C'est une révolution de moins en moins silencieuse. La « souveraineté » devient un concept à la mode. Comme d'autres de ses congénères comme « indépendance », « réindustrialisation ». Depuis le début de l'épidémie de Covid-19, les responsables politiques français redécouvrent en effet tout un vocabulaire que l'establishment médiatique avait décidé de proscrire depuis bientôt trente ans. Des débats pour le référendum sur le traité de Maastricht en 1992 à ceux pour le référendum sur le traité constitutionnel européen en 2005, parler de « souveraineté » était devenu l'objet de sarcasmes, de mépris, voire d'excommunication. Comme si la France dans l'Europe ou la globalisation n'arrivait pas à conjuguer intégration et multilatéralisme et les enjeux d'intérêts nationaux, notamment dans la sphère économique. Dans le pays de Descartes, les principes sont rois, et contrairement aux pays anglo-saxons, le pragmatisme est souvent considéré comme un gros mot.
Dans ce contexte, parler de « souveraineté » était l'apanage de ceux qu'on appelait les « souverainistes ». Derrière cette étiquette, on y logeait un peu tout, de vrais nationalistes, de simples gaullistes, des critiques de l'Union Européenne, des gens de droite, de gauche, et même des écolos. Bref, c'était devenu ringard. « Fin de l'histoire », oblige. Et pourtant, aujourd'hui, tout a changé. Et on ne mesure encore que très partiellement la réalité de la prise de conscience de nos élites politiques et économiques. Celle-ci est profonde, certes. Mais il ne suffit pas de déclamer « souveraineté » pour pouvoir rétablir une stratégie efficace. Dans le pays de Colbert, on sait faire des plans. Encore faut-il en avoir encore la capacité.
Cette semaine, on a pu mesurer une telle évolution dans l'interview que Yannick Jadot, candidat à la primaire des écologistes, a accordé à La Tribune. Alors qu'on interrogeait cet ancien leader de Greenpeace sur les questions d'indépendance énergétique, il lance : « La souveraineté de la France est au cœur de mon projet. On ne peut pas être aussi dépendant stratégiquement d'un pays comme la Chine, dont on sait que c'est la pire dictature au monde aujourd'hui ». Voilà, le nom de la Chine est lâché. Pour cet écologiste particulièrement européen, il s'agit donc de réduire la dépendance de l'appareil économique français et européen à l'égard du géant asiatique.
Montebourg et la « remontada »
Quelques jours auparavant, c'était à Arnaud Montebourg de lancer sa candidature à la présidentielle à l'aune de la restauration de la souveraineté économique de notre pays. Dans le Journal du Dimanche, l'ancien ministre du « redressement productif » de François Hollande, développe son objectif de la « remontada » : « Reconquérir notre indépendance, ce sera la première grande cause nationale de mon quinquennat ». Avec, déjà, une proposition audacieuse pour pouvoir restaurer l'industrie française : contourner l'Europe et son dispositif réglementaire. « Nous refuserons les règles européennes absurdes et intrusives qui nous empêchent de financer et d'utiliser la commande publique, annonce Arnaud Montebourg. En France, nous ferons primer l'intérêt national dans la commande publique, comme on le fait en matière de défense, et nous abandonnerons les appels d'offres pour les secteurs stratégiques ».
Un discours qui se rapproche nettement de la volonté ancienne d'un Jean-Luc Mélenchon de se sortir des règles de l'Union Européenne, le leader insoumis ayant depuis longtemps affirmé sa volonté de restaurer « l'indépendance de la France ».
Avec Zemmour, le moment trumpiste de la France
De l'autre côté du spectre politique, Éric Zemmour, qui n'est pas encore officiellement candidat à la présidentielle, publie ces jours-ci un ouvrage au titre évocateur : « La France n'a pas dit son dernier mot ». Ce qui n'est pas sans rappeler le désormais célèbre slogan de Donald Trump : « Make America Great Again ». Assiste-t-on à un moment trumpiste en France ?
Quand on écoute hier Michel Barnier, candidat à la primaire de la droite, on peut se le demander. L'ex-commissaire européen négociateur en chef de l'UE pour le Brexit a déclaré que la France devait « retrouver » sa « souveraineté juridique pour ne plus être soumis aux arrêts de la Cour de Justice de l'Union Européenne ou de la Cour Européenne des Droits de l'Homme » sur l'immigration. Le ton est donné.
À l'Elysée, les conseillers du président sont bien conscients que la thématique de la réindustrialisation sera au coeur de la prochaine campagne présidentielle. Dès le début de la pandémie, Emmanuel Macron avait d'ailleurs expliqué avoir l'ambition de « rebâtir notre souveraineté nationale et européenne. » Chez Emmanuel Macron, comme chez Yannick Jadot, souveraineté se conjugue avec Europe.
Le dossier de « l'Europe de la Défense » montre pourtant que ce discours peut avoir de nombreuses limites, tant les intérêts nationaux au sein de l'UE sont parfois totalement divergents au niveau international. Depuis deux ans, Emmanuel Macron revient régulièrement sur le sujet, expliquant par exemple : « Nous devons relocaliser et recréer des forces de production sur nos territoires. La souveraineté sanitaire et industrielle sera l'un des piliers du plan de relance ». Mais quand il s'agit de passer à la pratique, les choses se compliquent. Le nouveau plan d'investissement qui vise à préparer « la France de 2030 » a d'ailleurs été retardé en cette rentrée. Il sera présenté début octobre et pourrait dépasser les 20 à 30 milliards d'euros évoqués à Bercy. Comme l'annonçait Emmanuel Macron lors de son allocution télévisée du 12 juillet dernier, ce plan vise à « faire émerger dans notre pays et en Europe les champions de demain qui, dans les domaines du numérique, de l'industrie verte, des biotechnologies ou encore de l'agriculture dessineront notre avenir ». Il s'agit donc, dans l'idée du président de la République, de créer de toutes pièces de nouvelles filières industrielles.
Pourtant, Emmanuel Macron doit faire face à des résistances au coeur de l'État. En pleine préparation de la loi de finances 2022, Bercy renâcle. Fin aout, le ministre Bruno Le Maire a prévenu devant le Medef que le « quoi qu'il en coûte » était bel et bien terminé pour les entreprises. Le président a dit à son gouvernement qu'il souhaitait des « objets concrets ». Car il sait que les Français l'attendent aussi.