La présidentielle est plus que jamais l'élection reine de la Vème République. Depuis un an, c'est près d'une trentaine de responsables politiques, toutes tendances confondues, qui ont affiché leurs ambitions dans la course pour l'Elysée. Dans le lot, les cinq candidats pour la primaire écolo, mais ça se bouscule également à droite, et bien sûr, à gauche. En cette fin d'été, même ceux qui hésitaient ces derniers mois semblent prêts à se jeter dans la bataille. C'est le cas, par exemple, d'Arnaud Montebourg. Le néo-entrepreneur avait pourtant juré, il y a encore quelques semaines, ne vraiment pas avoir envie de revenir en politique... tout en ayant publié un livre vengeur, sous forme de droit d'inventaire du précédent quinquennat socialiste.
C'est que le choc entre Emmanuel Macron et Marine le Pen, qui était encore envisagé comme inéluctable au printemps dernier, n'apparait plus forcément comme aussi certain. Les élections régionales sont passées par là, elles ont montrées que ni Jean-Luc Mélenchon, ni Emmanuel Macron, ni même Marine Le Pen, n'arrivaient à s'inscrire territorialement. Aucun de ces grands leaders n'est arrivé à mobiliser les abstentionnistes. À son grand désespoir, Marine Le Pen n'a pas bénéficié de la colère grandissante dans le pays, au point d'être renvoyée (et associée) à ce « système qu'elle aime tant vilipender. De fait, cette colère a choisi la rue cet été pour s'exprimer avec les nombreuses manifestations anti-pass sanitaire un peu partout sur le territoire.
Ce manque de dynamique de certains prétendants déjà déclarés attisent les ambitions des uns et des autres. Montebourg y va finalement car Mélenchon patine. Quant à l'amateur Zemmour, il compte créer la surprise face à un RN qui n'apparait pas en grande forme, malgré un air du temps particulièrement droitier et réactionnaire. Ceux-là se souviennent du précédent de 2017 où aucun des candidats présentés comme favoris ne réussit à se maintenir au second tour (voire même à concourir). Eux semblent croire à leur bonne étoile comme un certain Emmanuel Macron en 2017...
Rassembler « Le camp de la raison »
Et pourtant. Malgré les derniers résultats électoraux catastrophiques pour LREM, le président semble avoir retrouvé son mojo au cours de l'été. Son passage en force sur le pass sanitaire lui a permis de cliver la société française pour son plus grand bénéfice au final : en politisant la question du vaccin, le chef de l'État a réussi à agréger de nouveau autour de lui ces CSP + diplômés qui se vivent comme faisant partie du camp de « la raison ». C'est du reste ce que Clément Beaune, le secrétaire d'État aux affaires européennes, futur pilier de la campagne, a voulu signifier en déclarant il y a quelques jours : « En 2022, il nous faudra incarner le camp de la République et de la raison ».
« Le camp de la raison », une expression pour le moins curieuse dans la bouche d'un responsable politique lorsque l'on se souvient que le dernier à l'avoir utilisée était Alain Minc pour expliquer son ralliement à Édouard Balladur en 1995. On connait la suite de l'histoire...
Peu importe pour Emmanuel Macron. Depuis sa folle entreprise de 2017, lui comme ses partisans n'ont cessé d'utiliser des slogans binaires, et finalement de proposer une vision manichéenne de la société et des projets. « Progressistes » contre « conservateurs » ou « nationalistes ». « Républicains » contre « séparatistes », « scientifiques » contre « obscurantistes ». En macronie, tout est moral, rien n'est politique. Même si, dans le même temps, tous les moyens sont bons pour arriver à ses fins.
Et, force est de constater qu'Emmanuel Macron a réussi à reprendre la main au cours de l'été, en prenant une nouvelle fois le contre-pied de ses opposants sur le terrain sanitaire. Depuis un an, le président s'est tellement risqué personnellement sur ce dossier qu'il finit par être le seul à maitriser le tempo. Le « maitre des horloges » comme ses partisans et conseillers aimaient le dépeindre au début de son quinquennat. Face à lui, ses opposants essayent de conjuguer anti pass et pro pass, anti vax et pro vax. Leur silence sur la pandémie est flagrant. « C'est amusant de voir que lorsque Xavier Bertrand se retrouve à Saint Tropez pour convaincre des bienfaiteurs de l'aider sur sa campagne, le président, lui, est sur le front des incendies, présent, plus que jamais », se réjouit ainsi l'un de ses conseillers.
Et cela peut faire la différence. Il ne faut pas l'oublier : en 2022, au vu de la fragmentation de l'arc politique, le passeport pour le second tour pourrait être très faible. En agrégeant le « camp de la raison », Emmanuel Macron pourrait bien s'assurer un socle suffisamment important pour se qualifier. Et cette analyse, ils sont nombreux, parmi les responsables politiques, à la faire. Toujours à bas bruit, dans les coulisses, un peu honteusement. Comme si, au cours de l'été, un certain fatalisme s'était emparé de la classe politico-médiatique.
En off, l'état d'esprit des pros de la politique ne laisse guère au doute : « Il sera réélu ». « La présidentielle est déjà pliée ». Au point que la bousculade de prétendants s'expliquerait d'abord au regard de l'échéance suivante, la présidentielle de 2027. « On prépare la suite », confie ainsi un socialiste, partisan d'Anne Hidalgo. Dans la gauche institutionnelle, ce sentiment semble prédominant. Mais on retrouve cela aussi du coté de la droite. Seul Xavier Bertrand semble vouloir y croire. Peut-être désormais aussi Michel Barnier. Comme un certain François Hollande il y a dix ans ?
Préparer l'avenir
Quand Ségolène Royal s'était retrouvée face à Nicolas Sarkozy en 2007, elle s'était retrouvée face à ce même fatalisme parmi ses « soutiens ». Arnaud Montebourg, à l'époque l'un de ses porte-paroles, avait d'ailleurs confié à un militant socialiste : « On prépare l'avenir ». Reste qu'en 2021, à force de préparer l'avenir, ces professionnels de la politique pourraient se retrouver face à une surprise autrement plus désagréable : et si les Français, comme lors des dernières régionales, décidaient de s'abstenir massivement à la prochaine présidentielle ? On entrerait alors dans une réelle crise de régime. Mais les commentateurs et les acteurs de la politique auraient tort de sous estimer la crise profonde qui traverse le pays, notamment chez les jeunes générations. Ne nous y trompons pas : ceux-là ont déjà décroché.