« Usine à gaz », inefficace... Le bilan sévère de l'index d'égalité professionnelle, quatre ans après sa création

Depuis 2019, le gouvernement a mis en place un index de l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes de manière progressive. Il contraint désormais toutes les entreprises d’au moins 50 salariés à calculer et à publier cet indicateur au 1er mars chaque année. A l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, La Tribune dresse le bilan de l’index d’égalité professionnelle. Une mesure jugée trop complexe, et dont les effets sont, pour l’instant, invisibles, estiment certains chercheurs.
Pauline Chateau
Seuls 25% des salariés du secteur privé sont couverts par l'index d'égalité professionnelle, avance l'Institut des politiques publiques.
Seuls 25% des salariés du secteur privé sont couverts par l'index d'égalité professionnelle, avance l'Institut des politiques publiques. (Crédits : Reuters)

[Article mis à jour le mercredi 8 mars à 11h10 avec les résultats de l'index
de l'égalité professionnelle 2023] 
Niveaux de salaire, promotion, augmentation... L'index d'égalité professionnelle suffit-il à faire progresser les entreprises ? Instauré via la loi « Pour la liberté de choisir son avenir professionnel » de septembre 2018, portée par la ministre du Travail de l'époque, Muriel Pénicaud, cet outil qui mesure au travers de différents critères les inégalités au sein des entreprises, a été mis en place depuis le 1er mars 2019. Pour l'Institut des politiques publiques, le bilan est, pour l'heure, très mitigé, en raison de la complexité de son calcul. Pire, l'index d'égalité professionnelle n'a aucun effet sur la réduction des inégalités entre les femmes et les hommes.

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L'index d'égalité professionnelle a été mis en œuvre pour les entreprises dont l'effectif compte au moins 1.000 salariés, puis d'au moins 250 salariés au 1er septembre 2019. Depuis le 1er mars 2020, ce sont toutes les entreprises d'au moins 50 salariés qui sont concernées. Objectif : réduire les inégalités salariales entre les genres.

« Si l'égalité salariale entre femmes et hommes est inscrite dans la loi depuis 1972, la réalité est bien différente. En France, les femmes sont en moyenne payées 9% de moins que les hommes à poste et âge égaux. Tous postes confondus, l'écart atteint 25% », justifiait le gouvernement sur son site en 2018.

Des mesures de correction obligatoires

Chaque année, au 1er mars, les entreprises doivent désormais calculer et publier sur leur site Internet l'index d'égalité professionnelle. « Elles doivent également le communiquer, avec le détail des différents indicateurs, à leur Comité social et économique (CSE) ainsi qu'à l'inspection du travail (Dreets) », indique le ministère du Travail sur son site.

Les entreprises peuvent calculer l'index sur le site Egapro, en renseignant notamment les rémunérations, en fonction du genre et du statut (ouvrier, employé...). Selon le résultat obtenu, elles doivent afficher des objectifs de progression. « Si l'Index de votre entreprise est inférieur à 75 points sur 100, celle-ci devra mettre en œuvre des mesures de correction qui lui permettront d'atteindre au moins 75 points dans un délai de trois ans », avertissait le ministère du Travail dans un flyer datant d'avril 2021.

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Sur le papier, des chiffres qui s'améliorent...

Les entreprises récalcitrantes - qui n'auraient pas pris de mesures adéquates ou qui n'auraient tout simplement pas publié cet index - s'exposent à une pénalité financière. Celle-ci peut atteindre 1% de la masse salariale.

« L'objectif premier n'est pas la sanction, mais que les entreprises changent leurs pratiques pour atteindre l'égalité réelle entre les femmes et les hommes. L'inspection du travail a pu vouloir laisser un peu plus de temps pour la mise en œuvre de mesures correctrices », a souligné Elisabeth Borne dans un entretien au magazine Elle le 3 mars.

« On voit que le cadre réglementaire se durcit ces dernières années, observe Anne-Lise Castell, juriste rédactrice en droit social aux Editions Tissot. Au début, il fallait uniquement calculer la note globale de l'index sur 100 points. Désormais, il faut détailler chaque indicateur et prendre des mesures de progression. Il devient donc difficile d'y échapper. C'est une obligation à ne pas prendre à la légère.»

