
Emmanuel Macron a décidé d'utiliser l'artillerie lourde pour faire passer « la mère des batailles ». Après des semaines de débats houleux et de négociations chaotiques, le chef de l'Etat a dégainé l'article 49-3 lors d'un conseil des ministres réuni en urgence quelques minutes avant la séance parlementaire chaotique à l'Assemblée nationale ce jeudi 16 mars. « Ce n'est pas un compromis tiède, au contraire, ce sont des avancées pour celles et ceux qui ont commencé à travailler tôt, pour celles et ceux qui ont des métiers difficiles, pour revaloriser les pensions des femmes et mieux prendre en compte leurs carrières, ou encore pour augmenter les petites pensions », a déclaré la Première ministre Elisabeth Borne à l'Assemblée ce jeudi 16 mars.
En janvier dernier, lors de la présentation de la réforme, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire avait expliqué aux journalistes que le relèvement de l'âge légal de 62 ans à 64 ans pourrait rapporter 17,5 milliards d'euros bruts aux caisses de retraite.
L'objectif du gouvernement était de parvenir à l'équilibre budgétaire d'ici 2030 alors que le déficit prévu était de 13,5 milliards d'euros.
Au total, l'exécutif disposait d'un gain d'environ 4 milliards d'euros pour financer les mesures de compensations.
Mais cette enveloppe pourrait rapidement s'avérer insuffisante.
Les mesures accordées en CMP pourraient gonfler la facture à 7 milliards
En prenant en compte les nouvelles mesures adoptées en commission mixte paritaire ce mercredi 16 mars, le gain budgétaire net de la réforme pourrait être beaucoup moins important qu'annoncé. Dans un entretien accordé au Parisien début mars, le ministre du Travail, Olivier Dussopt, avait expliqué que, « quand bien même nous aurions un léger déficit de 300 ou 400 millions d'euros en 2030, comme c'est le cas dans l'état actuel de la réforme, ce n'est pas comparable avec un déficit de 13,5 milliards d'euros. »
Avant l'arrivée du texte au Sénat, fin février, le rapport parlementaire présenté par la commission des affaires sociales de la chambre haute évoquait un déficit de 600 millions d'euros, « ce qui est, certes, nettement plus favorable que le déficit hors réforme de 13,5 milliards d'euros mais ne correspond pas tout à fait à l'équilibre » souligne le document.
Au total, les mesures compensatoires étaient chiffrées à 5,9 milliards d'euros à l'époque.
Cette facture pourrait grimper à près de 7 milliards d'euros avec les mesures accordées par le gouvernement en Commission mixte paritaire.
Petites pensions : la revalorisation chiffrée à 2 milliards en 2030
De son côté, le porte-parole du gouvernement Olivier Véran a expliqué que la revalorisation des petites pensions allait toucher 1,8 million de personnes pour un coût d'environ 1,1 milliard d'euros. Au total, la revalorisation du minimum contributif (Mico) et des petites pensions allaient coûter environ 2 milliards d'euros par an à l'horizon 2030 selon un rapport de la députée Stéphanie Rist (Renaissance).
La « retraite minimale à 1.200 euros » a également fait l'objet de vifs débats entre le gouvernement et plusieurs membres de l'opposition. Plusieurs économistes spécialistes de la protection sociale ont montré que ce minimum allait concerner beaucoup moins de personnes que ce qu'annonçait le gouvernement initialement.
Carrières longues : un coût total estimé à 700 millions d'euros
Les carrières longues ont fait l'objet d'âpres débats tout au long de l'examen parlementaire du projet de loi financier. Et c'est sans doute l'un des points les plus controversés de la réforme des retraites.
En effet, le gouvernement a obtenu une bonne partie des voix chez Les Républicains (LR) en échange de l'adoption de cet amendement. Mais la version adoptée en CMP est loin des annonces faites par le gouvernement sur le maximum de cotisation de 43 ans pour les personnes ayant cotisé avant 21 ans.
En réalité, beaucoup de personnes pourraient devoir travailler plus longtemps que les 43 années de cotisations.
