Année folle ou année molle  ? Quels seront les « cygnes noirs » de 2020  ?

ANALYSE. 2020 sera-t-elle une année de crise comme 2008 ? Si les prémices d’un accord entre les États-Unis et la Chine, le succès de Boris Johnson aux élections législatives britanniques réduisent les incertitudes, nombre de points chauds à travers le monde sont susceptibles d’enrayer la machine économique.
Robert Jules
(Crédits : Reuters)

Quels événements a priori imprévisibles mais aux conséquences systémiques sur l'économie mondiale, ce que Nassim Nicholas Taleb a popularisé sous le concept de « cygnes noirs » dans son best-seller (Le Cygne noir, éd. Les Belles Lettres), pourraient surgir l'année prochaine ? Il y a d'abord le contexte : l'économie mondiale ralentit.

Le Fonds monétaire international (FMI) prévoit désormais 3 % de croissance en 2019, « son rythme le plus lent depuis la crise financière mondiale », souligne Gita Gopinath, cheffe économiste du FMI, qui précise qu'il s'agit « d'un ralentissement synchronisé ». Autrement dit, les économies émergentes ne prendront pas le relais des économies développées, l'économie mondiale est bien en train de s'unifier. Même si l'institution prévoit 3,4 % en  2020, l'horizon est loin d'être dégagé. Ce ralentissement de l'activité mondiale est davantage dû à des surcapacités, à l'exemple du secteur automobile, et à un endettement élevé des États, mais aussi des entreprises et des ménages. Il est donc possible que le monde soit entré dans une phase de stagnation économique, à l'exemple du Japon, car, comme le souligne l'économiste espagnol Daniel Lacalle, « avoir des taux bas et augmenter la masse monétaire ne fait que rendre l'économie moins dynamique, plus stagnante », avec « son lot d'entreprises zombies, qui ne vivent que du soutien public et de l'argent facile ». Les marchés sont au plus haut, mais cela ne veut pas forcément dire que la crise financière est pour demain. Mais après-demain ? Dans un tel contexte de tensions mondiales, où sont les fragilités ? 2020, année folle, ou année molle.

Hong Kong, le grain de sable de la Chine

Les interrogations vont bon train sur la Chine. Son économie connaît un ralentissement continu ces dernières années avec désormais un taux qui va passer sous les 6 %. Le dynamisme du pays s'est construit sur une montagne de dettes. Selon l'Institut de la finance internationale, « le montant total des dettes des entreprises, des ménages et de l'État équivalait à 303 % du PIB, soit 40. 000 milliards de dollars », au premier trimestre de 2019. Si les autorités arrivent à gérer ce problème, notamment en maîtrisant la bulle immobilière et en rationalisant l'appareil industriel, la Chine cherche non sans mal à rééquilibrer son activité au profit de son marché intérieur pour être moins dépendante des exportations.

Le « cygne noir » chinois est davantage géopolitique. Pékin n'arrive pas à faire plier l'opposition à Hong Kong, où la population manifeste depuis des mois, initialement contre un projet de loi favorisant l'extradition de ressortissants de Hong Kong en Chine continentale. Aujourd'hui, c'est un véritable rejet du pouvoir communiste personnalisé par l'omnipotence de Xi Jinping, comme l'ont montré les dernières élections législatives. Si Hong Kong ne plie pas, Pékin pourrait intervenir militairement.

Des pays émergents dans la tourmente

On est bien loin de la théorie du début des années 2000 qui prévoyait que les émergents prendraient le relais de la croissance des pays développés. Au contraire, plusieurs gouvernements se voient contestés par leurs populations, notamment en Amérique latine : Venezuela, Argentine, Bolivie, Chili, Pérou. Mais la fragilité vient là aussi de leur endettement. « Si la situation précaire de nombreux pays émergents n'a pas tourné au fiasco financier ces derniers temps, c'est le plus souvent grâce à la disparition de l'inflation, notamment permise par le contexte de stabilité des prix du pétrole et des matières premières », souligne l'économiste Véronique Riches-Flores. Mais ces économies vont devoir faire face à un montant élevé d'échéances de remboursements d'emprunts réalisés en devises étrangères. Si le dollar s'apprécie, ces remboursements vont peser sur une croissance dépendant souvent de revenus liés aux exportations qui sont déjà en forte baisse. Nombre d'États qui vont devoir puiser dans leurs réserves de change pourraient se trouver dans une situation critique.

