
49.3 ou pas ? Vote favorable étriqué ce jeudi à l'Assemblée nationale? Vote défavorable? Quelle que soit l'issue, Emmanuel Macron aborde une séquence difficile. Car même si le projet de loi est adopté, il promet de laisser de profondes traces et le président risque d'en ressortir perdant sur de nombreux tableaux.
L'image d'un président qui passe en force
Certes, le locataire de l'Élysée pourra se targuer d'avoir tenu bon face aux oppositions, face à la rue, d'avoir sauvé un système de retraites par répartition en difficulté financière, mais sa victoire risque d'être teintée d'amertume. En effet, ce serait oublier un peu vite que la majorité des Français reste hostile à l'article 7 du texte, celui qui instaure le recul de l'âge de départ à la retraite de 62 ans à 64 ans. Aussi, l'adoption de ce texte, quel qu'en soit le moyen, restera comme un passage en force. Un passage en force politique et social.
Pourtant, à peine élu après son second mandat, Emmanuel Macron avait promis de faire preuve de plus d'écoute et d'être moins « jupitérien ». D'exercer le pouvoir de façon moins autoritaire, moins solitaire, et plus concertée. Las, les huit journées d'action en deux mois, réunissant souvent plus d'un million de manifestants, organisées par les syndicats, qui se sont opposés de façon unie et pacifiste à cette réforme, n'y auront rien changé. Idem pour la pétition en ligne qui a dépassé le million de signatures.
Pas plus que la demande très officielle, via un courrier, par ces mêmes organisations - de la CFDT à la CGT - d'être reçues à l'Elysée, dans la dernière ligne droite. Elle est restée lettre morte. Le président a choisi de tracer. De quoi nourrir aigreur et ressentiment chez une partie importante de la population.
Comment, après, retrouver de la cohésion politique ? Emmanuel Macron espère renouer le dialogue avec les partenaires sociaux en proposant dans la foulée une loi « Plein emploi ». Mais ces derniers ne sont pas dupes, et risquent de présenter quelques résistances....
Sans oublier, qu'en optant pour une réforme des retraites uniquement paramétrique, ayant pour axe central le recul de l'âge légal de départ à la retraite, Emmanuel Macron perd le caractère novateur qui était le sien en 2017, lorsqu'il proposait de changer de logiciel, en travaillant sur une réforme pour un passage à un système universel par points. Il revient à de vieilles recettes très classiques, qui, en prime, sont jugées injustes par l'opinion. Ses ministres auront beau répéter que cette réforme est juste, elle n'apparaît pas comme telle aux yeux des Français.
Un affaiblissement du politique
Par ailleurs, pour faire passer son texte, le président aura surtout négocié avec la droite, parti affaibli, tiraillé entre plusieurs chapelles. « Un deal », dont le pilier était le recul de l'âge, qui inévitablement laissera une teneur particulière à cette réforme des retraites, alors même qu'Olivier Dussopt, le ministre du Travail, ou même Elisabeth Borne, la chef du gouvernement, auront tenté de démontrer au fil des semaines, et par tous les moyens, que cette « réforme est de gauche. »
Sans compter que cette difficulté à convaincre entre les deux bords, aura des incidences sur la majorité présidentielle. Pas sûr que celle-ci ne réussisse à se maintenir à l'issue de ce passage des retraites. Celle-ci était déjà toute relative.
À quoi va-t-elle ressembler à l'issue de cette réforme ? Et comment gouverner dans ces conditions ? Comment faire passer des textes sur le nucléaire et les renouvelables, sur l'immigration, voire les institutions ? La tâche ne sera pas aisée pour Emmanuel Macron.
Plus globalement, alors que l'Assemblée nationale a souvent été comparée lors des débats à une cour de récréation, et que les esprits se sont aussi échauffés au Sénat, toute la classe politique ressort de ces débats abîmée avec une crédibilité amoindrie.
Des retombées économiques relatives
Emmanuel Macron s'est lancé dans cette réforme pour réduire le déficit de notre régime des retraites. Il visait 13,5 milliards d'euros d'excédents d'ici 2030. Reste qu'à l'issue de la séquence parlementaire, les mesures dites « de compensation », sociales ont considérablement amoindries ces retombées. En début de semaine, Bruno Le Maire, le ministre de l'Economie estimait la facture à plus de 6 milliards pour financer les aménagements carrière longue, le CDI sénior, etc. Ce qui réduit de facto la portée de la réforme.
Et ce, d'autant plus que le coût politique est important. Car les dispositifs plus sociaux ne sont pas perçus dans l'opinion. Par exemple, peu de Français se disent - à raison- que la promesse d'une retraite minimale à 1.200 euros bruts les concernera. Idem pour les femmes actives ayant des enfants : certes, le Sénat leur a ajouté une petite surcote de 5%, mais la réforme leur fait perdre (en partie) le bénéfice des trimestres maternité. Elles sont donc largement perdantes.
Par ailleurs, sur de nombreux points de la réforme, l'efficacité des mesures engagées est discutable. Que penser d'un « CDI senior », même expérimental, pour inciter les employeurs à engager des plus de 60 ans alors que le CDD Senior a été un flop ? Que dire d'un « index senior », là aussi pour encourager les patrons à maintenir les plus âgés dans l'emploi, quand on sait que « l'index égalité hommes-femmes » n'a pas permis d'améliorer les progressions de salaires ou les déroulés de carrière des femmes...
Peu importe, rapporte un conseiller ministériel, « le décalage de l'âge légal reste LE signal fort de ce texte, notamment pour les marchés et nos voisins européens. »
Avec une charge de la dette qui monte en flèche, dans un contexte de fébrilité boursière, cette réforme sera perçue comme une réelle avancée pour négocier les emprunts français. Ce sera au moins ça de gagné !
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