Argentine : comment Javier Milei adoucit son programme

Le président élu, qui prendra ses fonctions le 10 décembre, connaît un regain de popularité dans l’opinion au-delà de sa majorité.
Le 29 novembre, le président élu au Congrès à Buenos Aires, avec la vice-présidente élue, Victoria Villarruel.
Le 29 novembre, le président élu au Congrès à Buenos Aires, avec la vice-présidente élue, Victoria Villarruel. (Crédits : © Raël Ferrari via Ulan/Pool/Lat via Reuters)

« Je n'ai pas voté Milei. J'ai donc suivi ses premiers pas avec scepticisme sans en attendre grand-chose. Mais je suis assez content de ce qu'il a fait. À peine élu, il s'est montré plus modéré et en a terminé avec le ton de sa campagne. Son changement d'attitude vis-à-vis du pape François et du Brésil de Lula, par exemple, est remarquable. Et sur la situation économique dont il hérite, il tient un discours de vérité : ce sera dur, dit-il, et c'est bien qu'il le dise ! » Mario T., patron d'une PME et avocat, n'est pas un « miléiste » de la première heure. Lors du second tour, le 19 novembre, il a voté pour le candidat de la coalition péroniste et de centre gauche, Sergio Massa, se méfiant du candidat libertarien, élu avec près de 56 % des voix.

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Sa bienveillance enthousiaste, presque une conversion, n'est en rien opportuniste (contrairement à beaucoup). « Il travaille, constate l'avocat, il cherche à former ses équipes, résiste aux pressions, comme celles de l'ancien président Mauricio Macri - qui essaie de lui imposer des ministres -, parle peu, et quand il le fait, c'est avec clarté. » Comme Mario, beaucoup d'Argentins sont prêts à lui accorder les cent jours de grâce dont bénéficie tout nouveau président. Pour Arturo E., travaillant dans le tourisme haut de gamme, « une partie de la population pense qu'elle perdra des avantages et a peur, en particulier parmi les plus défavorisés ». Il poursuit : « Mais le nouveau président a affirmé qu'il ne toucherait pas aux aides sociales, sauf pour en renforcer la transparence, tout en essayant de privilégier le retour à un emploi formel des bénéficiaires de ces aides [par ailleurs souvent gérées par des organisations intermédiaires au rôle plus que discutable]. Un courant favorable grandit dans l'opinion. Il suscite un espoir que je partage. Il dit ce qu'il va faire, il fait ce qu'il a dit, il a une attitude modeste. »

Inés E., notaire, trouve normal que Milei ait du mal à former son cabinet : « Il n'a pas d'expérience politique, c'est un outsider ! Économiste, il saura trouver des solutions à la crise. Et je suis rassurée par son ton modéré, il a un discours plus responsable qui sied à l'habit présidentiel. Même si les prochains mois seront difficiles pour tous et que l'immobilier, en panne depuis des années, a peu de chances de remonter, je suis assez enthousiaste ! »

L'abandon de la véhémence qui a caractérisé sa campagne de premier tour explique en grande partie cette sympathie croissante. Mais est-ce pour autant un nouveau Milei ?

« Un Milei de circonstance »

Non, répond Pablo D., professionnel de l'industrie du spectacle. « Il est plus politique, évidemment, d'autant plus que son parti, La Libertad Avanza [la liberté avance], qui manque de cadres, doit résister à ses soutiens et prétendus amis, comme l'ancien président Macri. » Mais, ajoute Pablo, « c'est toujours un Milei de circonstance, conjoncturel, aujourd'hui prudent, sinon hésitant à l'heure des changements à mettre en œuvre ». Pour sa part, Mario T. pense qu'il faudra juger sur pièces : « Il a montré qu'il savait être à la hauteur en modifiant son discours. Président, il devra négocier, trouver des accords, séduire, bref, faire de la politique. Il n'en a pas l'expérience, mais il sait que c'est indispensable. C'est seulement alors qu'on verra s'il y a un nouveau Milei. »

