
Le gouvernement a finalement tranché : le recul de l'âge légal sera bien progressivement relevé, (dès le 1er septembre 2023, et à raison de trois mois par an), pour atteindre 64 ans en 2030. Emmanuel Macron avait souvent évoqué la question des 65 ans, il était notamment entré en campagne pour ce second quinquennat avec ce curseur. Elisabeth Borne l'a d'ailleurs rappelé, tout en reconnaissant que « les 65 ans n'étaient pas une fin en soi. » « Si nous présentons une proposition différente, c'est grâce au dialogue et à la concertation » a ainsi plaidé la chef du gouvernement. L'exécutif a opté pour un décalage un peu moins important. Et pour cause, les avantages pour lui sont nombreux.
1/ Un choix d'abord très politique
64 ans, la décision est en premier lieu politique. La retraite à 64 ans, c'est la borne votée depuis cinq ans par le Sénat à majorité à droite. C'est aussi le curseur pour lequel le nouveau leader des Républicains, Eric Ciotti a lui aussi plaidé dans ses entretiens avec Elisabeth Borne. Et ce qui fait dire à Olivier Marleix aujourd'hui « J'ai le sentiment que nous avons été entendus ».
Aller plus loin, et choisir les 65 ans, aurait été pour Emmanuel Macron, prendre le risque de perdre le précieux soutien de la droite, qui se retrouve aujourd'hui la clef du vote de ce texte. Sans la droite, l'exécutif ne peut espérer faire passer son texte sans recours au 49.3. Alors que le gouvernement n'a pas de majorité absolue, il a donc absolument besoin des 62 voix des Républicains. « Eviter le 49.3 sur cette réforme cruciale sera une sacrée victoire pour nous », se félicite déjà un ministre de premier plan. « Cela permettra d'afficher un compromis qui sera utile aussi pour les autres textes à venir du quinquennat ».
2/ 64 ans permettent de maintenir l'unité de la majorité
Au sein de Renaissance, de nombreuses voix issues de la gauche et du centre sont montées au créneau, ces dernières semaines, pour que le gouvernement ne dépasse pas les 64 ans. Au premier rang, le Modem et François Bayrou, allié historique de la macronie, a notamment souvent plaidé en ce sens.
Aller au-delà de 64 ans aurait été là aussi prendre le risque, au niveau politique, de voir le bloc de la majorité gouvernementale se fissurer. Emmanuel Macron garde en mémoire, lorsqu'il n'était alors que secrétaire de François Hollande à l'Elysée, la scission des frondeurs, sur la loi Travail qui avait largement abîmé la fin de quinquennat du socialiste. Pas question donc de commettre ce type d'erreurs. Surtout dans le contexte où le président de la République ne dispose pas d'une majorité absolue, il doit pouvoir compter sur des députés Renaissance unis.
3/ Adoucir l'opposition de l'opinion
Si dans les enquêtes d'opinion, les trois-quarts des Français sont contre la retraite, il apparaît toutefois une véritable différence entre un décalage à 64 ou 65 ans. Selon Jérôme Fourquet, le directeur du département opinion et stratégies de l'IFOP, en décembre dernier, il y avait 15 points d'écart entre les deux bornes d'âge. Un différentiel non négligeable alors que le gouvernement craint des mobilisations et des grèves.
Cela fait longtemps, aussi, que les Français entendent parler des 64 ans... C'était l'âge pivot avancé par Edouard Philippe dans le projet de retraites par points présenté en 2019. « Il y a une petite musique à laquelle ils se sont habitués », veut croire un conseiller de l'Elysée.
Pour autant, la bataille de l'opinion est loin d'être gagnée. L'enjeu pour le gouvernement aujourd'hui est surtout de convaincre les Français que cette réforme est « juste et équitable », comme l'a répété à plusieurs reprises Elisabeth Borne. La première ministre en a conscience : le décalage de l'âge est assorti de plusieurs contreparties, notamment pour les salariés exposés aux métiers les plus pénibles ou qui ont commencé à travailler tôt.
4/ 64 ans, pour tenter de réduire (un peu) l'opposition syndicale
Si le gouvernement a si souvent répété que les 65 ans ne sont pas un totem, c'est aussi parce que les syndicats lui ont aussi fait savoir qu'ils en étaient un pour eux. Un passage à 65 ans aurait été vécu comme extrêmement violent. Matignon espère que 64 ans sera plus facile à faire adopter. L'astuce, qui consiste aussi à augmenter les cotisations patronales Accidents du travail, à coût du travail constant, est aussi un signe adressé aux syndicats. Cette disposition va faire bondir le patronat.
