Après avoir abandonné l'instauration d'un régime de retraites universel, Emmanuel Macron n'a pas renoncé à modifier les règles du jeu. Pour lui, une réforme des retraites « s'impose » afin de dégager des marges budgétaires pour d'autres grandes réformes sociales du pays, comme l'école, la santé, la transition écologique et la sécurité. Alors que le déficit de la branche vieillesse de la sécurité sociale devrait s'aggraver à 2,7 milliards en 2023 (contre 1,7 milliard cette année), jusqu'à 13,7 milliards en 2026, plusieurs pistes sont à l'étude. Parmi elles : décaler l'âge légal d'ouverture des droits à la retraite et accélérer la réforme de 2014 qui prolonge la durée de cotisation nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein.
La France, avec son régime de retraites dont les réformes soulèvent tant de passions, est-elle une exception ? La Tribune fait le point avec Hervé Boulhol, responsable retraites et vieillissement démographique à la direction de l'emploi et des affaires sociales de l'OCDE, l'Organisation de coopération et de développement économiques*.
LA TRIBUNE- Le niveau de vie des retraités en France est-il plus élevé qu'ailleurs ?
HERVÉ BOULHOL- Les plus de 65 ans, en France, ont un revenu relatif qui est plus élevé que dans la plupart des pays de l'OCDE. Avec l'Italie et le Luxembourg, la France fait partie des trois pays où le revenu disponible (pas seulement les pensions de retraite) des plus de 65 ans (pas seulement les retraités) est le plus élevé, proche de celui de l'ensemble de la population. En comparaison, en moyenne dans les pays de l'OCDE, le revenu disponible des plus de 65 ans est 12% plus faible que celui de l'ensemble de la population. Au-delà de la moyenne, les plus de 65 ans, en France, ont un taux de pauvreté relatif parmi les plus faibles des pays de l'OCDE. Dans les dernières décennies du XXe siècle, la situation des plus de 65 ans s'est nettement améliorée. Il y a 40 ans leur revenu disponible était 20% plus faible que l'ensemble de la population.
Est-ce la fin d'un certain « âge d'or » ?
D'après les projections du Conseil d'orientation des retraites (COR), ce revenu relatif aurait tendance à baisser dans les décennies qui viennent. D'après le dernier rapport du COR, publié le 22 septembre, les dépenses du système des retraites, même si elles étaient contrôlées sur le long terme, ne sont pas compatibles avec la trajectoire de réduction des dépenses publiques envisagée par le gouvernement pour 2027. La situation actuelle, relativement favorable aux séniors depuis une quinzaine d'années, ne va donc pas forcément durer.
Concernant l'âge de la retraite, où se situe la France ?
C'est compliqué de comparer les critères d'âge car même pour un seul pays on a différents critères. En France, il s'agit de l'âge minimum légal, l'âge de la fin de la décote, sans compter les critères d'âge des nombreux régimes. A l'OCDE, on calcule « l'âge normal de la retraite ». On le définit de la façon suivante : si une personne rentre sur le marché du travail en moyenne à 22 ans et qu'elle a cotisé pendant toute sa carrière, elle peut prendre sa retraite à taux plein en partant à la retraite aujourd'hui à 64 ans et 9 mois en France. Pour avoir une retraite à taux plein au régime général, il faut avoir cotisé 41 ans et 9 mois, et il faut rajouter 1 an pour éviter la pénalité Agirc-Arrco. Dans le futur, on se situera à 66 ans pour quelqu'un entrant maintenant dans la vie active à 22 ans. Si l'on se base sur cette définition de « l'âge normal de la retraite », la France se situe à peu près dans la moyenne des pays de l'OCDE.
Et s'agissant de l'âge de départ minimum légal ?
En revanche, en se basant sur l'âge de départ minimum légal, fixé à 62 ans dans le régime général, la France fait figure d'exception par rapport aux autres pays de l'OCDE. Aujourd'hui, à 62 ans, on peut avoir accès à une retraite pleine, sous certaines conditions. C'est un âge peu élevé par rapport à la grande majorité des pays de l'OCDE où l'on ne peut typiquement pas partir avant 64 ou 65 ans avec une pension complète. Dans plusieurs pays, on peut partir à 62 ans ou moins, mais avec une retraite partielle, sauf au Luxembourg et en Slovénie, et en Grèce qui a lié l'âge à l'espérance de vie.
