
Un programme de mutualisation de la dette européenne, à l'instar de celui mis en place pendant le Covid-19, reverra-t-il le jour pour lutter contre la flambée des prix de l'énergie ? Tout dépendra de l'Allemagne, accusée une nouvelle fois de faire cavalier seul face à une crise qui la dépasse. Jusqu'ici, l'histoire semble se répéter : alors qu'en 2020, au plus fort de la pandémie, la chancelière de l'époque, Angela Merkel, avait d'abord fermé les frontières puis acheté masques et vaccins sans penser aux autres Etats de l'Union, le nouveau gouvernement entend désormais profiter de sa force de frappe budgétaire pour défendre quoi qu'il en coûte sa propre industrie, face à l'inflation qui secoue le Vieux continent. Et ce, malgré les conséquences possibles sur celle de ses voisins.
En effet, le chancelier Olaf Scholz (SPD) a annoncé la semaine dernière un gigantesque plan national de 200 milliards d'euros censé protéger l'économie allemande de la flambée des prix du gaz et de l'électricité, dont une grande partie sera financée par la dette. Puisque 100 milliards d'euros de subventions ont déjà été alloués par l'exécutif, ce sont donc, en tout, 300 milliards qui devraient être injectés outre-Rhin afin de juguler l'hémorragie - soit plus du double du soutien apporté par l'Italie et la France réunies !
Mais alors que la nouvelle a fait l'effet d'une bombe, fustigée par les gouvernements polonais, letton, estonien, belge, hongrois ou encore italien, Berlin pourrait finalement faire volte-face. Selon les informations de Bloomberg, Olaf Scholz s'apprêterait à soutenir l'émission conjointe de dette de l'Union européenne afin d'amortir le coup de la crise énergétique pour tout le monde. La condition : que l'argent levé soit versé aux États membres en difficulté sous forme de prêts et non de subventions. Comme à l'époque du Covid-19, où Angela Merkel s'était finalement associée au président Emmanuel Macron pour défendre un plan de relance européen financé par une dette commune, l'Allemagne lâchera-t-elle donc du lest pour éviter une fragmentation financière de la zone euro ?
Des entreprises allemandes en position de force à l'étranger
De fait, laisser Berlin agir en solitaire risque de morceler le marché européen de l'énergie, en conférant aux entreprises allemandes financées par l'Etat un avantage injuste, selon plusieurs dirigeants de l'UE. Et pour cause, le pays dispose de tous les atouts dans son jeu, grâce à une dette publique faible avec laquelle la plupart des Vingt-Sept ne peuvent rivaliser. Ce qui lui permettra d'accorder à ses poids lourds de l'énergie, comme SEFE, VNG ou Uniper, des aides « démesurées », craignent plusieurs Etats membres, entraînant des distorsions de compétitivité entre les nations du Vieux continent.
« L'industrie allemande va gagner des parts de marché au détriment des autres pays, ce qui risque d'entraîner une concurrence déloyale. Plusieurs d'entre eux ont ainsi peur d'être discriminés, alors qu'en principe, dans l'Union européenne, les subventions massives aux entreprises nationales sont interdites », explique Jacques Percebois, économiste et directeur du Centre de Recherche en Economie et Droit de l'Energie (CREDEN).
La rancœur est d'autant plus forte que Berlin a longtemps érigé la rigueur budgétaire en véritable dogme, demandant aux « cigales » du Sud de se comporter en « fourmis » à coup d'austérité subie. « Les Allemands disaient toujours aux autres qu'ils étaient trop dépensiers. Mais quand ils changent de point de vue, ils y vont de manière très importante, et en solitaire », note Jacques Percebois. Surtout, ni l'exécutif bruxellois, ni les Etats membres, n'ont été informés au préalable de la préparation de ce plan. « Son ampleur et sa magnitude auraient au moins valu une forme de notification des partenaires européens », estime Phuc-Vin Nguyen, chercheur sur les politiques européennes de l'énergie à l'Institut Jacques Delors.
Faiblesse budgétaire de l'Italie
« Face à des menaces communes, nous ne pouvons pas nous diviser en fonction de l'espace dans nos budgets nationaux », a ainsi réagi l'ancien président du Conseil italien Mario Draghi, alors que la dette du pays empêche toute marge de manœuvre, et lui impose des coûts d'emprunt plus élevés sur les marchés internationaux.
Et Guido Crosetto, le conseiller de sa successeuse, Georgia Meloni, d'ajouter : « C'est un acte précis, délibéré, non convenu, non partagé, non communiqué, qui sape les raisons de l'Union ». « Nous devons travailler ensemble pour maintenir le niveau de concurrence dans tous les Etats membres », a pour sa part déclaré Krišjānis Kariņš, le Premier ministre de la Lettonie, qui assure la présidence tournante du Conseil de l'UE. De son côté, le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, a fustigé « l'égoïsme allemand » et dénonce la « destruction du marché unique européen ».
« Il est essentiel en Europe que nous fassions les choses ensemble pour faire face à une crise énergétique qui va perdurer. [...] Si nous ne le faisons pas, nous risquons de faire éclater la zone euro », a quant à lui fait valoir lundi dernier le ministre français de l'Economie, Bruno Le Maire.
Un possible compromis sur les subventions européennes au gaz
Chose rare, les commissaires européens au Marché intérieur et à l'Economie, le Français Thierry Breton et l'Italien Paolo Gentiloni (qui ne sont pas censés agir comme des représentants de leurs pays d'origine) ont même rappelé à l'ordre l'exécutif allemand dans une tribune diffusée dans plusieurs médias la semaine dernière. Et proposé de « s'inspirer » plutôt du programme temporaire commun SURE - Support to Mitigate Unemployment Risks in an Emergency, mis en place pour aider les Etats membres à lutter contre l'impact économique et social négatif de la pandémie de Covid-19 -, afin d' « aider les Européens et les écosystèmes industriels dans la crise actuelle ».
Olaf Scholz pourrait-il donc finir par emprunter cette direction, malgré les risques que celle-ci représente pour l'économie de son pays ? « De tels plans ne sont pas connus au sein du gouvernement », a coupé court lundi soir un fonctionnaire du gouvernement allemand, rapporte l'agence Reuters.
Une autre voie pourrait aussi se dessiner. Depuis plusieurs semaines, l'Allemagne et les Pays-Bas bloquent les négociations sur l'instauration d'un plafonnement du prix de l'électricité issue du gaz dans l'Union européenne. Berlin pourrait finir par accepter l'extension de cette mesure, déjà mise en place en Espagne et au Portugal, comme le demandent une quinzaine d'Etats membres (parmi lesquels la France).
« On sait qu'Olaf Scholz fait partie des derniers dirigeants qui y sont encore opposés. Pour lui, avancer sur cette question pourrait donc être une manière de mieux faire passer la pilule de son fameux plan national », considère Phuc-Vinh Nguyen.
Mercredi dernier, la présidente de la Commission européenne, l'Allemande Ursula von der Leyen, s'est d'ailleurs montrée ouverte à la discussion : « nous sommes prêts à discuter de l'introduction d'un plafond temporaire », a-t-elle fait savoir dans un courrier envoyé aux Vingt-Sept. Reste à voir si la solidarité des Etats membres trouvera son salut dans un compromis de ce type, alors que, dans les coulisses, plusieurs d'entre eux accusent Berlin d'être en grande partie responsable de la crise actuelle, à force de dépendance au gaz russe...
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