Sur le papier, la suggestion faite par le candidat Emmanuel Macron, le 17 mars dernier, a l'air simple : créer un guichet unique pour l'emploi, "France Travail", pour plus d'efficacité. Car aujourd'hui, de nombreux acteurs et organismes s'occupent des demandeurs d'emploi, Pole emploi tout d'abord mais aussi les missions locales pour les jeunes, les conseils départementaux pour les bénéficiaires du RSA, l'Afpa organisme qui gère la formation des chômeurs... etc. etc. Force est de constater que toutes ces institutions ne travaillent pas toujours ensemble, qu'il y a souvent des doublons. Par exemple, il n'est pas rare que des formations équivalentes, ou très proches soient commandées au même moment par Pôle emploi mais aussi par les régions. Un éparpillement coûteux et contre-productif.
Un coût de plus d'1 milliard d'euros par an
Mais ce regroupement auquel Emmanuel Macron aspire est-il réellement possible ? Plusieurs, bons connaisseurs du système, en doutent. "Un vrai big bang, une fusion totale, est très dur à mettre en place", reconnaît un proche du dossier. "Car les organismes n'y ont pas intérêt du tout. Il y aurait de fortes résistances et si fusion il y a, il faudrait aligner les statuts, les conventions collectives sur le mieux disant social- c'est à dire Pôle emploi-, il y aurait des compensations pour ceux qui partent etc.... , ça coûterait très cher ". Très concrètement, les salariés des missions locales voudront par exemple avoir le même statut que les 55 000 salariés de Pôle emploi. Idem pour les conseillers des caisses d'assurance maladie. Et ce spécialiste de l'emploi d'évaluer le coût à au moins 1 milliard d'euros, les premières années.
D'ailleurs, un temps envisagée sous ce quinquennat, la fusion de Pôle emploi et des missions locales mi 2019 avait été abandonnée car jugée trop chère.
Créer "France Travail", signifierait aussi mettre en place un logiciel commun, qui centraliserait les informations des demandeurs d'emploi. Un vaste chantier alors qu'aujourd'hui, ces données sont éparpillées. "Il faudrait beaucoup de temps pour mener ce genre de projet. Des années. "Est-ce que les Français peuvent attendre ? Non ! le chômage doit baisser au plus vite, et bénéficier de la dynamique de reprise. Il vaut mieux des conseillers occupés à aider les chômeurs que pris dans une fusion ", plaide encore ce spécialiste.
L'opposition frontale des syndicats
Au-delà des problématiques classiques d'une fusion - suppressions d'emplois, mise en place d'un système informatique commun... etc - , il faudrait s'attendre à de fortes oppositions politiques, sur le principe même de France Travail.
La majorité des syndicats ont déjà prévenu : ils sont opposés à cette idée, car l'objectif de France travail serait aussi de privilégier une forme de décentralisation. " Dans ce que l'on comprend, France Travail serait un grand guichet unique national, un grand label, mais avec des déclinaisons locales fortes, par bassins d'emplois ", plaide Michel Beaugas, chargé des questions d'emploi à Force Ouvrière. " Mais, c'est le meilleur moyen d'avoir des disparités et des inégalités. Nous refusons que les demandeurs d'emplois ne soient pas traités avec la même égalité des chances à Bordeaux, Boulogne-sur-Mer, à Paris, ou dans la Creuse. Nous sommes contre la régionalisation ", plaide-t-il. Il n'est pas le seul, même objection par exemple à la CGT.
Une idée, en partie expérimentée, et abandonnée
Par ailleurs, les experts de l'emploi se souviennent que ce genre de regroupement a déjà été mené, au moins en partie.... sans grand succès. Les maisons de l'emploi, impulsée par Jean-Louis Borloo, alors ministre du Travail, dans les années 2005, visaient cet objectif. Elles ont disparu peu à peu.
Idem pour les services publics de l'emploi local, les SPEL, crées en 2011, et déclinés dans certains territoires... mais dont la majorité aujourd'hui a fermé boutique.
Enfin, Pôle emploi résulte de la fusion en 2008 des anciennes Anpe et Assedic. La fusion devait permettre de rendre le service de l'emploi plus efficace, en mêlant indemnisation et accompagnement des chômeurs. Si Pôle emploi réussit à bien mener l'indemnisation des chômeurs, il délègue des missions d'accompagnement de certaines catégories de chômeurs - notamment très éloignés de l'emploi, ou en grande difficulté d'insertion - à des entreprises externes.
En passer par un entre deux ?
"Mieux vaut être pragmatique, réaliste, et humble : en essayant dans un premier temps de chasser les doublons, mais tout en gardant les structures existantes. Mieux les faire collaborer entre elles, en mettant en place par exemple des contrats, des conventions d'objectifs ", plaide par exemple Franck Morel, ancien conseiller social d'Edouard Philippe à Matignon, et aujourd'hui expert emploi à l'Institut Montaigne. En d'autres termes, y aller pas à pas, plutôt que de se lancer dans un grand mécano ambitieux voué à l'échec.
De fait, beaucoup voient derrière ce projet de "France Travail", une annonce marketing, qui dans les faits se révélerait une usine à gaz. Si Emmanuel Macron veut faire de la "valeur travail", la thématique phare de son second mandat, s'il est élu, la symbolisation en un seul opérateur semble périlleuse.
Dimanche 2 avril, lors de son meeting, à la Défense Aréna, le président-candidat a certes évoqué sa volonté d'aller plus loin dans la réforme de l'assurance chômage, mais il s'est bien garder de mentionner France Travail. Signe qu'il a déjà renoncé