[Article publié le lundi 21.11.2022 à 13:10, mis à jour à 17:40]
Au printemps dernier, Emmanuel Macron, alors candidat sortant à la présidentielle, avait tracé la ligne directrice de sa future réforme explosive sur un principe de « contracyclicité » : « L'assurance chômage plus stricte quand trop d'emplois sont non pourvus, plus généreuse quand le chômage est élevé. » Et les annonces de ce lundi 21 novembre n'ont pas manqué de mettre le feu aux poudres dans les rangs des syndicats. A l'issue de la présentation des critères retenus par l'exécutif, les organisations paritaires ont tiré à boulets rouges sur les contours de cette nouvelle réforme.
Dans un communiqué, la CFDT a dénoncé « une injuste nouvelle réduction des droits des chômeurs ». De son côté, le patron de la CFE-CGC François Hommeril a taclé sur Twitter ces nouveaux critères : « La punition collective comme mode de gouvernement. »
Retour en 6 points sur les principales modalités de cette réforme contestée.
1. Une baisse de la durée d'indemnisation
Après le vote du projet de loi au parlement la semaine dernière, le ministre du Travail, Olivier Dussopt, a annoncé un nouveau mécanisme pour calculer les droits des demandeurs d'emploi. « Nous allons moduler à la baisse la durée d'indemnisation maximale de la durée du chômage », a résumé le ministre lors d'un point presse. Il a expliqué que « le marché du travail était dans un contexte favorable, et cela justifie cette modulation à la baisse ».
Le « coefficient de modulation » retenu par l'exécutif est de 0,75. Olivier Dussopt explique ainsi le calcul :
« Un demandeur d'emploi indemnisé pendant 24 mois sera indemnisé à hauteur de 75% de 24 mois, soit 18 mois. »
La durée d'indemnisation des seniors, qui bénéficient actuellement d'un régime d'allocation plus long, devrait également être modifiée par ces nouvelles règles.
En revanche, le gouvernement n'a pas présenté d'étude d'impact de ce vaste chantier qui fera sans doute des perdants et, selon certains économistes, pourrait augmenter le risque de pauvreté. Interrogé sur l'absence d'étude d'impact, le ministre a indiqué que « les éléments dont nous disposons nous laissent espérer un retour à l'emploi de 100.000 à 150.000 personnes en 2023 ».
2. Le taux de chômage à 9% comme critère de modulation
Les nouvelles règles doivent s'appliquer en fonction de l'état de santé du marché du travail. « Nous considérons que la situation actuelle est favorable. Nous reviendrons aux règles normales si le chômage repassait au-dessus de 9% ou s'il connaissait une hausse de 0,8 point en un trimestre. Cela permet de tenir compte d'une dégradation progressive de l'emploi et d'une dégradation rapide comme après la crise de 2010 », a souligné Olivier Dussopt. Actuellement, le rythme des créations d'emplois continue d'être supérieur à celui de la croissance en France.
Les économistes interrogés par La Tribune récemment expliquent cette conjoncture favorable de l'emploi par le boom des contrats d'apprentissage et des alternances, et aussi par des phénomènes de rétention dans un contexte tendu de recrutement. Mais la crise énergétique et l'inflation persistante pourraient changer la donne pour les demandeurs d'emploi en 2023.
3. Des mécanismes de protection
Face au risque d'appauvrissement des chômeurs, le gouvernement a prévu des mécanismes de protection sous la forme d'un complément de fin de droit. « Il sera activé en fin de période sous deux conditions. Le demandeur d'emploi doit effectivement arriver en fin d'indemnisation et la situation économique doit se dégrader », a poursuivi l'ancien ministre en charge des Comptes Publics. La mise en place ce mécanisme se justifie par un changement de conjoncture entre le moment où le salarié perd son travail et celui où la fin de droits approche. Le montant de ce complément est « égal au droit minoré par l'application du coefficient (de 0,75) », a précisé Olivier Dussopt.
Le deuxième filet de sécurité annoncé par le gouvernement concerne la durée minimale d'indemnisation. « Aucun demandeur d'emploi ne pourra être indemnisé pour une durée inférieure à 6 mois. »
En revanche, le ministère de la rue de Grenelle n'a pas touché à la durée minimale nécessaire pour toucher les indemnités, fixée à 6 mois sur les 24 mois. Pour rappel, le gouvernement d'Édouard Philippe avait déjà serré la vis en 2019 sur la durée d'indemnisation en passant de 4 mois à 6 mois minimum pour toucher des allocations.
Les règles de calcul du montant de l'indemnité ne sont pas modifiées. Le taux de remplacement, c'est-à-dire le montant moyen de l'allocation équivaut à 57% du dernier salaire. Selon Olivier Dussopt, « nous allons garder un des systèmes les plus généreux d'Europe ».
Enfin, le gouvernement a abandonné son idée de territorialiser ces règles en fonction des régions, parfois vue comme « une usine à gaz » par les spécialistes du marché du travail. L'exécutif a justifié cette décision par des disparités trop importantes au sein d'une même région. « La territorialisation au sein des bassins d'emploi aurait été trop complexe. »
4. Des nouvelles règles effectives à partir de 2023
Toutes ces nouvelles règles seront en vigueur entre le 1er février et le 1er décembre 2023. « Elles concerneront tous les contrats de travail qui s'achèveront après le premier février 2023 », a poursuivi le ministre. Ce qui signifie que l'application de ces règles ne sera pas rétroactive pour les demandeurs d'emploi inscrits avant cette période.
A l'issue de cette période qui s'achève donc le 1er décembre 2023, de nouvelles règles devraient s'appliquer qui résulteraient cette fois-ci de négociations entre les partenaires sociaux. On se souvient qu'au printemps 2019, au vu de l'impasse des négociations paritaires, le gouvernement avait repris la main sur la réforme des règles d'indemnisation de l'assurance-chômage.
Comme, maintenant, la modulation est inscrite dans la loi, elle s'imposera de facto dans ces prochaines discussions entre syndicats et patronat.
5. Des territoires et des catégories socioprofessionnelles épargnés
Certaines régions et catégories socioprofessionnelles ne seront pas concernées par cette réforme. C'est par exemple le cas des territoires d'Outre-mer.
« Le contexte économique de ces territoires est trop particulier pour que les critères nationaux retenus soient efficaces. »
Et parmi les professions exemptées, figurent les marins, les pêcheurs, les dockers et les expatriés qui bénéficient déjà d'un régime particulier. Les demandeurs d'emploi inscrits dans une démarche de contrat de sécurisation professionnelle seront également exemptés.
6. Quatre milliards d'euro d'économies attendus
Cette réforme inflammable devrait permettre au gouvernement de faire des économies. Interrogé sur cette question épineuse lors du point presse, le ministre a affirmé que « ces nouvelles règles allait permettre d'économiser jusqu'à 4 milliards d'euros, mais ce n'est pas la préoccupation ni l'objectif du gouvernement ».
Pour rappel, les économies espérées par la réforme de 2019 était de l'ordre de 3,4 milliards d'euros sur la période 2019-2021.