L'Allemagne, « l'homme malade de l'Europe »

Il aura suffi que Donald Trump impose une majoration de tarifs douaniers sur les importations de voitures d'Allemagne pour voir le pays leader de l'Union européenne vaciller, et éviter une récession technique de justesse. « Une puissance exportatrice, avec un secteur automobile surdimensionné, n'est pas ce qui convient dans les temps actuels. De surcroît, les responsables de politique économique sont hostiles à toute déviation par rapport à l'orthodoxie, qu'elle soit monétaire (mais là, la Bundesbank a perdu la main au profit de la BCE) ou budgétaire, et n'envisagent tout projet d'intégration européenne qu'avec le plus grand scepticisme », souligne Bruno Cavalier, chez Oddo Securities. Population vieillissante, essoufflement politique de la chancelière Angela Merkel, montée de l'extrême droite... L'Allemagne est dans le creux de la vague, avec le risque d'un repli sur ses problématiques nationales.

L'Union européenne en panne

La fragilité actuelle de l'Allemagne a aussi pour conséquence de peser sur la gouvernance de l'Union européenne qui a renouvelé ses instances : Parlement, Commission, dirigée par l'Allemande Ursula von der Leyen, et BCE, présidée par Christine Lagarde. Il n'est pas certain que les promesses de relance du projet européen, en mettant l'accent sur la lutte contre le réchauffement climatique et une plus grande inclusion, suffisent, après le départ des Britanniques, à convaincre une large part des opinions publiques devenues sceptiques à l'égard de Bruxelles. Ce malaise reflète aussi la fragmentation électorale à l'œuvre dans nombre de pays, où l'atténuation de l'ancien clivage droite-gauche permet à des outsiders de s'imposer, mais avec une base électorale moins tranchée comme en témoigne le cas d'Emmanuel Macron en France. Le risque est d'assister à une Europe sans perspective. « C'est une incitation forte à réformer l'UE de l'intérieur », affirme Bruno Cavalier, chez Oddo Securities.

Le régime iranien de plus en plus contesté

L'Iran est au bord de l'asphyxie économique sous l'effet des sanctions et de l'embargo américain. Malgré la répression, le régime est de plus en plus contesté par la population. Poussés dans leurs retranchements, les dirigeants de la république islamique pourraient être tentés de pratiquer la politique de la terre brûlée en jouant la carte du terrorisme. Bien implanté militairement en Irak, au Liban, au Yémen, en Syrie, le régime des mollahs a les moyens de déstabiliser l'ensemble du Moyen Orient, où sont concentrées une large part de l'offre mondiale de pétrole et de gaz, et une zone d'intense trafic maritime.

La flambée du prix du pétrole

Dans une telle hypothèse, la conséquence pourrait être une forte hausse des cours du pétrole vers les 100 dollars le baril qui fragiliserait l'économie mondiale. L'or noir reste encore largement l'un des moteurs de l'activité à travers la planète (34 % du mix énergétique mondial selon le BP Statistical Review), notamment pour le transport. Il y aurait aussi le risque d'implosion de l'Opep dominée par l'Arabie Saoudite, ennemi déclaré de l'Iran. L'unité du cartel est déjà mise à rude épreuve par l'imposition de quotas de production pour maintenir les cours, mais que certains membres n'appliquent pas pour éviter de perdre des parts de marchés. Surtout, l'Opep a perdu largement son influence - l'organisation concède que sa part devrait passer de 37 % en 2018 à 31 % en 2024 - avec l'envolée de la production américaine. Enfin, au nom de la lutte contre le réchauffement climatique, un certain activisme, dont la star Greta Thunberg est le symbole, fait pression sur les gouvernements pour réduire l'utilisation des hydrocarbures, ce qui pourrait peser sur les lourds investissements dans le secteur.