Nelly E., retraitée, est plus tranchante : « Le vrai Milei est celui qui est devant nous ! Celui de la campagne, ce n'était pas lui. C'était un candidat qui cherchait à engranger le maximum de voix ! »

Nouveau ou vrai, c'est un président pragmatique et conscient des réalités qui prendra ses fonctions le 10 décembre. Il a gommé ou supprimé les propositions les plus polémiques de son programme initial et a même renvoyé sa mesure phare, la dollarisation de l'économie, à plus tard (lire encadré). Alors qu'il peine à constituer son gouvernement, qui ne sera connu officiellement que le 10 décembre et dont les piliers devraient être Luis Caputo (Économie), Diana Mondino (Affaires étrangères) et Guillermo Francos (Intérieur), Javier Milei reste flou sur les décisions qu'il prendra. Il a annoncé une batterie de réformes, sous la forme de projets de loi, dès le lendemain de sa prise de pouvoir. Il a confirmé qu'il donnerait la priorité à la réduction du déficit public, dont l'essentiel de l'effort sera supporté par la classe politique et non la population. Il gèlera les investissements dans les travaux publics, refusant d'alimenter l'inflation par la planche à billets comme l'a fait le gouvernement péroniste.

Malgré ces épreuves à venir, un vent d'optimisme souffle dans le pays. Nombre d'Argentins sont prêts à suivre le nouveau venu aux convictions assumées qui, contrairement à la réputation qui lui a été faite, notamment à l'étranger, n'est en rien antidémocratique, comme le souligne le politologue Andrés Malamud. Ce dernier estime même que le risque autoritaire se situait plutôt du côté péroniste. Une analyse que n'ont d'ailleurs pas tardé à adopter les chancelleries étrangères, notamment européennes.

Retour aux réalités pour le futur président

Javier Milei a déjà averti que le redressement économique du pays, plombé par une dette abyssale et une inflation qui s'affiche à 143 % sur un an, « prendra entre dix-huit et vingt-quatre mois ». Les coupes dans les dépenses publiques vont mécaniquement affecter dans un premier temps l'activité économique, ce qui va se traduire par une période de « stagflation » - prix élevés et économie atone -, une contraction du PIB de 2,5 % étant déjà prévue cette année par le Fonds monétaire international (FMI). Autre promesse phare du candidat « anarcho-capitaliste », la dollarisation de l'économie va prendre plus de temps que prévu. Le choix de confier le poste clé de ministre de l'Économie et des Finances à Luis Caputo ne va pas dans ce sens. Âgé de 58 ans, cet ex-trader qui a travaillé pour la banque américaine JP Morgan n'a jamais été convaincu par la mesure. Mais Milei doit composer avec ses alliés. Caputo a occupé les postes de ministre des Finances et de gouverneur de la Banque centrale d'Argentine (BCRA) durant la présidence du libéral Mauricio Macri (2015-2019). Pour autant, le futur président a martelé que la fermeture de la BCRA n'était « pas négociable », et que seul son calendrier restait à définir.

ROBERT JULES

Commentaires 4
à écrit le 04/12/2023 à 8:05
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"Les souris votent pour les chats" c'est donc censurable ? Non mais vous faites nimp à la modération hein...

à écrit le 03/12/2023 à 10:45
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Andrés Malamud estime même que le risque autoritaire se situait plutôt du côté péroniste. En effet l'étatisme, souvent d'inspiration socialiste, est toujours le lit sur lequel se couchent la libérté et la démocratie et surgit l'autoritarisme. Les ...

le 04/12/2023 à 11:08
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"Les partis qui sont défavorables au marché " Heu... tu pourrais nous en citer un au moins stp ? Merci.

à écrit le 03/12/2023 à 9:03
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De la tronçonneuse à l'opinel, LOL ! Les souris votent pour les chats.

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