Face aux « aléas politiques », le pouvoir macroniste utilise le 49.3 sans trembler

POLITISCOPE. Article 49.3 sur le budget 2023 et celui de la Sécu, qui en annonce d'autres sur d'autres textes, dissuasion et programme nucléaire de la France : sur fonds de crises et de retour de la guerre en Europe, assiste-on à une « militarisation » de la fonction présidentielle ? Emmanuel Macron en use et parfois selon certains en abuse.
(Crédits : Marine nationale)

Coup sur coup, la Première ministre Elisabeth Borne se retrouve donc obligée d'utiliser le 49.3 : à la fois pour faire passer son budget et pour que la loi de finance de la Sécurité sociale soit adoptée. Immédiatement, les oppositions ont dénoncé un « déni de démocratie ». Cela fait en effet plus de trente ans qu'un budget n'avait pas été adopté grâce au recours à un 49.3. Pour marquer le coup, la Nupes comme le RN ont décidé de déposer des motions de censure. Du côté de la majorité, on banalise pourtant la situation. Et on convoque la légitimité démocratique du président Macron pour mieux minimiser l'effacement du Parlement. Emmanuel Macron n'a pas encore 45 ans, mais il pourrait reprendre la boutade du Général de Gaulle qui déclara en 1958 lors de son accession au pouvoir : « Pourquoi voulez-vous qu'à 67 ans je commence une carrière de dictateur ? »

C'est qu'Emmanuel Macron, dès son premier quinquennat, a toujours eu une grande facilité à se glisser dans le costume bonapartiste de la Vème République. Quand il n'était encore que banquier d'affaires chez Rothschild, il avait pourtant écrit un article dans la revue Esprit dans lequel il critiquait assez vertement l'hyper-présidentialisme à la française. Et pourtant, dans le même texte (intitulé bizarrement et façon « en même temps », « les labyrinthes de la politique. Que peut-on attendre pour 2012 et après ? »), Emmanuel Macron n'hésitait pas à justifier une véritable parenthèse démocratique sur certaines questions « structurelles », et notamment les questions budgétaires : « Car le traitement des problèmes longs implique parfois une forme de "réduction" des pouvoirs politiques, c'est à dire l'instauration de mécanismes supra-politiques qui garantissent à travers le temps une application constante, une protection contre les aléas politiques ».

Depuis son accession au pouvoir, Emmanuel Macron a toujours su tirer son épingle du jeu quand des événements survenaient, de la crise du Covid-19 à la guerre en Ukraine. Face à ces « aléas », le plus jeune président de la Vème République a toujours su manier le ton martial. Au point d'assister à une militarisation de la fonction ? C'est ce que tente de montrer l'économiste Claude Serfati dans un essai au titre provocateur L'État radicalisé, la France à l'ère de la mondialisation armée (La Fabrique, septembre 2022, 15 euros). Écrit peu de temps avant la guerre en Ukraine, l'auteur remarque notamment que le président Macron sait manier à merveille tous les pouvoirs de la Vème République.

S'il n'a pas encore utilisé l'article 16, celui sur les pleins pouvoirs, l'hôte de l'Elysée adore se présenter comme un « chef de guerre ». Serfati remarque ainsi que l'utilisation des conseils de défense et de sécurité nationale s'est considérablement intensifiée durant les quinquennats Macron. Instance inscrite dans la constitution de la Vème République depuis les origines, elle a été réunie par tous les présidents. Mais depuis une dizaine d'années, son rythme de convocation s'est particulièrement accéléré. Entre 2006 et 2010, le Conseil de défense se réunissait ainsi tout au plus trois fois par an, pour traiter de sujets souvent stratégiques (comme la dissuasion nucléaire ou les investissements militaires). Lors des attentats terroristes de 2015, François Hollande décida de convoquer des conseils de défense restreints toutes les semaines. Et depuis son élection de 2017, Emmanuel Macron a augmenté également le rythme de ces réunions particulières, aimant les utiliser face à toutes les « crises majeures », une dénomination particulièrement large et floue.

L'utilisation de ces conseils de défense est pourtant loin d'être anodine et permet, comme avec le 49.3, de contourner la souveraineté des députés et des sénateurs. Car les décisions prises par ces conseils de défense échappent à tout contrôle et évaluations parlementaires. « On signalera que les réunions du Conseil de Défense sont couvertes d'un absolu secret défense pour une durée de cinquante ans », ajoute Serfati.

