Remplacer Pôle emploi par France Travail : pourquoi la proposition d'Emmanuel Macron a peu de chances de voir le jour

S'il est élu pour un second mandat, Emmanuel Macron veut aller plus loin que la réforme de l'assurance chômage qu'il a mise en place pendant son quinquennat. Son objectif : créer un guichet unique pour les demandeurs d'emploi. Vantée comme source d'efficacité, cette proposition promet d'être très difficile à mettre en place. Explications.
Fanny Guinochet
Emmanuel Macron veut transformer Pole emploi en France Travail
Emmanuel Macron veut transformer Pole emploi en France Travail (Crédits : Reuters)

Sur le papier, la suggestion faite par le candidat Emmanuel Macron, le 17 mars dernier,  a l'air simple : créer un guichet unique pour l'emploi, "France Travail", pour plus d'efficacité. Car aujourd'hui, de nombreux acteurs et organismes s'occupent des demandeurs d'emploi, Pole emploi tout d'abord mais aussi les missions locales pour les jeunes, les conseils départementaux pour les bénéficiaires du RSA, l'Afpa organisme qui gère la formation des chômeurs... etc. etc. Force est de constater que toutes ces institutions ne travaillent pas toujours ensemble, qu'il y a souvent des doublons. Par exemple, il n'est pas rare que des formations équivalentes, ou très proches soient commandées au même moment par Pôle emploi mais aussi par les régions. Un éparpillement coûteux et contre-productif.

Un coût de plus d'1 milliard d'euros par an

Mais ce regroupement auquel Emmanuel Macron aspire est-il réellement possible ? Plusieurs, bons connaisseurs du système, en doutent. "Un vrai big bang, une fusion totale, est très dur à mettre en place", reconnaît un proche du dossier. "Car les organismes n'y ont pas intérêt du tout. Il y aurait de fortes résistances et si fusion il y a, il faudrait aligner les statuts, les conventions collectives sur le mieux disant social- c'est à dire Pôle emploi-, il y aurait des compensations pour ceux qui partent etc.... , ça coûterait très cher ". Très concrètement, les salariés des missions locales voudront par exemple avoir le même statut que les 55 000 salariés de Pôle emploi. Idem pour les conseillers des caisses d'assurance maladie. Et ce spécialiste de l'emploi d'évaluer le coût à au moins 1 milliard d'euros, les premières années.

D'ailleurs, un temps envisagée sous ce quinquennat, la fusion de Pôle emploi et des missions locales mi 2019 avait été abandonnée car jugée trop chère.

Créer "France Travail", signifierait aussi mettre en place un logiciel commun, qui centraliserait les informations des demandeurs d'emploi. Un vaste chantier alors qu'aujourd'hui, ces données sont éparpillées.  "Il faudrait beaucoup de temps pour mener ce genre de projet. Des années. "Est-ce que les Français peuvent attendre ? Non ! le chômage doit baisser au plus vite, et bénéficier de la dynamique de reprise. Il vaut mieux des conseillers occupés à aider les chômeurs que pris dans une fusion ", plaide encore ce spécialiste.

L'opposition frontale des syndicats

Au-delà des problématiques classiques d'une fusion - suppressions d'emplois, mise en place d'un système informatique commun...  etc - , il faudrait s'attendre à de fortes oppositions politiques, sur le principe même de France Travail.

La majorité des syndicats ont déjà prévenu : ils sont opposés à cette idée, car l'objectif de France travail serait aussi de privilégier une forme de décentralisation. " Dans ce que l'on comprend, France Travail serait un grand guichet unique national, un grand label, mais avec des déclinaisons locales fortes, par bassins d'emplois ", plaide Michel Beaugas, chargé des questions d'emploi à Force Ouvrière. " Mais, c'est le meilleur moyen d'avoir des disparités et des inégalités. Nous refusons que les demandeurs d'emplois ne soient pas traités avec la même égalité des chances à Bordeaux, Boulogne-sur-Mer, à Paris, ou dans la Creuse. Nous sommes contre la régionalisation ", plaide-t-il. Il n'est pas le seul, même objection par exemple à la CGT.

Une idée, en partie expérimentée, et abandonnée

Par ailleurs, les experts de l'emploi se souviennent que ce genre de regroupement a déjà été mené, au moins en partie....  sans grand succès. Les maisons de l'emploi, impulsée par Jean-Louis Borloo, alors ministre du Travail, dans les années 2005, visaient cet objectif. Elles ont disparu peu à peu.

