
[Article publié le 30 septembre 2022, mis à jour le 18 janvier 2023]
C'est la sixième réforme des retraites en trente ans. Le 10 janvier, la Première ministre, Elisabeth Borne, a présenté la version qui passera en Conseil des ministres le 23 janvier, avant d'arriver à l'Assemblée nationale le 6 février. Le projet prévoit notamment le relèvement de l'âge de départ à la retraite à 64 ans, contre 62 actuellement. En outre, pour bénéficier de sa retraite à taux plein, il faudra avoir travaillé 43 ans, durée de cotisation votée dans le cadre de la loi Touraine en 2014, mais le passage à cette mesure est accéléré par la nouvelle réforme. Autre mesure prévue : la suppression des régimes spéciaux pour « les nouveaux embauchés à la RATP, dans la branche industrie électrique et gazière (EDF, etc), à la Banque de France, les clercs de notaires et les membres du CESE (Conseil économique, social et environnemental) [qui] seront affiliés au système général pour la retraite », a indiqué le gouvernement. Autant de dispositions qui font débat et qui n'ont pas manqué de provoquer la colère des syndicats qui prévoient, jeudi, une journée de grève massive.
Cette réforme, dont l'exécutif ne cesse, depuis quelques jours, de marteler la nécessité, s'inscrit dans une longue histoire de réformes successives, visant à adapter, améliorer, ajuster un système mis en place en 1945, avec la création de la Sécurité sociale, au sortir de la Seconde Guerre mondiale. La Tribune revient sur l'évolution du système des retraites et les principales réformes menées par les précédents gouvernements.
De 1945 à 1993 : le système des retraites se met en place
« Cette période marque la mise en place progressive des retraites avec des conditions de moins en moins difficiles d'accès aux pensions », résume Bruno Palier, directeur de Recherche CNRS au Centre d'études européennes et de politique comparée*.
En 1945, c'est la création du système de retraites par répartition. Ce système, qui remplace un système par capitalisation qui n'avait pas bonne presse, est considéré comme une source de solidarité entre les générations. Le principe ? Les cotisations des actifs servent à payer immédiatement les retraites, tout en leur ouvrant des droits pour leur future retraite. « Au sortir de la guerre, il faut vite essayer de soutenir les personnes âgées qui ont souffert. On essaie de garantir un minimum », souligne Bruno Palier.
En 1956 est créé le minimum, octroyé, sans conditions de ressources, à toute personne de plus de 65 ans.
Le tournant des années soixante. Cette période marque un grand changement en Europe, y compris en France. Les gens vivent plus longtemps, la croissance économique est très forte, les conditions de vie augmentent. Ces années voient l'émergence des classes moyennes. « Mais les vieux sont encore laissés de côté », souligne Bruno Palier.
Au début des années 1970, le gouvernement de l'époque instaure un changement de règles. « On promet aux actifs que s'ils ont cotisé suffisamment, ils pourront maintenir leur niveau de vie à l'âge de la retraite», résume le directeur de recherche du CNRS à Sciences Po. Ainsi, en 1971, la durée de cotisation passe de 40 à 37,5 ans pour bénéficier d'une pension entière. En 1972, les régimes complémentaires sont rendus obligatoires pour tous les salariés du privé. Les décisions prises dans les années 1970 se réaliseront dans les années 90.
En 1982, sous François Mitterrand, c'est le passage à la retraite à 60 ans, comme âge de départ minimum légal, au lieu de 65 ans. Parallèlement, dans les années 80, la population vieillit, le taux de fécondité baisse. « On réalise qu'il y a de moins en moins d'actifs et de plus en plus de retraités, souligne Bruno Palier. Ces projections démographiques inquiètent car on voit arriver une génération de retraités qui vont bénéficier de règles plus généreuses. »
A partir du début des années 1990, les règles se durcissent
En 1991, paraît le Livre blanc sur les retraites, premier rapport proposant les grands enjeux de la réforme des retraites. S'ouvre alors un cycle de réformes visant à prendre en compte les conséquences du vieillissement. Les réformes de 1993, 2003, 2010 et 2013 ont cherché à aligner les conditions du secteur public et des régimes spéciaux sur le privé.
