
LA TRIBUNE- Le gouvernement doit présenter sa réforme des retraites ce mardi 10 janvier. Quels sont les principaux enjeux du projet de l'exécutif ?
VINCENT TOUZÉ- Le premier enjeu est d'abord lié à la situation financière du système de retraites par répartition. Il s'agit de pouvoir continuer à verser l'intégralité des pensions dans le futur. Il y a également un volet social à cette réforme. Il vise à renforcer le niveau de pension minimum, aujourd'hui principalement fixé par la pension de base. Le minimum doit être plus élevé que ce que propose le système aujourd'hui pour des carrières complètes et avec des salaires relativement faibles. L'objectif du gouvernement est d'arriver à 85% du SMIC net.
Le recul de l'âge de départ à la retraite est présenté comme une mesure permettant de pérenniser le financement du système. Certains syndicats proposent d'augmenter les cotisations patronales ou d'améliorer l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. Quels pourraient être les autres leviers ?
Un autre levier consisterait à jouer sur le niveau des pensions. Le gouvernement fait le choix de maintenir un certain pouvoir d'achat des pensions. L'objectif n'est pas de trop tronquer le pouvoir d'achat des retraités. Le gouvernement ne s'est pas lancé dans une stratégie de rognage des pensions déjà versées. Certains pays comme la Suède durant la crise de 2008-2009 avaient mis en place des règles d'ajustement des pensions.
L'option de rogner sur les retraites est délicate. Quand on observe les différents scénarios de prospective du Conseil d'orientation des retraites (COR), le niveau de la pension moyenne rapporté au salaire moyen a tendance à diminuer dans le futur. Il y a une forme de rognage qui contribue au financement.
Si la situation financière du système n'est pas catastrophique, c'est parce qu'il y a déjà une forme de rognage des pensions. C'est une option peu satisfaisante. D'ici à dix ans, il y aura un sous-financement du système de l'ordre de 5% dans un contexte d'une dégradation de la générosité.
Le gouvernement a-t-il beaucoup de marges de manœuvre pour jouer sur le niveau des pensions ?
L'exécutif pourrait jouer sur le niveau des pensions futures mais les marges de manœuvre sur ce levier sont relativement limitées. Compte tenu des règles actuelles, il faudra déjà travailler pendant 43 ans pour les générations futures. Il y a des pénalités si on n'a pas tous les trimestres.
Malgré l'évolution de la population avec une diminution du ratio entre les travailleurs et les retraités, le but est de maintenir le niveau de vie des personnes à la retraite. L'objectif d'un système de retraite est de maintenir un certain pouvoir d'achat des pensionnés.
Pour les gens qui ont eu une vie professionnelle plus difficile avec de faibles salaires, le but est de garantir un niveau de vie minimum. La fonction sociale d'un système de retraite passe alors par les pensions minimum. Pour les gens qui ont eu une vie très compliquée et qui ont trop peu cotisé, l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA ) garantit un « minimum vieillesse » à partir de 65 ans.
Le gouvernement peut-il augmenter le taux de cotisation des salariés ou des entreprises pour assurer le financement du système dans les années à venir ?
L'augmentation des ressources peut passer par le canal du taux de cotisation ou des impôts. Les marges de manœuvre du gouvernement pour augmenter les impôts ou en ajouter de nouveaux sont réduites dans le contexte d'un déficit public massif et d'un taux de prélèvements obligatoires élevé.
D'un certain point de vue, avoir un taux de prélèvements obligatoires élevé peut être louable puisque ce taux est lié à un choix de la société française qui défend un système de protection sociale important et généreux. Augmenter le taux de cotisation des salaires dans un contexte inflationniste est plutôt compliqué. Les salaires ne sont pas indexés sur l'inflation, à l'exception du SMIC. Concernant le taux de cotisation patronale, c'est également délicat. L'économie vit un choc d'offre majeur lié à l'augmentation du prix de l'énergie et des matières premières. Les marges de manœuvre sur le coût de l'emploi sont également limitées.
Pourquoi le gouvernement a-t-il mis l'accent sur le recul de l'âge à la retraite alors que c'est un projet impopulaire (ndlr : 79% des Français y sont opposés selon un sondage Ipsos) ?
Le levier de l'âge permet de limiter le flux d'entrées des retraités. Les travailleurs passeront un peu plus de temps à cotiser et un peu moins de temps à la retraite. Le recul de l'âge se voit immédiatement sur le flux de cotisants et sur les flux des pensions. L'âge est un paramètre qui permet de jouer des deux côtés.
Cependant, reculer l'âge peut avoir des conséquences individuelles sur des personnes qui sont, soit en situation de pénibilité, soit au chômage. Retarder les départs à la retraite peut donc engendrer des problèmes d'employabilité. Décaler l'âge permet d'augmenter les ressources et en même temps de réduire la progression des dépenses.
Toutes les mesures qui visent à assurer le financement des retraites peuvent avoir un impact social. L'allongement pose la question de l'employabilité, de la pénibilité ou de l'équité. Beaucoup de dispositifs dérogatoires à l'âge minimum doivent être scrutés concernant les personnes invalides ou handicapées.
Comment bien prendre en compte la notion de carrière longue dans les débats ?
La question des carrières longues est cruciale. Il ne serait pas juste que les gens ayant cotisé plus que nécessaire soient plus pénalisés par cette réforme. Là, ils sont clairement plus affectés. Certaines personnes qui ont eu des carrières longues en commençant à travailler avant 20 ans ont déjà leurs trimestres à 60 ou 62 ans.
Progressivement, il y aura un recul de l'âge d'entrée sur le marché du travail. La notion de carrière longue devrait se marginaliser. Les générations actuelles proches de la retraite sont encore concernées. Dans 10 ou 20 ans, les gens qui ont des carrières pleines à 60 ans seront beaucoup plus rares.
Le taux d'emploi des seniors est très faible en France au regard d'autres pays européens. Comment améliorer l'emploi de cette catégorie dans l'Hexagone ?
En France, le taux d'emploi des seniors est d'abord plus faible parce que ces derniers partent plus tôt à la retraite : d'après la DARES, en 2021, 80% des 55-69 étaient actifs contre seulement 37% des 60-64 ans. Il l'est ensuite, à la marge, en raison d'un taux de chômage qui augmente avec l'âge. Favoriser le maintien des seniors à leur poste de travail passe par la formation professionnelle tout au long de la vie, l'adaptation des postes de travail mais également par la transition plus progressive entre travail à temps à plein et retraite à temps plein.
Quel regard portez-vous sur la mise en place d'un index des seniors dans les entreprises ?
Les travailleurs seniors constituent une vraie richesse en termes d'expériences et de savoirs accumulés. Il faut en finir avec la logique qu'à partir d'un certain moment un travailleur n'a pas ou peu d'avenir. Une telle vision a nécessairement des effets autoréalisateurs : l'entreprise investit moins dans le capital humain ; le travailleur est en moins en enclin à se projeter et attend impatiemment l'âge de la retraite.
Le maintien des seniors dans l'entreprise peut favoriser les interactions entre générations, ce qui peut conduire à des collaborations fructueuses entre les plus anciens qui disposent d'une longue expérience et les plus jeunes qui bénéficient d'une formation à jour des dernières connaissances.
Un index permettrait de mieux responsabiliser les entreprises sur la question du management des âges et de l'accompagnement du travailleur pendant tout son cycle de vie professionnelle.
Propos recueillis par Grégoire Normand
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