Énergie, climat, besoins contradictoires

Si nombre de militants de la lutte contre le phénomène climatique tendent à avoir une vision catastrophiste, il suffirait d'un accident majeur pour déclencher une contestation généralisée des populations. À l'exemple de l'accident de la centrale nucléaire de Fukushima (Japon), qui avait alimenté la méfiance des opinions à l'égard de l'atome (depuis 2016, une majorité d'Américains est contre son usage) et conduit notamment l'Allemagne à suspendre son programme d'électricité nucléaire pour le compenser partiellement par un recours accru au... charbon. L'économie a besoin d'énergie.

Finance, beaucoup de bruit pour rien ?

Sur le plan financier, paradoxalement, les leçons ont été tirées de la crise de 2008, les règles prudentielles ont été renforcées (en Europe, Bâle III et Mifid) pour améliorer la transparence. Les marchés financiers dont les indices flirtent avec des niveaux historiques bénéficient de l'afflux de liquidités lié aux politiques monétaires accommodantes qui gonflent la masse monétaire. Ce qui pousse nombre d'entreprises à racheter leurs actions pour maintenir leurs cours. Certes, une sévère correction reste toujours possible comme à la fin de 2018. En revanche, le marché obligataire est dans une situation inédite. Si une hausse des taux, comme l'avait intenté la Fed en 2018, ne semble plus d'actualité, la faiblesse persistante des rendements oblige toute l'industrie financière à s'adapter.

Vers la chute des Gafa

La position dominante inédite des Gafa inquiète les autorités aux États-Unis, mais également l'Europe qui ne dispose pas de géants du numérique. Au nom de la concurrence, les législateurs du Congrès pourraient mettre des limites à ce pouvoir qui bride l'innovation, voire même les démanteler. Par ailleurs, ces sociétés sont critiquées pour leur capacité à pouvoir éviter de payer des impôts. La Commission européenne les a déjà épinglées, et la France a décidé de leur imposer une taxe. Peu de pays l'ont suivie, attendant les recommandations de l'OCDE qui mène une réflexion sur ce problème du partage de la valeur. Outre un démembrement, ces géants numériques ne sont pas non plus à l'abri de l'irruption d'une nouvelle application meilleure que Facebook ou Google, qui pourrait faire entrer en crise les plus grosses capitalisations du monde.

La révolte des classes moyennes

Dans le sillage des «  gilets jaunes » en France, 2019 a vu monter une révolte des classes moyennes tant dans les pays développés que dans les émergents. Déclenché souvent par une augmentation des prix de produits de base, le phénomène traduit un profond malaise - sur fond d'inégalités croissantes des revenus - des classes moyennes, dont les plus fragiles apparaissent comme les laissés-pour-compte de la mondialisation. Cela pose un véritable défi aux gouvernements qui n'ont pas suffisamment anticipé les effets de la numérisation et de la robotisation. Cette poussée populaire alimente notamment des courants illibéraux. Elle avait déjà permis l'élection de Donald Trump et favorisé le Brexit. Elle a déjà perturbé en profondeur le quinquennat d'Emmanuel Macron. Elle pourrait demain reconfigurer les démocraties occidentales au profit de pouvoirs plus autoritaires.

Robert Jules
Commentaires 5
à écrit le 29/12/2019 à 12:14
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Le problème est que l'on exclus "l'adaptation" pour aller vers "des réformes" préétablies sensés résoudre les problèmes! Seul la recherche de l'uniformisation, semblable a une "recherche d'économie d'échelle", est dans "le viseur"! Donc on agira sur...

à écrit le 29/12/2019 à 11:28
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Bonjour , La danse des Cygnes noirs ? Concept romantique.., pour un contexte peu romantique.... 2020 année économique de désillusion pour beaucoup à travers le monde . Nous nous dirigeons vers une grande impasse économique mondiale , les économies...

le 29/12/2019 à 11:55
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gouverner a l encontre des peuples mène au chaos

à écrit le 28/12/2019 à 22:18
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20 années molles en France, le CAC40 a perdu 4%, folles aux US, le DJIA a gagné 149% soit 4,7% par an en moyenne.

à écrit le 28/12/2019 à 13:00
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la rue .

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