Réforme des retraites : le gouvernement droit dans ses bottes sur les 64 ans

Par latribune.fr  |   |  1431  mots
Si le Parlement ne s'est pas prononcé d'ici le 26 mars à minuit, les dispositions de la réforme pourront être mises en œuvre par ordonnance, ce qui serait inédit. (Crédits : Reuters)
Le gouvernement présentait ce lundi en Conseil des ministres sa réforme des retraites à l'issue duquel le ministre du Travail a réaffirmé la volonté de l'exécutif de décaler l'âge de départ à la retraite à 64 ans. Si le gouvernement semble prêt à quelques concessions, elles se feront seulement « à la marge ». De leur côté, les syndicats entendent amplifier encore la mobilisation après un début réussi et dénonce le fait que le projet soit débattu dans le cadre d'un projet de loi de financement de la Sécurité sociale rectificative pour 2023.

[Article publié le 23 janvier et mis à jour à 12h30]

Le gouvernement ne reculera pas. C'est ce qu'a affirmé, ce lundi, Olivier Dussopt, à l'issue du Conseil des ministres. Le ministre du Travail a, ainsi, fermé la porte à un recul du gouvernement sur le report de l'âge légal de départ à la retraite à 64 ans prévu par la réforme présentée le 10 janvier dernier par la Première ministre, Elisabeth Borne.

« Les mesures d'âge que nous prenons », le relèvement de l'âge légal à 64 ans en 2030 contre 62 ans actuellement et l'accélération de l'allongement de la durée de cotisation à 43 ans dès 2027 « sont celles qui permettent de ramener le système à l'équilibre en 2030 », a-t-il fait valoir lors du compte rendu du Conseil des ministres. « Revenir sur ce point serait renoncer au retour à l'équilibre et donc manquer de responsabilité pour les générations futures », a-t-il ajouté, tout en relevant « un désaccord avec les organisations syndicales » sur ce sujet.

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Dimanche, Emmanuel Macron a, lui, estimé avoir déjà fait preuve « d'ouverture » par rapport à son programme de campagne qui prévoyait initialement les 65 ans. S'exprimant lors d'une conférence de presse à Paris avec le chancelier allemand Olaf Scholz, le chef de l'Etat a toutefois refusé de dire clairement qu'il maintiendrait les 64 ans jusqu'au bout, pour ne pas se « substituer » au débat parlementaire. « Je souhaite que le gouvernement avec les parlementaires » puissent « aménager » le texte, a-t-il assuré. Avant de se montrer plus inflexible : « les besoins » sont « connus », et « je crois que là, maintenant, il faut pouvoir avancer ».

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Des enrichissements du texte « uniquement à la marge »

Bien que les différents ministres se relaient se disant prêts au « dialogue » afin « d'enrichir » le texte, les évolutions se feront, en effet, uniquement à la marge. Des « enrichissements » sont possibles, mais pas s'ils font dérailler l'équilibre financier du système, promis à l'horizon 2030, martèle-t-on. Le gouvernement a toutefois ouvert pour la première fois la porte, durant le week-end, à des mesures plus fermes sur l'emploi des seniors. Le ministre des Comptes publics Gabriel Attal s'est ainsi dit prêt à « regarder sans tabou des mesures coercitives pour les entreprises qui ne joueraient pas le jeu ».

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En revanche, l'exécutif s'est montré moins disposé sur un autre point qui crispe jusque dans les rangs du parti Les Républicains, pourtant seul allié annoncé de l'exécutif à l'Assemblée nationale : le fait que les personnes ayant commencé à travailler à 20 ans auront à cotiser 44 ans, et non 43 comme les autres, pour obtenir une retraite à taux plein.

 Le « cœur de la bataille » est « dans la rue »

Les organisations syndicales ne cessent de manifester leur opposition au projet de réforme. Une nouvelle journée de grève et de manifestation est d'ailleurs prévue le 31 janvier après celle du 19 janvier. Selon le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, « plus de 2 millions » de personnes avaient manifesté en France, contre 1,2 million d'après le ministère de l'Intérieur. « On espère faire encore plus fort le 31 » janvier, a prévenu le leader de la CGT, soulignant que « d'ici là, tous les jours il y aura des initiatives dans les entreprises, dans les départements ».

De son côté, le député François Ruffin a assuré dimanche que La France insoumise porterait à l'Assemblée « une opposition déterminée ». Mais il a promis que la gauche n'allait « pas sombrer dans le crétinisme parlementaire » avec une obstruction aveugle, estimant que le « cœur de la bataille » serait dans la rue.

