Bis repetita Angela. Avec la Chine, Olaf Scholz marcherait-il dans les pas de Merkel ? Durant ses quatre mandats de chancelière, l'ancienne dirigeante s'est rendue douze fois en République populaire. En deux ans et demi, son successeur a déjà fait deux fois le voyage. Il est arrivé hier et ne repartira que mardi. Il n'est jamais resté aussi longtemps dans un pays étranger.
Aujourd'hui, le chancelier commence par visiter Chongqing, dans le centre de la Chine, gare de départ de la plus importante liaison ferroviaire vers l'Europe. Chaque semaine, plus de 60 trains de marchandises partent vers Duisburg, dans la Ruhr. Curieux agenda pour le chef d'un gouvernement qui a mis le De-Risking au centre de sa China-Strategie. Le texte élaboré par plusieurs ministères fédéraux allemands a été publié l'été dernier. Noir sur blanc, on y lit que l'Allemagne doit poursuivre « urgemment » une stratégie visant à réduire le risque d'une trop grande dépendance à la Chine. Le traumatisme de l'addiction énergétique à la Russie, dont il a fallu se sevrer en quelques mois, est encore vif. En 2023, le PIB a reculé de 0,3 %. Pour cette année, les prévisionnistes tablent sur une croissance quasi nulle, autour de 0,2 %.
Selon un sondage mené par la chambre allemande de commerce international, une entreprise allemande sur deux a commencé à prendre des mesures pour limiter l'imbrication chinoise. L'an dernier, les échanges se sont aussi contractés (-19 % pour les importations, -8 % pour les exportations). Mais le nombre de biens pour lesquels l'Allemagne est en situation de grande dépendance vis-à-vis des Chinois ne baisse pas. Des filières entières de l'économie allemande ne survivraient pas si Berlin coupait les liens avec Pékin, son premier partenaire commercial.
Douze grands patrons dans l'avion
« Les échanges avec la Chine sont pratiquement irremplaçables à court terme », résume Moritz Schularick, le directeur de l'Institut Kiel, qui a récemment évalué qu'une rupture des échanges, dans le cas d'un scénario dur, par exemple des sanctions comme celles appliquées à la Russie depuis deux ans, jetterait l'Allemagne dans une récession, amputant son PIB de 5 points la première année. À la chancellerie, on connaît ces chiffres. La délégation qui a pris place dans l'avion fédéral marche sur des œufs.
Autour d'Olaf Scholz, pas moins de douze grands patrons - Mercedes-Benz, BMW, Volkswagen, Siemens, Bayer, Thyssenkrupp, Merck, BASF... -, tous des ténors du made in Germany, confrontés à la même équation : prendre ses distances et en même temps soigner le marché chinois. Contrairement à l'époque Merkel, aucun contrat ne sera signé lors du voyage, mais le mot d'ordre sera « la coopération plutôt que la confrontation », admet-on chez Daimler, la maison mère de Mercedes.
Martin Wansleben, le président de la chambre allemande de commerce et d'industrie (DIHK), assume ce pragmatisme : « En tant que premier partenaire de l'Allemagne, la Chine est un important sous-traitant pour nombre de biens inter- médiaires et de matières premières, mais aussi un grand marché de débouchés pour les produits allemands. » L'antenne chinoise de la DIHK attend du chancelier qu'il renoue le dialogue avec les autorités, après les années Covid marquées par la méfiance, qui ont pénalisé les affaires.
L'art de ne rien dire
« Toutes les décisions prises par l'Allemagne à l'encontre de la Chine, et l'ampleur avec laquelle cela s'appliquera, relèvent du domaine politique », rappelle Julian Hinz, chercheur à l'Institut Kiel. Pour une fois, Olaf Scholz semble être l'homme de la situation. Il excelle dans l'art de ne rien dire pour tout laisser penser. Un style de communication qui lui est souvent reproché mais qui lui a déjà permis de ménager la chèvre et le chou chinois. Lors de son premier déplacement à Pékin, en novembre 2022, il avait convaincu Xi Jinping de jouer les médiateurs auprès de Vladimir Poutine, qui avait ensuite baissé son niveau de menace nucléaire. Un des rares coups diplomatiques signés Berlin depuis deux ans.
Scholz arrive avec une carte dans son jeu : son tout nouveau compte TikTok, ouvert le 8 avril. Cette entrée en scène sur le réseau social chinois ne manquera pas de flatter les dirigeants communistes alors que, de Paris à Washington, la plateforme est de plus en plus critiquée. D'autant plus que la Chine, dans la perspective d'une intensification de la guerre commerciale sino-américaine, n'a pas intérêt à ce que l'Allemagne s'aligne trop sur les États-Unis. À ce titre, la levée de l'embargo chinois sur le porc allemand, qui devrait être entérinée lors de ce voyage officiel, est symbolique : un sésame pour 17 % des exportations totales de la filière allemande ! Le ministre fédéral de l'Agriculture fait partie de la délégation. Cem Özdemir est musulman et végétarien. Face à la Chine, l'Allemagne n'est pas à une contradiction près.
Des pratiques déloyales
Cela transparaît plus encore dans le dossier des subventions dont Pékin abreuve ses compagnies nationales. Mais Berlin regarde ailleurs. Pourtant les deux tiers des entreprises allemandes installées en République populaire se plaignent de pratiques déloyales. Dans le secteur de l'automobile, cela provoque une concurrence de prix intenable pour les constructeurs européens. La Commission européenne, encouragée entre autres par la France, étudie donc la possibilité d'augmenter les droits de douane sur les véhicules chinois.
L'Allemagne s'y oppose, tétanisée par la perspective de représailles dont pâtirait son économie déjà fragile. Les constructeurs de berlines thermiques, comme BMW ou Mercedes, dépassés technologiquement sur l'électrique, jouent leur survie sur le marché haut de gamme chinois, là où ils réalisent encore un tiers de leurs chiffres d'affaires et de leurs bénéfices. Quitte à livrer en pâture leur demande domestique aux concurrents asiatiques, tel BYD, en plein boom outre-Rhin avec sa petite citadine. « Au fond, les consommateurs allemands en profitent », lâche un conseiller du chancelier social-démocrate interrogé sur cette politique des prix cassés. L'argument est presque mot pour mot l'explication qu'ont donnée pendant des années les autorités allemandes pour justifier les achats de gaz russe.