Parmi toutes les démocraties occidentales, la France a donc un fonctionnement particulier. Et son héritage remonte à loin, bien avant la Vème République. Le bonapartisme a laissé des traces profondes dans notre pays centralisé. Et l'armée comme la dissuasion nucléaire ont pris une place toute particulière à partir du milieu du XXème siècle dans cette « verticalité » toute napoléonienne. Au-delà de l'instrument du 49.3, de multiples états d'exception existent dans notre vieux pays depuis bien longtemps. C'est ce que reconnaissait l'illustre directeur du Commissariat à l'Énergie Atomique (CEA), Pierre Guillaumat, qui n'hésitait pas à prendre ses distances avec la démocratie parlementaire sous la IVème République : « Nous n'avions pas besoin du Parlement. L'ordonnance du Commissariat à l'énergie atomique lui donnait mission de faire la bombe atomique. » Et de prendre pour exemple une négociation avec les gouvernements allemands et italiens concernant l'arme nucléaire : « C'est moi qui ai mis mon ministre au courant. Le président du Conseil ne l'était pas. C'était uniquement au niveau du ministère de la Défense nationale ». Ce témoignage permet en tout cas à Claure Serfati d'ironiser : « Voilà au moins un exemple qui démonte le mythe de la souveraineté du Parlement dans la Quatrième République ».

Contre ce dogme de la dissuasion nucléaire, Paul Quilès, ancien sénateur socialiste et ancien ministre de la Défense de François Mitterrand, ne mâchait pourtant par ses mots à la fin de sa vie : « C'est une curiosité du système politique de la Vème République que des décisions militaires aux conséquences politiques et financières d'une telle ampleur puissent être prises sans réel débat et sans contribution significative du Parlement ». C'est d'ailleurs le président Macron qui a décidé, quasiment seul, la relance d'un programme nucléaire civil ainsi que le lancement d'un nouveau projet de porte-avion nucléaire. À côté, faire passer le Budget ou la loi de finance de la Sécurité Nationale en utilisant le 49.3 semble être un jeu d'enfant. D'autant que dans notre petit théâtre parlementaire, le groupe LR a décidé de ne pas déposer de motion de censure, et que le RN et la Nupes se neutralisent au Parlement : alors qu'une motion de censure requièrent la majorité absolue pour être adoptée, celles qui viennent d'être déposées par la Nupes et le RN n'ont aucune chance de faire tomber le gouvernement, chaque camp ayant annoncé qu'il ne voterait pas la motion de l'autre.

Marc Endeweld.

Commentaires 12
à écrit le 23/10/2022 à 17:03
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Prions pour qu'un "accident fâcheux" ne nous impose pas une nouvelle élection présidentielle ! ;-)

à écrit le 23/10/2022 à 17:02
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Prions pour qu'un "accident fâcheux" ne nous impose pas de nouvelle élection présidentielle ! ;-)

à écrit le 23/10/2022 à 11:19
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l esprit qu on veut avoir gâte celui qu a ! la confiance à la renaissance s érode

à écrit le 22/10/2022 à 16:58
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Macron joue avec le feu a force d'abuser d'abuser du 49/3 il va exiter les Français et sa risque de se finir dans la rue il a pas connu mai 68 mais si cela lui tombe dessus il va comprendre sa douleur et avec le temps cela risque d'etre plus vir...

le 24/10/2022 à 13:17
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" il a pas connu mai 68 mais si cela lui tombe dessus il va comprendre sa douleur " Cette génération est devenu une grosse partie de son électorat maintenant.

à écrit le 21/10/2022 à 20:47
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Donc selon La Triibune la democratie , ne pas avoir la majorité, est un " alea politique " BRAVO BRAVO

le 22/10/2022 à 11:00
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un alea politique c'est nier sa responsabilite de ne pas avoir de majorité c'est aussi nier a l'opposition le droit de poser des questions c'est aussi de rendre les autres responsable de sa nullité un tout petit napoleon lui qui se voyait patron ...

à écrit le 21/10/2022 à 20:26
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Macron a usé les conseilles de guerre oil passe au 49.3 pour se passer de l assemblée... un petit Lenine ...

à écrit le 21/10/2022 à 19:08
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Discuter c'est bien mais à un moment il faut agir. Pour comprendre il faut s'être "frotté " par exemple à la réalité de la gestion d'une entreprise. Pas trop le temps de discuter, les décisions n'attendent pas.

à écrit le 21/10/2022 à 18:57
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Il a tout a fait raison en 2027 il se casse donc il fait ce qu'il veut et ne risque rien

à écrit le 21/10/2022 à 17:30
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Au lieu de minimiser les mécontentements, il les aggrave... il met "de l'eau au moulin" de l'opposition sans rien y gagner !

à écrit le 21/10/2022 à 17:13
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Je dénie au gouvernement le droit de gérer la Sécurité Sociale qui est la propriété de ses adhérents, comme de s'occuper des retraites du secteur privé. En dehors du fait qu'il nous impose un déficit des comptes de Notre Etat (comme ses prédécesseurs...

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