Mais pour quels résultats ? Les chiffres de l'année 2023 ont été dévoilés par l'exécutif ce mercredi 8 mars. Le taux de répondants progresse à 72% cette année, contre 61% l'année précédente.  En 2023, la note moyenne de l'index d'égalité professionnelle s'est améliorée, à 88, contre 86 sur 100 en 2022, 85 en 2021 et 84 en 2020. En matière de parité dans les 10 meilleures rémunérations, l'indicateur de l'index, lui, stagne.

« La part des entreprises qui respectent leur obligation de déclaration augmente et c'est bien, a salué Olivier Dussopt au micro de France inter. « La deuxième bonne nouvelle, c'est que la note moyenne obtenue par les entreprises ne cesse de progresser. »

En revanche, 77 entreprises sont passibles d'être sanctionnées. Depuis 2019, l'inspection du travail et le ministère du Travail revendiquent 42 017 interventions, 695 mises en demeure et 49 pénalités financières.

... Mais aucun effet « à court terme »

« Le constat, c'est que les entreprises ont de très bonnes notes, a concédé Thomas Breda, économiste du travail (PSE, CNRS) et responsable du pôle « travail et emploi » de l'Institut des politiques publiques (IPP), lors de la présentation d'une étude dédiée à l'index lundi 6 mars. Le bilan reste toutefois mitigé, selon cette étude menée par l'IPP pour l'Ires, l'Institut de recherches économiques et sociales, et qui s'appuie sur des travaux antérieurs.

Un système qui « favorise les bonnes notes »

« Nous n'avons pas observé d'effet de l'index d'égalité professionnelle à court terme sur les inégalités, a taclé Thomas Breda lors de la conférence de presse organisée par la CFDT. Pour parvenir à ce résultat, les statisticiens ont comparé l'évolution entre 2017 et 2020 d'un groupe d'entreprises ayant entre 55 et 70 salariés avec un groupe témoin d'entreprises ayant entre 35 et 45 salariés et donc pas concernées par l'index du fait de leur petite taille, à partir de bases de données de Bercy et de l'Insee.

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Pour les chercheurs, le système de calcul de l'index est même biaisé, puisqu'il est conçu « pour que les notes soient bonnes ». Pour mesurer le premier indicateur, relatif à l'écart de rémunération entre les hommes et les femmes - qui représente tout de même 40 points sur 100 -, il faut, en principe, classer la rémunération des CSP, par genre et par tranche d'âge. Or, plusieurs catégories de salariés sont exclues (apprentis, contrats de professionnalisation, intérimaires, expatriés, salariés de moins de 6 mois...), ce qui réduit de facto le champ de couverture de l'index.

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Autre point noir, la constitution même des groupes de salariés. Un groupe de salariés doit être nécessairement constitué de trois femmes et de trois hommes pour mener à bien le calcul. Dès lors que ces critères ne sont pas remplis, l'effectif du groupe ne peut pas être comptabilisé, ce qui restreint, une fois de plus, le nombre de salariés couverts par l'index d'égalité professionnelle au sein de l'entreprise. En outre, si le calcul repose sur moins de 40% de l'effectif total, l'entreprise n'est pas en mesure de calculer cet indicateur d'écart de rémunération entre les femmes et les hommes. De facto, elles se retrouvent dans l'incapacité de produire leur note globale sur 100 points.

Un index parfois incalculable

Les modalités de calcul de ces groupes peuvent également différer d'une entreprise à l'autre. « Les entreprises peuvent se mettre d'accord avec les élus du personnel pour utiliser d'autres méthodes : elles peuvent choisir de ne pas répartir par niveau ou coefficient hiérarchique. Il y a une règle de base et des dérogations, c'est souvent le cas en droit du travail », souligne Anne-Lise Castell, juriste rédactrice en droit social aux Editions Tissot auprès de La Tribune.

« L'employeur a la possibilité de changer de méthode de répartition des salariés d'une année sur l'autre, ses différents Index seront comparés au cours d'un cycle de 3 ans, peu importe que la méthode ait été modifiée », complète-t-on dans la Foire aux questions dédiée sur le site du ministère du Travail.

« C'est une usine à gaz », dénonce l'économiste Thomas Breda auprès de La Tribune. La complexité et les règles d'exclusion de calcul sont telles qu'elles empêchent de très nombreuses entreprises d'être en mesure de produire cet index. « On ne peut pas calculer en dessous de 75 points », rappelle le chercheur. Environ 30% d'entre elles ne déclarent pas d'index d'égalité professionnelle, estime l'IPP. Pour 25% des entreprises, cet outil n'est même pas calculable.

