
De Calais à Marseille en passant par Brest ou Strasbourg, des milliers de manifestants ont battu le pavé ce jeudi 19 janvier partout en France. La mobilisation contre le projet phare d'Emmanuel Macron a touché de nombreux secteurs aussi bien dans le public que dans le privé. Plus de 200 points de rassemblement étaient prévus sur tout le territoire.
Après cette première journée « noire » dans les transports, les principaux syndicats de salariés (CFDT, CGT, FO, CFTC, CFE-CGC) rassemblés pour la première fois depuis 12 ans et les organisations de jeunesse espèrent prolonger le bras de fer dans les semaines à venir. Du côté du gouvernement, les ministres espèrent faire passer rapidement le texte de la réforme décriée au Parlement en passant par un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS).
Dans les milieux patronaux, les inquiétudes se propagent à vive allure. La CPME Paris-Île-de-France avait déjà appelé à l'aide dans un communiqué publié avant même le début des cortèges. « L'état d'urgence économique dans lequel se trouvent nombre d'acteurs, affaiblis par les conséquences économiques de la crise sanitaire, appelle une protection et une aide d'urgence, faute de quoi plusieurs secteurs de la capitale verront leur dévitalisation commerciale et économique accélérée. »
Dans ce contexte troublé, beaucoup redoutent une dégradation du climat des affaires. Il est encore difficile à ce stade d'évaluer l'ampleur des répercussions macroéconomiques de cette bataille sociale. Tout va dépendre de la durée et du degré de mobilisation. « Il est encore trop tôt pour savoir si l'impact de ces mouvements sera important. En 2018, il y a eu les gilets jaunes, des grèves dans les transports. En 2019, il y a eu les mobilisations contre la réforme des retraites à points. Depuis cette période, l'économie française est devenue plus résiliente à ce type de mouvements. Au-delà de l'impact dans les transports, il n'y a pas de raison de penser que les conséquences de ces manifestations seront plus élevées, » a expliqué Fabien Bossy, économiste chez Oddo BHF interrogé par La Tribune.
Un impact macroéconomique sans doute limité du mouvement
Les grèves et différentes manifestations ne devraient pas avoir d'immenses conséquences sur la croissance du PIB tricolore. « Il y aura un impact microéconomique ponctuel dans certains secteurs ou certaines régions. En revanche, l'impact macroéconomique n'est pas massif en général », explique le chef du département de la conjoncture à l'Insee, Julien Pouget interrogé par La Tribune.
Sur les dernières décennies, les manifestations de 1995 et les blocages contre la réforme d'Alain Juppé, avaient frappé les esprits. A l'époque, le chef du gouvernement s'était montré inflexible face aux syndicats particulièrement remontés contre les mesures visant à mettre fin aux régimes spéciaux et la réforme du système de santé. Au total, la grève avait duré 22 jours entre novembre et décembre. « En 1995, les mouvements de grève avaient amputé la croissance trimestrielle de 0,2 point de PIB, » précise le statisticien.
Plus récemment, bien d'autres conflits sociaux ont émaillé le premier quinquennat d'Emmanuel Macron entre 2017 et 2022. Mais là encore, les différentes évaluations macroéconomiques ne montrent pas de chute importante de l'activité. « Les mouvements sociaux en novembre et décembre 2019, avec des grèves dans les transports ferroviaires et les raffineries, avaient ôté au maximum 0,2 point de PIB à la croissance du dernier trimestre en prenant en compte les effets indirects. Au printemps 2018, l'impact des grèves perlées était d'un peu moins de 0,1 point de PIB trimestriel, » résume Julien Pouget.
En outre, l'essor du travail à distance depuis la pandémie a complètement changé la donne dans de nombreux secteurs du tertiaire. Beaucoup d'entreprises et de salariés devraient adopter ce type d'organisation déjà amplement pratiquée pendant les longues périodes de confinement. « Depuis 2020, le télétravail s'est beaucoup développé. Même si tous les postes ne sont pas télétravaillables, cela peut limiter l'impact de la grève sur l'activité dans certaines zones», souligne l'économiste de l'institut de statistiques.
Une période de rattrapage
En outre, ces épisodes sont parfois suivis d'une période de rebond ou de rattrapage. « Une partie des pertes est récupérée les trimestres suivants. Une partie de l'activité est reportée. Et du reste, à ce stade, on ne sait pas si cette grève va durer ou non », souligne l'économiste. D'un point de vue historique, les événements de mai 68 avaient fait vaciller l'économie tricolore alors que la croissance était relativement dynamique à l'époque des « 30 glorieuse ». « En 1968, les grèves, qui avaient paralysé beaucoup de secteurs, avaient provoqué une chute de la croissance du PIB de -5,3% en rythme trimestriel, » rappelle Fabien Bossy.
En revanche, certains blocages démarrés ce jeudi matin dans l'énergie pourraient avoir un effet domino dans quelques autres secteurs très dépendants de l'électricité, du gaz ou du pétrole pour fonctionner. « Le principal risque est l'approvisionnement énergétique. Si la baisse de la production chez EDF se prolongeait et que des pénuries à la pompe se multipliaient, on pourrait assister à des perturbations. Mais cela ne devrait pas avoir un impact supérieur à quelques dixièmes de point, » souligne Fabien Boissy.
Une économie française déjà atone avant les grèves
Après le fort rebond de 2021, l'économie française s'est largement essoufflée en 2022. L'éclatement de la guerre en Ukraine, l'inflation et la crise énergétique ont complètement assombri l'horizon économique en quelques mois. La plupart des instituts de prévision avaient révisé leurs chiffres pour 2023 bien avant le début du bras de fer entre le gouvernement et les syndicats sur le dossier explosif des retraites. La Banque de France table sur un maigre 0,1% au premier trimestre 2023. Quant à l'Insee, la croissance pourrait également faire du surplace à 0,1% sur la même période.
Les derniers chiffres de l'inflation ont montré des signes de ralentissement. Mais l'indice des prix à la consommation ne devrait pas redescendre à des niveaux vraiment plus bas avant plusieurs mois. « 2022 s'est finie sur une meilleure note que prévu. Cela ne veut pas dire que l'on a finit de parler de l'inflation, » a récemment explique à La Tribune, Charlotte de Montpellier, économiste chez ING en charge du suivi de la zone euro. « Le pic d'inflation est devant nous. Il y a toute une série d'ajustements qui arrive en début d'année. Il devrait y arriver un impact de la baisse du bouclier tarifaire. Va-t-on atteindre le pic de 7% ? Ce pic est attendu dans le premier semestre, » a-t-elle ajouté.
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