
Olaf Scholz fera-t-il douze voyages en Chine comme Angela Merkel ? Le chancelier allemand semble vouloir marcher dans les pas de sa devancière qui avait soigné ses relations avec le premier marché du monde. Moins d'un an après sa prise de fonction, le chancelier s'envole pour la première fois vers Pékin ce vendredi. Une visite dont les groupes allemands comme BASF, Siemens ou Volkswagen devraient être les grands bénéficiaires.
« Il s'agit d'abord d'une visite économique chez le premier partenaire commercial des Allemands. Il y a une forme de continuité avec la politique d'Angela Merkel vis-à-vis de la Chine. L'Allemagne veut protéger ses débouchés d'exportations pour absorber le choc économique qui se profile du fait de l'inflation et de la crise de l'énergie », souligne Marion Gaillard, spécialisée des relations franco-allemandes.
Pour ses premiers mots sur le sol chinois, Olaf Scholz a confirmé qu'il n'était pas « partisan d'un découplage » des relations économiques avec la Chine tout en souhaitant que celles-ci soient plus « équitables, avec une réciprocité, à la question d'une ouverture réciproque aux investissements ». Le patron de Volkswagen en Chine Ralf Brandstatter est venu soutenir cette position de plus en plus contestée outre-Rhin y compris au gouvernement. « Le découplage ne peut pas être une option sérieuse pour les deux pays », a-t-il déclaré dans un communiqué.
Poids colossal dans la balance commerciale
La Chine représente un poids colossal dans la balance commerciale allemande. Tout particulièrement pour ses fleurons de la chimie, des biens d'équipement ou de l'automobile. Volkswagen, par exemple, écoule 40% de ses véhicules sur le marché chinois quand Mercedes-Daimler et BMW y font respectivement 28 et 25% de leurs ventes.
Les résultats des industriels allemands sur le marché chinois sont encore amenés à croître dans les prochaines années. Et avec eux, la dépendance de la première économie européenne à la première économie mondiale. L'Allemagne est loin d'être le seul pays à considérer la Chine comme un eldorado pour ses multinationales. La France et nombre de démocraties occidentales plébiscitent les visites diplomatiques à Pékin et dans d'autres régimes autoritaires pour y sceller des contrats en or. Néanmoins, les écologistes et les sociaux-démocrates au pouvoir en Allemagne avaient affiché leur volonté d'être plus exigeants sur leurs partenaires commerciaux.
Quand Scholz promettait d'être plus regardant avec la Chine
« Pendant la campagne électorale de 2021, le SPD d'Olaf Scholz avait promis d'être plus regardant sur la question des droits de l'Homme chez les partenaires de l'Allemagne. La question des droits humains et de l'Etat de droit est présente à plusieurs reprises dans le contrat de coalition, tant pour les questions de politique commerciale et étrangère que concernant les dérives illibérales à l'intérieur de l'UE », se remémore Marion Gaillard.
Cette spécialiste des questions européennes rappelle que l'idée a longtemps perduré chez les Allemands que les échanges, notamment commerciaux, avec des pays autoritaires constituaient le meilleur moyen de les faire évoluer vers des régimes démocratiques, sur le modèle de l'Ostpolitik de l'ancien chancelier Willy Brandt (de 1969 à 1974), de tendre la main au bloc de l'Est au temps de la Guerre froide. Cette approche est contestée depuis que le Covid a jeté une lumière crue sur la nature autoritaire profonde de la Chine de Xi.
L'engorgement des chaînes logistiques et la guerre en Ukraine qui prive l'Allemagne de gaz russe ont achevé de montrer combien le modèle allemand reposait sur l'extérieur : la Russie pour son énergie, la Chine pour ses exportations et les Etats-Unis pour sa défense.
Rupture ou continuité avec le modèle de Merkel ?
« L'Allemagne connaît une remise en cause totale de son modèle économique, énergétique et militaire. Face à la Chine, le scénario du pire, d'un embargo, d'un découplage avec une grande économie, potentiellement d'une guerre avec Taïwan et ses conséquences, doivent être anticipés, en transposant le précédent russe sur la Chine. Olaf Scholz lui-même a admis et conceptualisé cette bascule en parlant de "Zeitenwende" (ndlr : changement d'époque en allemand). Or, son voyage en Chine renvoie une vision très centrée sur les intérêts économiques immédiats sans prendre en compte le grand ensemble géopolitique », s'étonne Marie Krpata, chercheuse au Comité d'études des relations franco-allemandes (Cerfa) à l'Institut français des Relations Internationales (IFRI). Cette dernière note aussi qu'Olaf Scholz hérite d'un modèle légué par les coalitions des décennies précédentes qu'il ne peut renverser du jour au lendemain.
La semaine dernière, la décision d'Olaf Scholz d'approuver la cession d'une partie du port d'Hambourg au géant chinois Cosco avait déjà semé le trouble sur sa volonté de rééquilibrer les relations économiques avec la Chine, comme le réclament le syndicat des industriels allemands BDI ou encore le contrat de coalition scellé avec les Libéraux et les écologistes.
Mauvais timing
Le dirigeant de la première puissance économique d'Europe se trouve isolé au sein de son propre gouvernement. Sa ministre verte des Affaires étrangères s'est désolidarisée de la visite du chancelier qui choisit de se rendre en Chine à la suite du XXème congrès qui a consacré l'emprise de Xi Jinping sur le pays. « Le chancelier a décidé du moment de son voyage », avait déclaré en début de semaine Annalena Baerbock. La cheffe de la diplomatie n'a pas facilité le voyage d'Olaf Scholz ce jeudi en se félicitant que les pays du G7 étaient prêts à reconnaître publiquement que Pékin était un « concurrent et un rival ». Une nouvelle pique venant de celle qui souhaite que l'Allemagne n'ait pas à « dépendre d'un pays (ndlr: la Chine) qui ne partage pas ses valeurs ».
« La visite de Scholz n'est pas choquante en soi. Ce n'est pas comme si le reste du monde avait rompu ses relations avec la Chine », estime Marion Gaillard, enseignante à Sciences Po Paris qui considère toutefois qu'Olaf Scholz aurait dû décaler sa visite ou se faire accompagner de dirigeants européens comme l'avait suggéré Emmanuel Macron. « Mais ce voyage est mal venu dans un contexte post-Covid, de guerre en Ukraine, de tensions autour du Taïwan, de XXème congrès du PCC qui confirme la fermeture de la Chine. En termes de symbole, se rendre maintenant en Chine est une erreur ».
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