« Pour Laurent Berger de la CFDT "cette réforme est déjà la plus violente depuis 30 ans"... qu'aurait-il dit si nous avions opté pour 65 ans », confie un membre du gouvernement. Reste que les syndicats ont d'ores et déjà prévu de se mobiliser. Ils se retrouvent dès ce mardi soir à l'occasion d'une intersyndicale. Tous seront présents, du jamais vu depuis douze ans, pour définir une stratégie commune. Probablement une grève et journée d'action dès le 19 ou le 24 janvier prochain...
Pour l'heure, les huit principaux syndicats français ont annoncé dans la foulée de l'annonce d'Elisabeth Borne une première date de mobilisation contre la réforme des retraites, le 19 janvier, espérant qu'elle « donne le départ d'une puissante mobilisation sur les retraites dans la durée. »
5/ ...... tout en cherchant à fracturer rapidement ce front syndical
Certes, le syndicat réformiste fustige par essence les 64 ans, estimant que, de fait, le passage par un recul de l'âge est plus injuste que l'allongement de la durée de cotisation. Mais 64 ans, assortis de mesures de compensation, peuvent permettre au gouvernement (au fur et à mesure de la discussion) d'isoler Laurent Berger et de fissurer le front syndical. « Cela peut permettre la discussion à Laurent Berger... et, à terme, lui offrir une sortie par le haut : dans laquelle il pourra dire 'regardez, on a quand même pesé sur le gouvernement », plaide encore ce conseiller ministériel.
Pour tenter aussi de faire passer la pilule à la CFDT, le gouvernement a aussi annoncé un renforcement des carrières longues, si cher à Laurent Berger, puisque c'était François Chérèque son prédécesseur qui les avait conquises. Matignon promet ainsi « qu'aucune personne ayant commencé à travailler tôt ne sera obligée de travailler plus de 44 ans. » Et d'assurer : « Ceux qui ont commencé avant 16 ans pourront partir dès 58 ans, entre 16 et 18 ans, à partir de 60 ans, et entre 18 et 20 ans, à partir de 62 ans. Autrement dit, il serait toujours possible de partir autour de 60 ans, sous certaines conditions. »
Enfin, le gouvernement promet aussi une meilleure prise en compte de la pénibilité, en intégrant notamment le port de charge lourde, et d'améliorer le compte pénibilité, le C2P. Est également prévu la création d'un fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle d'un 1 milliard d'euros pour essayer de calmer la grogne de la CFDT, très en pointe, sur cette question depuis longtemps.
6/ 64 ans permettent de rétablir les comptes du régime d'ici à 2030
Certes, 65 ans aurait permis d'engranger plus d'argent. Et les besoins sont conséquents : selon les dernières projections du Conseil d'orientation des retraites, si rien n'est fait, le système sera en déficit dès l'an prochain. Il devrait atteindre 12,4 milliards d'euros en 2027, 21 milliards en 2035.
Selon le gouvernement, avec son projet, l'équilibre du système de retraite sera atteint en 2030. Si l'on en croit ses projections, les économies brutes générées s'élèveront à plus de 10 milliards d'euros dès 2027. « Cette réforme financera les retraites et rien d'autres que les retraites », a par ailleurs précisé Elisabeth Borne, consciente des couacs de communication autour de cette question ces dernières semaines. En effet, Emmanuel Macron a parfois assuré que cette réforme était nécessaire aussi pour retrouver des marges de manœuvres budgétaires, pour financer l'école, la santé, ou encore la transition écologique.
7/ 64 ans un gage aussi pour nos voisins européens...
Porter l'âge de départ à 64 permet enfin de se rapprocher de l'âge de départ appliqué chez nos voisins. Avec ses 62 ans, la France faisait presque figure d'exception. En Espagne, l'âge de départ pour une retraite à taux plein est aujourd'hui fixé à 65 ans; il est à 66 ans en Allemagne, 67 en Italie... Même s'il est difficile de comparer les régimes, les pays européens attendent de la France qu'elle s'aligne. Pendant longtemps, à l'occasion des sommets européens, les dirigeants allemands ont d'ailleurs souligné, non sans ironie, à leurs homologues français, combien la vie était douce dans l'Hexagone ... pour les plus âgés.
Ces derniers mois, dans le pacte de stabilité, Paris a aussi promis à Bruxelles une réforme. Autant d'engagements que tient à honorer Emmanuel Macron, alors qu'il cherche à préserver l'axe franco-allemand et prendre une forme de leadership en Europe.
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