Quand Emmanuel Macron arrive sur le champ de Mars, ses équipes enclenchent la musique de la 9e symphonie de Beethoven, hymne européen par excellence. Le président réélu veut envoyer un signal clair aux partenaires de la France à l'international. Cette musique, il l'avait déjà utilisée lorsqu'il était arrivé dans la cour du Louvre lors de sa victoire d'il y a cinq ans. Cette fois-ci, il n'était pas seul, mais accompagné de sa femme Brigitte, et de plusieurs enfants figurants. Un autre signal donc : mon prochain quinquennat sera placé sous le signe de la jeunesse.
Il y a urgence. Emmanuel Macron en est bien conscient. Dans son discours, il essaye ainsi de faire profil bas : « Ce vote m'oblige pour les années à venir », lance-t-il presque timidement en évoquant les électeurs (de gauche) qui ont voté pour lui d'abord pour faire barrage à l'extrême droite. Ajoutant : « Je sais ce que je vous dois ». Autour de lui, malgré quelques sourires de satisfaction, on aperçoit aucune liesse, la fête est d'ailleurs vite terminée. Surtout, ne pas montrer aux Français une trop grande satisfaction.
Car si Emmanuel Macron a réussi à se faire réélire après avoir gouverné la France durant cinq ans, le pays est divisé plus que jamais. S'il devance lors de ce second tour plus largement Marine Le Pen que ce qu'annonçaient les sondages ces derniers jours, l'abstention, les votes blancs et nuls représentent près de 17 millions de Français. De fait, avec 37,9 % des inscrits, Emmanuel Macron est le président le plus mal élu de la Vème République juste après Georges Pompidou un an après le mouvement de mai 1968. Comme le rappelle le commentateur Luc Ferry sur TF1, « moins de dix millions de Français ont voté pour lui lors du premier tour ». Deux Français sur trois n'ont pas voté pour lui.
Résultat, chose étonnante pour un soir d'élection présidentielle, il n'aura fallu que quelques minutes après 20 heures pour que les responsables d'opposition et les commentateurs politiques évoquent avec force la perspective des législatives. Pas de répit pour Emmanuel Macron : sitôt élu, sitôt contesté. Dès 20h15, Marine Le Pen salue « une victoire éclatante » pour ses idées, et d'expliquer : « Je mènerai cette bataille » des législatives avec « tous ceux qui ont la nation chevillée au corps ». Comme lors du premier tour, la candidate d'extrême droite évoque en priorité les sujets sociaux : pouvoir d'achat, service public, retraites... Marine Le Pen sait que les Français attendent des réponses urgentes sur tous ces dossiers.
"Les années à venir ne vont pas être tranquilles"
L'autre surprise de la soirée, c'est que juste après Marine Le Pen, c'est Jean-Luc Mélenchon qui prend la parole. À 20h25, le troisième homme de la présidentielle assure que « Monsieur Macron est le plus mal élu des présidents de la Vème République », et en profite pour parler des législatives, lui aussi : « Le troisième tour commence ce soir », annonce-t-il. Et d'ajouter : « Vous pouvez battre Monsieur Macron et choisir un autre chemin », à travers « l'Union populaire qui doit s'élargir ». Pour cet admirateur de Mitterrand, les prochains jours seront cruciaux : arrivera-t-il à unir la gauche dans toutes ses composantes ? Réussira-t-il son congrès d'Epinay autour de l'Union populaire ? Cette démarche de rassemblement a reçu le soir même le soutien de Ségolène Royal, l'ancienne candidate à la présidentielle de 2007 pour le parti socialiste qui en a appelé à une « union des gauches et des humanistes ». De leur côté, les écologistes Julien Bayou et Sandrine Rousseau ont acquiescé en appelant de leurs voeux à la constitution d'une « coalition ».
De l'autre côté de l'arc politique, à droite et à l'extrême droite, l'ambiance était plus fraiche et laissait transparaître une plus grande division. Chez LR, Rachida Dati s'est ainsi adressée sur TF1 à Gabriel Attal, le représentant d'Emmanuel Macron, en souhaitant une forme de rapprochement avec la macronie : « Nous sommes un parti de gouvernement. La droite est un parti de gouvernement, ce n'est pas un parti d'opposition ou d'affrontement (...) J'en appelle à la responsabilité des Français. Aujourd'hui, il y a une possibilité d'avoir un vote enfin d'adhésion, pas par défaut. Ce qu'il s'annonce aujourd'hui, c'est de lancer ces législatives ». Autre son de cloche pour Éric Zemmour qui a appelé à l'union du « bloc national » après avoir tenu des propos très dur à l'encontre de la candidate du RN, en soulignant notamment que cela fait la huitième fois que la famille Le Pen échoue à une présidentielle...
Au fond, pour beaucoup d'opposants à Emmanuel Macron, les législatives, comme un « troisième tour », sont déjà dans le viseur. C'est d'ailleurs la principale leçon de cette soirée électorale : si le président a été élu, l'orientation politique du prochain quinquennat ne semble pas avoir encore été tranchée par les Français. Ces derniers souhaitent d'ailleurs la mise en place d'une cohabitation en juin prochain. C'est en tout cas ce que laisse entendre un récent sondage Ipsos : ils seraient ainsi 56 % à attendre qu'un opposant à Emmanuel Macron atterrisse à Matignon.
En attendant, le troisième tour social a déjà commencé dans les rues de la capitale ou de plusieurs grandes villes : place de la République, comme à Nantes, Strasbourg, Lyon, Toulouse, les manifestations sauvages se sont multipliées dès l'annonce des résultats. Dans une semaine, tous les regards seront rivés sur les mobilisations sociales du 1er mai. Les syndicats, chauffés à blanc, prévoient déjà une forte affluence. C'est Emmanuel Macron qui l'affirmait lui-même dans son discours d'hier soir : « Les années à venir ne vont pas être tranquilles ».