Inadapté pour identifier les mesures adéquates

En conséquence, seuls 25% des salariés du secteur privé sont couverts par cet index, avance l'Institut des politiques publiques. « La moitié des salariés sont exclus, car ils sont dans des entreprises hors-champ, de moins de 50 salariés, nous détaille l'économiste. Et parmi celles qui sont concernées par l'index, certaines ne peuvent pas le calculer. »

L'autre limite concerne les mesures de progression, voire de correction. La réglementation ne spécifie pas la nature de ces mesures. Si elles font l'objet d'une négociation annuelle obligatoire, elles restent « très vagues », reconnaît Anne-Lise Castell. « L'index d'égalité professionnelle est mal conçu pour identifier les sources d'inégalités et les inégalités réelles, estime Thomas Breda, qui suggère la publication d'indicateurs plus simples. Il est trop complexe pour identifier les mesures de correction. »

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« Une boîte noire » pour les représentants du personnel

« L'index d'égalité professionnelle ne peut pas être amené à servir le dialogue social dans ces conditions, a acquiescé Béatrice Lestic, secrétaire générale CFDT, lors de la conférence de presse, présentant l'étude. Pour les représentants du personnel, l'index c'est une boîte noire. On ne sait toujours pas, sur l'indicateur d'écart salarial, quel groupe a une bonne note, lequel n'a pas une bonne note. Y compris pour mener une politique efficace dans une entreprise, on voit bien que l'index n'est pas l'outil qu'on peut mobiliser utilement. » A ce titre, le syndicat réclame une discussion avec le ministère du Travail.

La Première ministre, Elisabeth Borne, reconnaissait déjà l'an dernier les limites de l'index d'égalité professionnelle. « L'index ne peut évidemment suffire à traiter à lui seul tous les problèmes d'égalité professionnelle. Il s'inscrit dans un cadre plus large », expliquait-elle dans un entretien au quotidien Les Echos paru l'an dernier, mettant l'accent sur la lutte contre les stéréotypes de genre via l'orientation.

L'écart salarial tend à se réduire

En 2023, la locataire de Matignon a fait part de son intention d'aller plus loin. Elle souhaite organiser une concertation avec les partenaires sociaux, afin d'actualiser les critères de l'index. « Par exemple, l'augmentation au retour du congé maternité qui est une obligation légale est un critère de l'index. C'est quand même curieux que de respecter la loi vous donne des points ! », s'est-elle indignée.

L'Insee a dévoilé les chiffres actualisés en matière d'écart salarial entre les femmes et les hommes pour l'année 2021, mardi 7 mars. « Le revenu salarial moyen des femmes est inférieur de 24% à celui des hommes dans le secteur privé, pointe l'Insee, contre 34% en 1995. Cependant, à temps de travail identique, le salaire moyen des femmes est inférieur de 15% à celui des hommes (...). A poste comparable, c'est-à-dire à même profession exercée pour le même employeur, l'écart de salaire en équivalent temps plein se réduit à 4% environ. »

Sur 100 points, l'index est composé de plusieurs indicateurs, répertoriés par le ministère :

  • L'écart de rémunération femmes-hommes (40 points)
  • L'écart de répartition des augmentations individuelles (20 points),
  • L'écart de répartition des promotions (pour les entreprises de plus de 250 salariés, à 15 points),
  • Le nombre de salariées augmentées à leur retour de congé de maternité (15 points),
  • La parité parmi les 10 plus hautes rémunérations (10 points).

Pauline Chateau
Commentaires 3
à écrit le 08/03/2023 à 14:15
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« Usine à gaz » est un mot trop noble et à trop forte valeur ajoutée pour parler des textes torchons foutraques brassés par les esprits tordus hauts fonctionnaires inutiles et les parlementaires qui ont voté ces bouillons comme une eau qui croupie d...

à écrit le 08/03/2023 à 11:09
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Cet index ne sert à rien. Comme tant d'autres et surtout comme le prochain à venir sur l'emploi des seniors dans les entreprises. Au lieu de s'attaquer à la cause de la fièvre, les technocrates s'écharpent sur la définition d'un hypothétique thermo...

à écrit le 08/03/2023 à 9:48
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ca permet de creer plein d'emplois, ces trucs, comme en urss!!!!!!! y a des commissaires politiques pour faire des lois, des commissaires politiques pour verifier l'efficacite, des commissaires politiques pour fusiller avec tolerance donc de gauche l...

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