Idem pour les services publics de l'emploi local, les SPEL, crées en 2011, et déclinés dans certains territoires... mais dont la majorité aujourd'hui a fermé boutique.

Enfin, Pôle emploi résulte de la fusion en 2008 des anciennes Anpe et Assedic. La fusion devait permettre de rendre le service de l'emploi plus efficace, en mêlant indemnisation et accompagnement des chômeurs. Si Pôle emploi réussit à bien mener l'indemnisation des chômeurs, il délègue des missions d'accompagnement de certaines catégories de chômeurs - notamment très éloignés de l'emploi, ou en grande difficulté d'insertion - à des entreprises externes.

En passer par un entre deux ?

"Mieux vaut être pragmatique, réaliste, et humble : en essayant dans un premier temps de chasser les doublons, mais tout en gardant les structures existantes. Mieux les faire collaborer entre elles, en mettant en place par exemple des contrats, des conventions d'objectifs ", plaide par exemple Franck Morel, ancien conseiller social d'Edouard Philippe à Matignon, et aujourd'hui expert emploi à l'Institut Montaigne. En d'autres termes, y aller pas à pas, plutôt que de se lancer dans un grand mécano ambitieux voué à l'échec.

De fait, beaucoup voient derrière ce projet de "France Travail", une annonce marketing, qui dans les faits se révélerait une usine à gaz. Si Emmanuel Macron veut faire de la "valeur travail", la thématique phare de son second mandat, s'il est élu, la symbolisation en un seul opérateur semble périlleuse.

Dimanche 2 avril, lors de son meeting, à la Défense Aréna, le président-candidat a certes  évoqué sa volonté d'aller plus loin dans la réforme de l'assurance chômage, mais il s'est bien garder de mentionner France Travail. Signe qu'il a déjà renoncé 

Fanny Guinochet
Commentaires 12
à écrit le 30/04/2022 à 19:47
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C'est ici aussi le mille-feuilles administratif. L’État, ses établissements publics (Pôle emploi), les régions, départements, communes, etc..., agissent chacun dans leur coin en doublonnant, subventionnant, avec du personnel à payer, des dépenses de ...

à écrit le 05/04/2022 à 10:49
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Avec France Travail: dites-nous ce dont vous avez besoin on vous dira comment vous en passer. C'est le contribuable qui paye et le chômeur qui chôme.

à écrit le 05/04/2022 à 9:19
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Changer le nom pour qu'un "droit" devienne un "devoir" au service des plus riches! C'est le retour de l'esclavage!

à écrit le 05/04/2022 à 8:26
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Au lieu d'entendre ou de lire :" POLE EMPLOI regrette de ne pas pouvoir donner suite à votre demande de formation / orientation / mobilité / recherche d'emploi car celle-ci n'entre pas dans le cadre de nos attributions", vous entendrez ou lirez: " ...

le 05/04/2022 à 9:28
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Avec en plus: "Voici votre facture "

à écrit le 05/04/2022 à 8:11
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"Un coût de plus d'1 milliard d'euros par an" Sachant que pôle emploi, étrillé depuis plusieurs années par la cours des comptes coûte déjà 5 milliards tandis que distribuant des dividendes à des actionnaires milliardaires puisque de nombreux entrepri...

le 16/08/2022 à 11:47
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C’est faux, les chômeurs trouvent du travail grâce à pôle emploi Ce que critique la cour des comptes ce sont les salaires des hauts cadre Trop facile de critiquer quand on connaît pas le fond du problème

à écrit le 04/04/2022 à 21:05
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Des entreprises cherchent ,des chômeurs cherchent mais ne se rencontre jamais .Comme des voies parallèles d'une ligne de chemin de fer .Ajoutons des aiguillages et permettons aux chômeurs de pouvoir se contacter ,s'agréger dans des projets commun .Fa...

le 04/04/2022 à 21:55
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S'il suffisait de mettre des personnes au chomage ensemble dans une piece pour creer des entreprises, la France n'aurait pas 5 millions de chomeurs. En verite, creer une entreprise dans le secteur prive concurentiel, c'est extrêmement compliqué. Pers...

à écrit le 04/04/2022 à 18:41
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c'est un peu comme changer le nom de l'ENA.

à écrit le 04/04/2022 à 18:31
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"Remplacer Pôle emploi par France Travail" C'est un conseil de McKinsey ?

à écrit le 04/04/2022 à 17:58
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Un changement de façade comme Pôle Emploi qui fonctionne toujours comme l'ANPE et l'Assédic en open space... avec une efficacité que nous envie toute l'Europe!

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