
Une vague de faillites d'entreprises endettées et souffrant des suites de la pandémie du Covid-19 menace la zone euro, à moins que les Etats n'opèrent un "soutien accru" pour leur solvabilité, avertissait la semaine dernière la Banque centrale européenne (BCE). Dans le cas de la France, les défaillances d'entreprises devraient passer la barre des 60.000 soit un bond de 32% par rapport à 2020, selon les estimations de la société d'assurance-crédit Euler Hermes, avec pour corollaire 750.000 emplois supprimés, selon les projections de la Banque de France, et un taux de chômage qui devrait atteindre 11%.
Sombre perspective
Cette sombre perspective inquiète les dirigeants d'entreprise. C'est ce que montre le sondage réalisé par Opinion Way pour l'Institut Thomas More, "Les dirigeants d'entreprise et l'accompagnement des entreprises en difficulté" (1). "Nous avons voulu interroger les chefs d'entreprise sur leur connaissance des mécanismes d'accompagnement en cas de difficultés qui vont surgir avec l'allègement du soutien financier mis en place par le gouvernement durant la pandémie. C'est un état des lieux", explique Jean-Thomas Lesueur, délégué général de l'Institut Thomas More.
Un état des lieux qui montre une insatisfaction. Les chefs d'entreprise sont 61% à considérer que les relations entre les entreprises en difficulté et leurs créanciers (notamment les banques) sont mauvaises. Un sentiment qui se reflète dans le classement Doing Business de la Banque mondiale, où la France (26e) se classe loin derrière l'Allemagne (4e) et après l'Italie (21e) en matière de "Règlement de l'insolvabilité".
"La réforme du système d'accompagnement est nécessaire car on est loin de l'efficacité d'un Chapter 11 (procédure de sauvegarde appliquée aux entreprises menacées de faillite aux Etats-Unis). Aujourd'hui, nombre d'entreprises pourraient éviter de voir leur situation se dégrader si leurs difficultés étaient mieux anticipées", explique Jean-Thomas Lesueur.
Le gouvernement prépare une ordonnance
Changer le système, c'est ce que veut d'ailleurs faire le gouvernement. Il prépare une ordonnance qui va remettre en cause le système actuel dans le cadre de la transposition d'une directive européenne sur la restructuration des entreprises. L'une des mesures phares a créé la polémique car elle touche au financement de l'un des piliers du dispositif, l'Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS), qui prend en charge le paiement des salaires des employés d'entreprises en redressement ou liquidation judiciaire.
L'AGS est financée aujourd'hui à 60% par les cotisations patronales et à 40% par les remboursements d'une partie des sommes avancées à l'issue de la procédure collective, qu'elle se termine par un redressement ou une liquidation judiciaire et la vente d'actifs. Le fonds de l'AGS est à l'équilibre notamment grâce au "superprivilège" dont dispose l'organisme en étant placé au troisième rang des créanciers. Or dans le projet de réforme gouvernemental, l'AGS rétrograderait au sixième rang des créanciers prioritaires, tandis que les administrateurs judiciaires remonteraient au troisième rang pour faire valoir le règlement de leurs honoraires et des frais de justice.
Un risque de fragiliser l'AGS
Le risque de percevoir moins de remboursements fragilise l'AGS. Selon une étude du cabinet Rexecode, le manque à gagner sur un an s'élèverait à 300 millions d'euros, si la réforme passait en l'état. La compensation ne pourrait se faire que par une augmentation des cotisations, ce dont les organisations patronales ne veulent pas entendre parler.
Quant aux chefs d'entreprise, selon le sondage, ils approuvent à la quasi-unanimité (96%) ce mécanisme d'aides de l'AGS qu'ils souhaitent conserver à 95%, même s'ils disent ignorer à 56% ce système, ce chiffre montant à 60% pour ceux d'entreprises employant de 1 à 9 salariés.
En outre, ils considèrent que le fonctionnement actuel des procédures collectives (la sauvegarde judiciaire, le redressement judiciaire, la liquidation) favorise déjà les administrateurs judiciaires (à 27%), avant les salariés (24%), puis les banques (21%) et, loin derrière, les actionnaires (9%).
"En remettant en cause le financement de l'AGS au profit des administrateurs judiciaires, la réforme proposée par le gouvernement fait tout le contraire de ce qu'il faudrait faire", constate Jean-Thomas Lesueur.
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La médiation Ricol prend le contrepied du gouvernement
Face à la polémique, Matignon a demandé début mars à René Ricol, ex-Commissaire à l'investissement, d'assurer une "médiation" entre l'AGS et l'association des administrateurs judiciaires et de rédiger un rapport pour clarifier l'ensemble des règles en matière de procédure collective. Matignon précise que le projet de réforme sera finalisé d'ici l'été "sur la base des recommandations du rapport".
Or, dans son rapport rendu le 21 avril dernier, René Ricol prend le contrepied du gouvernement en préconisant le maintien d'un remboursement prioritaire de l'AGS. Par ailleurs, il souligne le "manque de transparence" sur les frais de justice et de procédure et des montants parfois excessifs. Il recommande "une transparence totale des coûts", en demandant une justification des dépassements éventuels et un bilan détaillé en fin de procédure.
Des recommandations qui rejoignent le sentiment des chefs d'entreprise sur les acteurs intervenant lors des procédures de faillites ou de liquidation. Ils ont majoritairement (59%) une bonne opinion des juges des tribunaux de commerce, mais cet avis se dégrade à l'égard de l'administration (45%), des assurances (40%) et in fine des administrateurs et mandataires judiciaires (39%).
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(1) Échantillon de 500 dirigeants d'entreprises de 1 salarié et plus. L'échantillon est représentatif des entreprises françaises de 1 salarié et plus et a été constitué selon la méthode des quotas, au regard des critères de taille d'entreprise, de secteur d'activité et de région d'implantation.