
À midi, sous un joli soleil printanier, Laurent Berger de la CFDT, Philippe Martinez, de la CGT, et Cyril Chabanel de la CFTC, étaient présents devant l'Assemblée nationale, avec les autres participants de l'intersyndicale, ce jeudi 16 mars, jour du vote de la réforme des retraites. Ensemble, ils ont interpellé les députés, en leur demandant de ne pas voter ce texte qui prévoit un décalage de l'âge légal de départ de 62 à 64 ans dans le privé.
Un message que les parlementaires n'auront pas eu à mettre en œuvre, car le président a finalement décidé, in extremis, d'actionner, un peu avant 15 heures, le 49.3. Signe de la fébrilité de l'exécutif. D'un aveu de faiblesse, qui promet de mettre encore un peu plus d'huile sur le feu chez les opposants à la réforme.
« En recourant au 49.3, le gouvernement fait la démonstration qu'il n'a pas de majorité pour approuver le report de deux ans de l'âge légal de départ, a réagi immédiatement Laurent Berger sur Twitter. Le compromis politique a échoué. ce sont les travailleurs qu'il faut écouter quand on prétend agir sur leur travail. »
Rester unis coûte que coûte...
Face à ce recours politique, quelle position va adopter l'intersyndicale ? Elle devait se réunir dans la soirée pour choisir d'une stratégie commune. Comme ils l'ont fait pendant plus de deux mois, sans fausse note, dans le respect de chaque sensibilité, les syndicats vont appeler à continuer de se battre contre ce texte qu'ils jugent injuste. Reste à en trouver les modalités. Laurent Berger a annoncé, dès la mi-journée, de nouvelles mobilisations. Tout comme Philippe Martinez à la CGT.
Et pour cause, tous savent qu'ensemble, ils ont réussi à mobiliser jusqu'à plus d'un million de personnes. Et que cette union leur a été indispensable. C'est à ce prix qu'ils ont ainsi restauré l'image des syndicats dans l'opinion. Et retrouvé une reconnaissance qu'ils avaient perdue.
En effet, dans les enquêtes, ils apparaissent désormais de nouveau comme responsables, solidaires, en phase avec le monde du travail. Ils ont évité la violence aussi... Après le conflit des Gilets jaunes, et la crise du Covid qui a profondément chamboulé les collectifs de travail, ils ont donc - en partie - retrouvé toute leur légitimité pour défendre les travailleurs. La hausse des adhésions dans les centrales en est d'ailleurs l'expression la plus manifeste.
Alors, pas question de dilapider ce capital sympathie aujourd'hui.
... mais garder son identité
Il n'empêche, « ce n'est pas parce que la séquence est tendue politiquement que nous allons prendre le risque de perdre notre identité, il faut garder la tête froide », confie un membre de la CFDT.
Surtout, derrière, la question qui va vite se poser est : comment le bloc réformiste et celui plus radical vont-ils se mettre d'accord
Car même si, dans les heures qui suivent l'annonce du 49.3, les syndicats ne font qu'un ou presque, chacun va consulter ses troupes. La CGT annonce, ce jeudi soir, la tenue d'une réunion interne.
Idem à la CFDT, qui réunit un bureau confédéral ce jeudi soir et demain matin. Car la position à prendre est délicate pour elle : va-t-elle aller jusqu'à remettre en cause la légitimité de l'adoption du texte, fut-ce par 49.3 ?
Même si, à de nombreuses reprises, Laurent Berger a mis en garde l'exécutif contre un risque « de vice démocratique », va-t-il aller jusqu'à estimer que l'utilisation d'un 49.3 n'est pas démocratique ?
En 2018, lors de l'adoption des ordonnances assouplissant le code du Travail, la CFDT avait pris acte. Idem, d'ailleurs du côté de la confédération Force Ouvrière qui n'avait pas appelé à se mobiliser une fois que les ordonnances avaient été adoptées. Mais le contexte était différent. La réforme des retraites, est souvent présentée comme la mère de toutes les réformes. C'est un sujet brûlant dans l'histoire de la CFDT.
Et puis, surtout, la colère chez les adhérents CFDT est bien plus forte qu'en 2023.
« Beaucoup ne digèrent pas la façon dont Emmanuel Macron a fermé la porte à Laurent Berger », souligne un membre de la centrale.
Fidèle à son ADN de la négociation, la CFDT appellera-t-elle à bloquer le pays pour autant ?
La CGT a aussi en vue son congrès
Pour la CGT, le 49.3 rend finalement presque les choses plus faciles. Son mot d'ordre : poursuivre la mobilisation dans l'espoir d'obtenir un recul du gouvernement comme ce fut le cas lors du « contrat première embauche ». Et si le célèbre proverbe assure qu'« il faut savoir arrêter une grève », le risque sera d'aller jusqu'au pourrissement. Et ce, d'autant plus que la CGT est dans un calendrier interne particulier.
Pour rappel, dans une dizaine de jours, Philippe Martinez passe la main, et il fait face à une fronde interne. Alors que le sortant rêve de passer le flambeau à Marie Buisson, plusieurs fédérations du syndicat, réputées les plus dures comme l'énergie et la chimie, les transports, ou encore les dockers, poussent une candidate "dissidente", Céline Verzeletti, à devenir la première femme dirigeante de la CGT.
Difficile pour Philippe Martinez, dans ce contexte, de ne pas montrer les muscles et d'appeler à l'issue de ce vote à stopper le conflit.
Inquiétude pour la suite
Au-delà, tous les grands leaders syndicaux se montrent inquiets pour la suite :
« Il y aura une dette sociale, cette réforme surtout adoptée en 49.3 va laisser un immense ressentiment », prédit Laurent Berger.
À charge pour eux, désormais, de savoir exprimer mais aussi, canaliser, cette colère, encore attisée par le choix du gouvernement de dégainer un 49.3.
Ils savent que c'est un moteur extraordinaire mais aussi une immense responsabilité qui leur incombe.
Dans l'après-midi, une manifestation spontanée se réunissait place de la Concorde dans la foulée du 49.3 décidé par Élisabeth Borne. La CGT appelait aussi à un rassemblement, les rangs grossissaient avec l'afflux de jeunes gens, rejoints en autres par les députés de l'opposition sortis de l'Assemblée nationale ceints de leur écharpe.
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