Pour Gabriel Attal, le ministre des Comptes publics, l'occasion était trop belle pour la laisser passer. Alors que le Sénat a voté ce week-end, un amendement sur les retraites prévoyant de relever l'âge légal de départ, de 62 à 64 ans, le ministre macroniste a redit ce lundi sur BFM la pleine intention du gouvernement de mener la réforme. Gabriel Attal a vu dans le vote sénatorial - dont la majorité est à droite- signe positif : celui d'obtenir une possible majorité sur ce sujet explosif. A Bercy, Bruno Le Maire défend lui aussi cette ligne. Le Ministre de l'Economie plaide depuis longtemps la nécessité de faire une réforme des retraites. Certes, pour le moment, le gouvernement ne gardera pas cet amendement des sénateurs, préférant poursuivre la concertation avec les syndicats. Mais, conformément à la volonté d'Emmanuel Macron, il a toujours en ligne de mire l'adoption d'une réforme rapide : présentation d'un texte début 2023 pour une entrée en application dès l'été prochain.
Une nécessité budgétaire pour l'exécutif mais pas que ...
Pour le grand public, l'argument financier est régulièrement avancé par l'exécutif pour porter l'âge de départ en France dans le privé à 64 ans. Selon une étude du Trésor, le gain de recettes serait de 12 milliards d'euros dès 2027 - soit l'argent qui rentrerait dans les caisses via les cotisations retraites- et l'économie réalisée, - sur les pensions en moins à verser etc-, avoisinerait les 8 milliards d'euros à la même date.
Mais, un autre élément moins audible pour l'opinion entre largement en ligne de compte pour inciter le gouvernement à tenir sa ligne : la pression de nos partenaires européens. « La réforme des retraites, est un énorme marqueur pour eux, ils attendent que la France évolue sur ce sujet », assure un ministre. Et d'ajouter : « L'exception française du départ à 62 ans les agace tellement. Et ce n'est pas nouveau. En Allemagne, déjà, au temps d'Angela Merkel, la chancelière faisait passer le message à Paris dès qu'elle le pouvait : il faut que les Français travaillent plus longtemps ».
Pour rappel, dans les trois quarts des pays de l'Union européenne, l'âge de départ à la retraite atteint ou dépasse 65 ans. Ces dernières années, la plupart des gouvernements européens ont mené des réformes difficiles auprès de leurs concitoyens, non sans se heurter à des oppositions sociales.
De fait, « la France apparaît comme à la traîne, laxiste, flemmarde, oisive », poursuit un autre membre influent du gouvernement. Et de confier : « Surtout que chaque année, en gros, on dit à Bruxelles qu'on va accélérer le mouvement, puis on revient sur notre engagement... parce qu'une année, il y a les gilets jaunes, une autre, c'est le covid, puis l'inflation... ils perdent patience ». Dans le document que Paris a envoyé cet été à Bruxelles, la France a d'ailleurs promis de mener deux réformes importantes : celle de l'assurance chômage, en passe d'être adoptée, et celle des retraites...
La pression de notre premier partenaire économique : l'Allemagne
Ainsi, l'Allemagne est-elle en première ligne pour demander à la France de passer à la vitesse supérieure. Il faut dire, qu'outre-Rhin, les Allemands travaillent plus longtemps que les Français. Ils partent rarement avant 65 ans, l'âge légal de départ, qui sera porté à 67 ans d'ici à 2029.
Au printemps dernier, trois économistes allemands influents - Bernd Raffelhüschen, Stephan Kooths, et Gunther Schnabl, ont même suggéré de porter l'âge de départ à 70 ans, notamment pour "amortir le choc d'inflation", qui en Allemagne dépasse les 10 %.
Et pour cause, en Allemagne aussi, la question du financement est un sujet explosif. Avec une pyramide des âges vieillissante, et une faible natalité, le pays a besoin de récupérer de l'argent. En juin 2021, un rapport indépendant du ministère de l'Economie estimait que le besoin de financement des retraites pourrait représenter 45 % du budget de l'Etat, contre un quart en 2019.
Si le chancelier Olaf Scholz ne prévoit pas de revoir le seuil de 67 ans dans l'immédiat, par crainte de mouvements sociaux alors que la récession se profile en Allemagne, il tolère de moins en moins la position attentiste de la France.
A un moment où le couple franco-allemand est à la peine, où l'Allemagne regarde plutôt du côté des Etats-Unis ou de la Chine, ce sujet des retraites pourrait donc jouer les irritants dans le couple pilier de l'Union. A l'occasion du G20, qui se tient en cette semaine à Bali, le chancelier ne manquera pas de rappeler à Bruno Le Maire ou Emmanuel Macron l'engagement pris par la France sur ce dossier.
Mais les Français toujours remontés contre une réforme
En attendant, dans l'opinion publique française, l'idée de report de l'âge à 64 ans est loin de faire l'unanimité. Dans les sondages, il n'y a guère que les retraités - donc ceux qui ne sont pas concernés par une réforme éventuelle, et qui s'inquiètent surtout du montant de leurs pensions- qui se disent favorables.
Sans surprise, les syndicats continuent de montrer leur hostilité. Dimanche 13 novembre, Philippe Martinez, le leader de la CGT a prévenu : il promet d'importantes mobilisations si le gouvernement décale l'âge de départ. Même pour le patronat, la retraite n'est (plus) pas le premier sujet de préoccupation. Les chefs d'entreprise sont plus allants auprès du gouvernement pour qu'il durcisse les règles de l'assurance chômage - afin de faciliter les recrutements et réduire les tensions en matière de pénurie de main-d'oeuvre, ou encore qu'il les aide à payer les factures d'énergie qui s'envolent et menacent la production-.
Malgré l'insistance de nos partenaires européens, la pilule promet toutefois d'avoir du mal à passer. Dans un contexte d'inflation et de pouvoir d'achat rogné, les ménages risquent de ne pas accepter l'effort supplémentaire qu'il leur serait demandé de travailler plus longtemps.