Au Danemark, par exemple, l'âge de départ minimum légal pour avoir accès à une pension complète est fixé à 67 ans. Aux Etats-Unis, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni 66 ou 66,5 ans ; en Allemagne 63,7 ans (avec 45 ans de cotisations) et ça va augmenter jusqu'à 65 ans pour les personnes nées en 1964 ; en Espagne 65 ans (avec 38,5 ans) ; en Italie 64 ans (avec 38 ans). Des augmentations sont prévues dans de nombreux pays.
Sur les dépenses des retraites, la France est-elle si dépensière ?
Les dépenses de retraites, publiques et privées confondues, en pourcentage du PIB font partie des plus élevées des pays de l'OCDE. Elles se sont accrues de plus de 2 points de PIB depuis 2000, contre 1,5 point en moyenne dans les pays de l'OCDE. [En 2020, c'est le premier poste de dépenses de la protection sociale avec 332 milliards d'euros de pension versés en 2020, soit 14,4 % du PIB, NDLR.]. La pression du vieillissement sur les dépenses va rester aiguë.
Quand on regarde l'âge moyen de sortie du marché du travail, la France fait partie des pays où cet âge est le plus faible (-2,5 ans en dessous de la moyenne). Augmenter le taux d'emploi des seniors est un objectif qui va au-delà du simple équilibre financier du système des retraites. En France, comme dans beaucoup de pays, on a eu une progression très forte du taux d'emploi des seniors depuis 20 ans. Parmi les 50-59 ans, on est dans la moyenne des pays de l'OCDE. En revanche, à partir de 60 ans, on décroche brutalement. Or, quand les gens sortent tôt du marché du travail, cela réduit le potentiel productif de l'économie, ce qui a pour conséquence de réduire l'ensemble des recettes budgétaires et le niveau de vie global du pays.
Les réformes récurrentes du système des retraites, depuis 40 ans, est-ce une spécificité française ?
Oui et non. Tous les pays sont confrontés aux aléas économiques et au vieillissement démographique, ce qui peut nécessiter des ajustements paramétriques. Mais tout dépend de la situation de départ. En France, ça fait plus de 30 ans qu'on fait des réformes successives, en partie car elles ne résolvent que partiellement le problème. De plus, il n'y a pas d'ajustement automatique. On fait des projections, mais il faut alors s'adapter à l'évolution non prévue de la démographie, de l'emploi, de la croissance. L'objectif d'un système de retraites doit être d'assurer un niveau de pension le plus élevé possible dès lors que le système est viable financièrement. En France, il a fallu le réformer régulièrement pour éviter que les dépenses ne s'accroissent trop.
Les Etats-Unis par exemple font des réformes d'envergure qui prennent du temps mais qui s'inscrivent dans le temps long. Les réformes y sont ensuite valables pendant 40 ans. D'autres pays mettent en place des mécanismes d'ajustement automatique. Cela signifie qu'ils définissent des règles qui font qu'ils vont ajuster, par exemple, les paramètres d'âge ou le niveau des pensions en fonction de la mortalité, de la fécondité ou de l'équilibre financier. La Suède, l'Italie, la Lettonie, la Pologne par exemple ajustent automatiquement le niveau de pension en fonction de l'espérance de vie.
Ces liens automatiques ne veulent pas dire que la démocratie est supprimée. On peut changer les règles. Mais ils ont le mérite de faire que les débats soient moins enflammés qu'en France, les ajustements moins erratiques, plus justes d'une génération à l'autre.
42 régimes de retraites, est-ce propre à la France ?
La France est unique dans ce cas à avoir 42 régimes de retraites. Les Etats-Unis ont bien plusieurs systèmes : un régime public obligatoire, unique, complété par les régimes professionnels privés et facultatifs, gérés par les fonds de pensions. Comme la France, seulement la Corée du Sud, l'Allemagne et la Belgique ont des régimes public et privé totalement séparés. Par exemple, l'Italie, la Suède, l'Espagne, le Portugal n'ont, ou n'auront pas de régimes séparés.
C'était l'objectif d'Emmanuel Macron d'instaurer un régime universel par points, quel que soit le métier, le statut, auquel nous étions favorables à l'OCDE, pour plus d'équité. Cette complexité du système français explique aussi qu'il est compliqué de réformer d'un coup et qu'il faille réformer souvent.
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*L'OCDE, l'Organisation de coopération et de développement économiques, est une organisation internationale d'études économiques, dont les pays membres - des pays développés pour la plupart - ont en commun un système de gouvernement démocratique et une économie de marché.