompre l'isolement", raconte le journal Ouest-France.
Polipart, comme d'autres jeune-pousses européennes de la Civic Tech, ne s'attaque-t-elle donc pas au Goliath Facebook qui est bien décidé à tisser le lien et à réinventer une démocratie numérique ?« Les élus communiquent effectivement parfois sur Facebook ou autre. Mais le problème est que l'auditoire se perd dans les informations et voit autant de choses partisanes ou fausses que les informations du canal officiel. Il se retrouve noyé dans les informations », oppose Brice Maydieu.
D'autres startup se sont en effet engouffrées sur cet enjeu du lien de confiance à rebâtir entre élus et électeurs. Face à elle, Polipart a notamment comme concurrente la startup Politizr, basée à Foix en Occitanie et qui se définit depuis sa création en 2015 comme un "réseau social citoyen et espace de consultation entre les citoyens, élus et collectivités sur des sujets de politique locale ou nationale". En 2018, une cartographie du secteur créée par l'Observatoire des Civic Tech et de la démocratie numérique a d'ailleurs recensé toutes ces initiatives numériques en matière de représentativité, de vote et de dialogue citoyen. Parmi elles, on y trouve également des plateformes de débat censées influencer la prise de décision, telle Make.org ou encore la startup Cap Collectif; celle qui a servi pour le grand débat national suite à la crise des gilets jaunes.
Toutes comptent répondre au fléau de la défiance envers les élus, régulièrement constatées lors des scrutins à l'échelon national ou local. Sur ce dernier, les Français ont bel et bien des attentes : quelle que soit la taille de la commune, "les trois qualités premières attendues d'un maire sont l'honnêteté, le respect des promesses et la proximité", selon une enquête réalisée auprès de plus 15.000 Français en juillet 2019 par l'Observatoire de la démocratie de proximité avec l'association des maires de France (AMF) et le CEVIPOF/SciencesPo. Reste toutefois à savoir utiliser le numérique pour mettre en avant ces qualités.
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