En 1993, Edouard Balladur commence par durcir les règles pour le privé. Les salariés doivent cotiser 40 ans au lieu de 37,5 ans pour toucher leur retraite à taux plein, leurs pensions sont calculées sur les 25 meilleures années, et non plus sur les 10 meilleures, et les pensions ne sont plus revalorisées sur les salaires mais sur l'inflation (qui, à l'époque, augmente beaucoup moins vite). « Cette réforme de 1993 est la plus forte de toutes les réformes. Mais paradoxalement, elle n'a pas fait l'objet de manifestations, souligne Bruno Palier. Edouard Balladur a été rusé. Il s'est concentré sur les retraites du secteur privé, moins syndiqué. A l'époque il y a beaucoup de chômage. Parallèlement, il met en place un fond de solidarité vieillesse négocié avec les syndicats. Il fait passer sa réforme au mois d'août, et promet qu'il va faire un plan de lutte contre le chômage. D'une certaine manière, il parvient à acheter le silence des syndicats.»
En 1995, le premier ministre Alain Juppé tente de réformer les retraites du secteur public. En affichant de manière inflexible sa volonté de mettre fin aux régimes spéciaux, le premier ministre de Jacques Chirac coalise l'ensemble des syndicats, qui mettent alors la France à l'arrêt (21 jours de grève entre novembre et décembre 1993). « Ce blocage de la France renforce l'idée que réformer les régimes spéciaux est quasi impossible. Il faut dire aussi que le paquet était sans doute trop lourd. En plus des retraites, il voulait réformer le système de santé et geler les prestations familiales », commente Bruno Palier.
En 2000, sous Lionel Jospin, pas de réforme. C'est la création du COR, le Conseil d'orientation des retraites, instance chargée de formuler des propositions.
En 2003, la loi dite « Fillon » touche à l'ensemble des régimes, exceptés les régimes spéciaux. François Fillon, alors ministre du Travail de Jacques Chirac, essaie d'aligner les régimes du public sur le privé. Il y parvient pour la durée de cotisation. Pour avoir une retraite à taux plein, les fonctionnaires doivent désormais avoir cotisé 41,5 ans. En revanche, il ne touche pas à l'âge minimum légal de 60 ans.
En 2007, la réforme des régimes spéciaux de retraite est l'un des chantiers emblématiques de la présidence Sarkozy. L'objectif : faire travailler plus longtemps les cheminots et les agents RATP (qui vont progressivement passer de 37,5 années de cotisation à 41 ans en 2016). Cette réforme, entamée en 2007, aligne progressivement le régime de retraite des agents de la RATP et de la SNCF sur celui des fonctionnaires.
En 2010, seconde réforme des retraites sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy : la réforme Woerth met fin à la retraite à 60 ans et augmente l'âge de départ de deux ans, à 62 ans. Cette réforme fait rentrer chaque année 25 milliards d'euros dans les caisses de la Sécurité sociale, au prix de 3 millions de manifestants dans la rue.
En 2013, la réforme dite « Touraine », sous le quinquennat de François Hollande, se fait presque sans que les Français s'en aperçoivent, car les mesures sont diluées et reportées à plus tard. Cette réforme vise à augmenter progressivement la durée de cotisation (d'un trimestre de plus tous les trois ans de 2020 à 2035). Finalement, les générations nées à partir de 1973 cotiseront 43 ans au lieu de 41,5 ans actuellement. François Hollande qui avait aussi promis de remettre en cause l'âge de 62 ans ne le fait pas.
Janvier 2019 a vu la fusion des caisses de retraite complémentaire des salariés du privé Agirc et Arrco en un régime unifié « Agirc-Arrco ». A l'époque, le président Emmanuel Macron promet un régime universel par points, quel que soit le métier, le statut. Mais après une forte opposition dans la rue, il est coupé dans son élan par la crise sanitaire du Covid-19. Il enterre sa réforme, pour en relancer une nouvelle à l'automne 2022 dont il souhaite l'entrée en vigueur en 2023.
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* Bruno Palier est l'auteur notamment de Réformer les retraites (Presses de Sciences Po, 2021) et Les femmes, les jeunes et les enfants d'abord (PUF, 2022).
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