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La forme retenue pour examiner le projet de loi fait débat

D'autant que le débat parlementaire devrait être mené au pas de course afin de faire adopter la réforme des retraites fin mars pour une entrée en vigueur du projet à l'été. Si le Parlement ne s'est pas prononcé dans les 50 jours, à partir du week-end prochain, soit d'ici le 26 mars à minuit, les dispositions de la réforme pourront être mises en œuvre par ordonnance, ce qui serait inédit.

Le leader de la CFDT Laurent Berger, a d'ailleurs déploré la forme retenue par l'exécutif pour examiner son projet de loi : un budget rectificatif de la Sécurité sociale, qui permet de limiter les débats dans le temps et d'utiliser à loisir l'arme du 49.3. « Vous ne pouvez pas faire passer de façon escamotée ce texte sur les retraites, dans ce climat social », a-t-il argué sur France 5. C'est le premier argument des opposants : le gouvernement a-t-il le droit pour un budget rectificatif d'utiliser la même procédure que pour le budget 2023 initial ?

Les députés LFI ont dénoncé auprès du Conseil d'Etat des « atteintes aux droits du Parlement », les écologistes pointant un « nouveau palier » franchi. Le patron des députés PCF André Chassaigne étrille « une manœuvre grossière, digne d'ennemis de la démocratie ». Un budget rectificatif sert à modifier les prévisions de recettes et dépenses de l'année en cours, pas à « imposer une réforme de fond », a déploré elle aussi Mathilde Panot, cheffe de file du groupe LFI. Les mesures de relèvement de l'âge légal de la retraite ou de durée de cotisations « relèvent » bien d'un PLFSSR car elles touchent aux comptes de la Sécu, rétorque le gouvernement.

Le Conseil constitutionnel vigilant

Selon le Canard Enchaîné, le président du Conseil constitutionnel Laurent Fabius a averti qu'il serait vigilant, notamment sur la création d'un « index » pour mesurer l'emploi des seniors : « tout ce qui est hors champ financier peut être considéré comme un cavalier budgétaire » et censuré. Les constitutionnalistes sont partagés sur ce PLFSSR, les uns évoquant un « détournement de procédure », les autres un outil légitime mais « ambigu ». Dans une tribune du Monde, le professeur de droit public Benjamin Morel a pointé un « risque démocratique » : que ce véhicule devienne « la norme des futures réformes sociales ». Autre grief de la gauche : les « entraves à la liberté des parlementaires », du fait notamment du calendrier resserré.

Avant la date butoir, l'exécutif peut en outre à tout moment devant l'Assemblée déclencher l'article 49.3 de la Constitution, qui autorise le gouvernement à adopter un texte sans vote, si les votes sur les amendements ne tournaient pas en sa faveur. Ou s'il pense ne pas réunir la majorité absolue pour le vote de l'ensemble de la réforme, à cause de défections chez les macronistes ou chez LR. Selon les informations de RTL, Elisabeth Borne devrait rencontrer demain, mardi, les députés LR pour les mobiliser.

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50.000 personnes pourraient décaler leur départ à la retraite cette année

Le relèvement de trois mois de l'âge légal, censé passer à 62 ans et 3 mois au 1er septembre prochain selon la réforme présentée par la Première ministre le 10 janvier dernier, « pourrait conduire (...) de l'ordre de 50.000 personnes à décaler leur départ », indique le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) dans son avis, rendu public, ce lundi, sur le projet de loi qui lui a été transmis.

Un texte dont le « caractère incomplet » ne lui permet pas d'évaluer l'incidence de moyen terme de la réforme des retraites, qui doit porter l'âge légal jusqu'à 64 ans en 2030 au rythme de trois mois par an. Mais compte tenu des informations disponibles, « cette mesure d'âge entraînerait une baisse des dépenses de 200 millions d'euros dès cette année. »

Le « maintien dans l'emploi » de ces actifs doit également générer « des recettes supplémentaires », non chiffrées mais qui « devraient être faibles ». En tout cas insuffisantes pour compenser la revalorisation des petites pensions, « dont le coût (...) a été provisionné à hauteur de 400 millions ». En y ajoutant 100 millions pour « des mesures sur la pénibilité et l'usure professionnelle » et autant pour celles « en faveur des transitions emploi-retraite », l'ardoise des « dépenses supplémentaires » s'établit à 600 millions d'euros. Soit un « coût net estimé à 400 millions », poursuit le HCFP, qui en conclut que « la réforme des retraites aura un impact très faible sur les finances publiques en 2023 »

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