
La colère contre la réforme des retraites se poursuit partout en France. Après la forte mobilisation du 7 mars, plusieurs secteurs ont d'ores et déjà entamé une grève reconductible sur quelques jours et l'intersyndicale a annoncé deux nouvelles journées de mobilisation. Au Sénat, les élus continuent de débattre du projet de loi dans un climat électrique après deux semaines de chaos à l'Assemblée. Le gouvernement espère faire voter sa réforme par la chambre haute le week-end prochain.
Dans ce contexte hautement explosif, le Sénat a voté le lundi 6 mars dernier la création d'un nouveau type de contrat à durée indéterminée (CDI) de « fin de carrière » pour favoriser le recrutement de salariés âgés d'au moins 60 ans. Les sénateurs ont adopté par 202 voix contre 123 un amendement en ce sens porté par les rapporteurs LR René-Paul Savary et Elisabeth Doineau (centriste) au projet de réforme des retraites. Même si le gouvernement a taclé à plusieurs reprises ce outil, l'adoption de cet amendement à la chambre haute est d'autant plus essentielle pour l'exécutif car il compte bien sur les votes LR pour faire passer sa réforme contestée des retraites sans recourir à l'article 49-3.
Un contrat exonéré de cotisations
L'amendement porté par la droite et le centre prévoit notamment que « dans le cadre de ce contrat à durée indéterminée, l'employeur sera exonéré de cotisations famille, afin de compenser le coût d'un salarié senior qui, compte tenu de son expérience, peut prétendre à une rémunération plus élevée qu'un jeune actif. » Le rapporteur a précisé que l'amendement « avait été rédigé sur proposition de nombre de partenaires sociaux ».
Il est prévu que les entreprises puissent mettre fin au contrat si le salarié remplit les conditions pour bénéficier d'une retraite à taux plein. Avant le décret d'application, les partenaires sociaux devront être consultés « Ils pourront ensuite déterminer, par accord de branche, les activités concernées, les mesures d'information du salarié sur la nature de son contrat et les contreparties dont il peut bénéficier en termes de rémunération et d'indemnité de mise à la retraite ».
Un coût estimé entre 800 millions d'euros et 2,2 milliards d'euros en cas d'effet d'aubaine
A peine adopté, cet amendement a fait grincer des dents dans les rangs du gouvernement. Le ministre des Comptes Publics Gabriel Attal a dénoncé « un effet d'aubaine qui mène notre branche famille dans le rouge ». Selon Bercy, « 100.000 CDI » sont signés chaque année pour des salariés de plus de 60 ans, a-t-il exposé. Si tous étaient signés avec le nouveau contrat, le coût est estimé à « 800 millions d'euros pour la branche famille ». Et pourrait même atteindre jusqu'à « 2,2 milliards d'euros » en cas d'effet d'aubaine.
Pour le gouvernement qui ne cesse de justifier sa réforme des retraites pour assurer le financement du système par répartition, cet amendement est dur à avaler. En effet, la majorité explique depuis le mois de janvier que cette réforme est nécessaire pour réduire le déficit du système de retraites. Or, l'adoption de cet amendement pourrait porter un coup dur à l'argument financier de l'exécutif pour légitimer sa réforme.
Des CDD seniors largement critiqués par les syndicats et la Cour des comptes
La multiplication des contrats dérogatoires au droit commun ces dernières décennies n'a pas vraiment fait preuve d'efficacité. La plupart des syndicats ont dénoncé la création de ce type de contrat ces derniers jours. Le secrétaire général de Force ouvrière Frédéric Souillot interrogé par La Tribune en début de semaine a expliqué que « le CDI senior proposé récemment ne devrait pas changer grand chose. Le CDD senior mis en place depuis 2006 n'a rien changé ».
Dans un référé dévoilé en 2019, la Cour des comptes a dressé un bilan particulièrement sévère des contrats à durée déterminée pour les plus âgés et du contrat de génération mis en oeuvre en 2014 sous François Hollande. « Les CDD seniors et les contrats de professionnalisation pour les demandeurs d'emploi de plus de 45 ans ne bénéficient qu'à un public très restreint. En l'absence de suivi statistique, il n'a pas été réalisé d'évaluation du CDD seniors. Celle-ci aurait pourtant permis d'identifier les ajustements pertinents », regrettent les magistrats. Du côté du ministère du Travail, on peine à trouver des chiffres sur les CDD seniors.
Contacté par La Tribune, la direction statistique du ministère (Dares) explique qu'elle n'a absolument rien sur les CDD senior. De son côté, la CFTC n'a recensé que 20 contrats signés en 2007 juste après la mise en oeuvre du dispositif. Dans une note technique, le syndicat réformiste est particulièrement virulent à l'égard de cet amendement. « L'enjeu s'agissant de l'emploi de seniors est de bien conserver en entreprises des compétences, et de maintenir les seniors en emploi car ils sont compétents. La CFTC déplore que le raisonnement qui sous-tend la mesure soit la recherche d'économies pour l'employeur ». L'adoption de cette mesure pourrait alimenter de nouveau la contestation alors que le gouvernement espère aller très vite sur le vote de la réforme des retraites au Parlement.
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