
La réforme des retraites a ravivé le débat sur l'emploi des seniors. À l'intérieur des entreprises, cette question brûlante est parfois devenue taboue. Pourtant, le décalage de l'âge légal de départ à la retraite de 62 ans à 64 ans, et la hausse de la durée de cotisation, pourraient poser d'immenses défis aux entreprises dans les années à venir.
Pour tenter d'y voir plus clair, l'Association nationale des ressources humaines (ANDRH) a dévoilé ce lundi 13 mars les résultats d'une enquête instructive sur le thème « Repenser l'organisation du travail ».
« Aujourd'hui, il y a une pénurie de main-d'œuvre, et il y a de nombreuses compétences sur le marché du travail », a pointé Audrey Richard, présidente nationale de l'ANDRH en évoquant « les 550.000 demandeurs d'emplois de plus de 55 ans ».
Face à ce paradoxe, l'association plaide pour un dispositif appelé « un senior, une solution », inspiré du modèle « un jeune, une solution ». « Beaucoup de nos adhérents sont favorables à ce dispositif avec une incitation à l'embauche », a poursuivi la responsable.
63% des DRH favorables à un plan « un senior, une solution »
En attendant l'issue du scrutin à l'Assemblée nationale sur la réforme controversée des retraites qui devrait avoir lieu en fin de semaine, le maintien dans l'emploi des seniors et leur recrutement sont incontestablement au centre des préoccupations des entreprises. Du bas de l'échelle au sommet de la pyramide, toutes les catégories professionnelles sont concernées par le fléau du chômage et de l'inactivité au-delà de 55 ans.
Parmi les résultats importants de cette enquête, figure en premier lieu la proportion relativement importante de directions de ressources humaines favorables au plan « un senior, une solution ». Ce dispositif pourrait passer par une incitation à l'embauche, des allègements de cotisations, une sensibilisation aux biais discriminatoires ou des actions de communications fortes.
Pour rappel, le gouvernement avait mis en place le plan « un jeune, une solution » à l'été 2020 à l'issue du premier confinement. Objectif affiché, booster le recrutement des plus jeunes confrontés à une situation économique et sociale inédite. Ce dispositif a permis d'accélérer les recrutements d'apprentis et d'alternants en France.
« Un jeune, une solution », un bilan en demi-teinte
Le plan jugé favorable par l'ANRDH avait fait l'objet d'une évaluation en demi-teinte de la Cour des comptes à l'été dernier. Dans leur étude, les magistrats avaient estimé que « l'impact du plan sur l'emploi des jeunes demeure difficile à évaluer pour un coût colossal (plus de 9 milliards d'euros) » .
L'une des principales limites régulièrement évoquées par les Sages de la rue Cambon est que le « plan un jeune, une solution » avait profité en partie à des entreprises qui embauchaient des personnes diplômées, « dont l'insertion sur le marché du travail n'est le plus souvent pas problématique. L'effet net sur l'emploi en volume est donc vraisemblablement faible. »
L'ANRDH critique l'index senior et le CDI senior
Lors de la présentation de la réforme des retraites il y a deux mois jour pour jour, la Première ministre Elisabeth Borne avait annoncé la mise en œuvre d'un index senior. Si la réforme est votée, l'index sera obligatoire dès novembre 2023 pour les entreprises de plus de 1.000 salariés, et pour celles de plus de 300 salariés à partir de juillet 2024.
Les employeurs seront passibles de sanctions financières en cas de non-publication de cet index, mais aucune obligation de résultat n'a été fixée en matière d'emploi des seniors. Dans le texte adopté par le Sénat, cette obligation ne concerne plus les PME de plus de 50 salariés. Ce qui restreint grandement le champ d'application.
Sur ce point, l'ANRDH s'est interrogée sur l'efficacité d'un tel dispositif.« L'index des seniors proposé est très contraignant. On n'est pas favorable à un index punitif », a déclaré Benoit Serre, vice-président de l'association lors de la réunion avec les journalistes.
L'organisation s'est également montrée dubitative sur le CDI senior adopté par le Sénat la semaine dernière. « Le CDI senior est surtout centré dans l'allègement des cotisations. Le vrai sujet est le frein à l'embauche des seniors dans les entreprises. Le CDI senior est jugé insuffisant, car on n'avait jamais vu que l'allègement de charges sur ces profils avait permis à l'emploi de se redresser », a affirmé Audrey Richard.
65% des DRH ont accordé des hausses de salaire inférieures
L'autre enseignement important de cette enquête est que 65% des services RH interrogés ont accordé des hausses inférieures à l'inflation dans le cadre des négociations annuelles obligatoires (NAO). A l'inverse, 24% ont trouvé un accord avec les représentants des salariés pour des hausses de salaires proches, voire supérieures à l'inflation (5%, et plus). Enfin, 11% des répondants ont affirmé qu'ils n'avaient rien accordé.
Ce qui signifie qu'une grande partie des salariés dans le secteur privé ont perdu du pouvoir d'achat, compte tenu de la désindexation des salaires (à l'exception du SMIC) sur l'inflation depuis le début des années 1980. Et la situation est loin de s'arranger. L'indice des prix à la consommation a continué de grimper en février à 6,2%, contre 6% en janvier. Les prix dans l'alimentaire sont dorénavant les moteurs de l'inflation après l'énergie. En attendant le pic d'inflation, les négociations promettent d'être encore tendues à l'intérieur des entreprises.
Méthode : questionnaire auto-administré en ligne de 31 questions du 2 au 27 février 2023. Au total, 513 participants ont répondu à l'enquête de l'ANRDH envoyée auprès de ses adhérents.
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