« C'est déjà largement suffisant », c'est en ces termes que l'on pourrait résumer la hausse du SMIC de ces derniers mois, selon les experts du groupe sur le SMIC. Chaque année, comme le veut la coutume, ils rendent leur analyse à la Première ministre. Dans leur rapport remis ce jeudi 30 novembre, que la Tribune a pu consulter, ce groupe d'économistes, présidé par Gilbert Cette (aujourd'hui chez Néoma Business school), souligne combien le niveau de hausse du SMIC indexé mécaniquement sur l'inflation est suffisant. Inutile donc que le gouvernement ne donne un coup de pouce supplémentaire, comme il en a la possibilité, le 1er janvier prochain.
L'étude met en lumière les nombreux effets pervers que provoque, sur l'ensemble de la grille des salaires, ce système d'indexation obligatoire.
Sept revalorisations en 2 ans
Le rapport rappelle que le niveau de salaire minimum horaire en France est un des plus élevés de l'OCDE. Et que le SMIC a déjà été relevé 7 fois entre janvier 2021 et mai 2023, soit une hausse cumulée de 13,5%. Sur ces 7 augmentations, trois correspondent aux ajustements usuels du 1er janvier, et quatre, infra-annuelles, à la mise en œuvre automatique qui veut que le SMIC soit directement indexé sur l'inflation.
Aujourd'hui on compte en France plus de 17 % des salariés bénéficiant de ces dispositions (contre 12 % en 2021, et 14,5 % en 2022). Un niveau historiquement haut, qui pour les experts, est loin d'être une bonne nouvelle, car il contribue à « tasser » la grille des salaires. Autrement dit, les employés et ouvriers qui étaient dans des niveaux juste au-dessus du SMIC se sont vus peu à peu largement rattrapés par ceux - notamment les plus jeunes- qui sont au salaire minimum. De quoi entraîner une moindre reconnaissance de leur expérience et qualification.
Aussi, l'avis de ces économistes est sans appel : les revalorisations automatiques du SMIC perturbent la mobilité salariale. « Les gens restent ainsi au SMIC des années, sans espoir d'en sortir », explique ainsi Gilbert Cette, le président. C'est délétère.
Des délais beaucoup trop courts
Et pour cause, au rythme de progression du SMIC, les branches professionnelles n'ont pas toujours réussi à suivre. Ces dernières années, à peine terminaient-elles une négociation pour définir d'une grille de salaire, en prenant comme base un SMIC rehaussé, qu'une nouvelle annonce de revalorisation automatique était annoncée. Syndicats et patronat, même avec la meilleure volonté du monde, ne parvenaient pas à se mettre à jour.
Ainsi, le rapport pointe-t-il les délais de prévenance extrêmement courts entre la décision d'une hausse du SMIC (liée à l'inflation) et la mise en œuvre de cette hausse. Très concrètement, les entreprises ont entre 15 jours et un mois pour adapter leurs paies. Une difficulté d'autant plus aiguë que les sociétés sont petites.
Un appel pour réformer les règles d'indexation du SMIC
Comme il l'a déjà fait, lors de ses précédentes éditions, le groupe suggère au gouvernement de revoir les modalités d'indexation du SMIC : « Cette revalorisation automatique bride la marge d'appréciation et de décision du gouvernement ». Autre inconvénient, elles se substituent à la négociation collective des partenaires sociaux.
Une des priorités selon eux, serait donc d'en finir avec cette indexation mécanique et automatique sur l'inflation. « Le SMIC est un socle salarial indispensable, en particulier pour renforcer le pouvoir de négociation des travailleurs dans des activités ou le rôle des partenaires sociaux est affaibli, mais les revalorisations automatiques ne doivent pas affaiblir la responsabilité de tous les partenaires sociaux. », écrivent-ils.
Parmi les pistes avancées, les économistes suggèrent de s'inspirer des Pays-Bas et de l'Allemagne, où l'indexation est calculée sur la moyenne des évolutions des minima de salaires, issues de la négociation collective d'un panel de branches représentatives de l'économie. Ce système donnerait plus de poids au dialogue social, - les partenaires sociaux seraient responsables de ces augmentations-. Il permettrait d'être surtout d'être plus en phase avec le reste des salaires pratiqués dans l'économie.
Que va faire le gouvernement ?
Il est probable que l'exécutif reprendra à son compte la préconisation de ne pas donner de coup de pouce supplémentaire au SMIC le 1er janvier prochain. Surtout à un moment où l'inflation ralentit. Ce jeudi 30 novembre, la hausse des prix s'élève à 3,4 % en novembre sur un an selon l'Insee, après 4% en octobre et 4,9% en septembre. Bruno Le Maire, le ministre de l'Economie a ainsi assuré que « nous sortons de la crise inflationniste ».
Pas de réforme du SMIC en vue, pression sur les branches récalcitrantes
En revanche, il est probable qu'il gouvernement ne s'aventurera pas à réformer le système de revalorisation du SMIC auquel sont attachés des syndicats comme FO ou la CGT. Dans un contexte social tendu, l'exécutif va éviter d'ouvrir un dossier qui pourrait vite s'avérer explosif.
Il préfère, pour l'heure, s'en tenir à mettre la pression sur les branches professionnelles qui paient encore en dessous du SMIC, comme annoncé lors de la dernière conférence sociale du 16 octobre.
Selon le ministère du Travail, 39 branches affichent encore des minima inférieurs au salaire minimum légal -. C'était deux fois plus qu'il y a un mois. Pour ces branches récalcitrantes, le gouvernement leur laisse un dernier délai pour se mettre à jour d'ici le 1er janvier prochain. Sans quoi, il promet de les sanctionner.