Selon plusieurs députés socialistes, 32% des personnes ayant commencé à travailler entre 15 ans et 21 ans pourraient devoir cotiser plus de 43 ans.
Certes, l'amendement proposé par Aurélien Pradié (LR) jugé « très coûteux » n'a pas été retenu dans la version adoptée par la CMP.
À l'Assemblée nationale, le ministre du Travail Olivier Dussopt avait estimé le coût de cette mesure entre 7 et 10 milliards d'euros dans sa version initiale. Dans la version adoptée en CMP, le coût total du dispositif carrière longue est estimé à 700 millions d'euros.
« CDI senior » : un chiffrage flou, oscillant entre 800 millions et 2,2 milliards
Lors de son passage au Sénat le week-end dernier, la droite a réussi à faire adopter un amendement proposant un « CDI senior ».
L'amendement porté par Les Républicains et le centre prévoit notamment que « dans le cadre de ce contrat à durée indéterminée, l'employeur sera exonéré de cotisations famille, afin de compenser le coût d'un salarié senior qui, compte tenu de son expérience, peut prétendre à une rémunération plus élevée qu'un jeune actif »...
D'abord contestée par l'exécutif, la version adoptée en commission mixte paritaire est plus restrictive. Dans le texte adopté, il est prévu un contrat de fin de carrière à titre expérimental applicable entre le premier septembre 2023 et le premier septembre 2026.
Avant de pouvoir mettre en place ce contrat de fin de carrière, le patronat et les syndicats devront s'entendre sur des mesures favorisant l'emploi des seniors à partir d'un document d'orientation transmis par l'exécutif.
Si les organisations paritaires ne trouvent pas de compromis sur un accord national interprofessionnel, le contrat de fin de carrière pourra s'appliquer. Ces conditions plus restrictives devraient réduire le coût de ce CDI senior avancé par le gouvernement estimé entre 800 millions d'euros et 2,2 milliards d'euros. Mais aucun chiffrage précis n'est présent dans le projet de loi de finance rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS).
Femmes ayant eu des enfants : la surcote (5%) estimée à 300 millions
Une surcote de pension allant jusqu'à 5% sera accordée aux femmes qui, sous l'effet des trimestres validés au titre de la maternité et de l'éducation des enfants, dépasseront les 43 annuités requises pour une pension à taux plein, un an avant l'âge légal de départ.
Le nombre de trimestres pour éducation attribués à la mère, dans le partage entre parents, est augmenté. La majoration de pension pour enfants sera étendue aux professionnels libéraux et aux avocats.
Le coût de cette mesure - critiquée par les syndicats et les économistes - est estimé à 300 millions d'euros.
Hausse des dépenses chômage, maladie, précarité : les coûts cachés de la réforme
Le gouvernement a régulièrement défendu sa réforme en expliquant qu'elle allait augmenter la participation des seniors au marché du travail.
Mais ce décalage de l'âge d'ouverture des droits va aussi entraîner une hausse du chômage, des bénéficiaires des minimas sociaux chez les seniors, mais aussi une hausse des dépenses de santé.
En effet, une grande partie des Français ne passent pas directement de l'emploi à la retraite sans bénéficier de dispositifs de solidarité d'assurance-chômage ou des mécanisme d'emploi-retraite.
Ainsi, une récente étude de l'Unedic révèle que, entre 2010 et 2022, le nombre de chômeurs de plus de 60 ans a augmenté de 100.000, provoquant une hausse des dépenses d'assurance-chômage de 1,7 milliard d'euros pour cette catégorie.
À côté de cette hausse des inscriptions à Pôle emploi, le nombre d'arrêts maladie risque également de bondir.
Plusieurs chercheurs du CNAM ont indiqué dans une récente note que le report de l'âge d'ouverture des droits en 2010 de 60 ans à 62 ans avait engendré une hausse de 68 millions d'euros de dépenses annuelles d'arrêt maladie.
Au final, l'addition de tous ces coûts pourrait peser sur les comptes sociaux d'autres administrations (Caisse nationale d'assurance-maladie) et organismes gestionnaires (Unedic pour l'assurance chômage) même si le déficit du système de retraites s'améliore.
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