Inflation, déficit, récession : les défis de Javier Milei, nouveau président ultralibéral de l'Argentine

La victoire historique du candidat anti système et pro-business Javier Milei est applaudie à la Bourse de Buenos Aires au lendemain des résultats. L'indice Merval est en hausse de 7% lundi et les valeurs se gonflent d'optimisme. Le nouveau président « anarcho-capitaliste » va-t-il mettre en œuvre son programme économique et en finir avec l'Etat-providence ? Si le dirigeant « libéral-libertarien » parvient à redresser la troisième économie d'Amérique latine aux abois, l'Argentine pourrait faire tâche d'huile sur le continent.
Jeanne Dussueil
Les Argentins célébrant la victoire de Javier Milei dans les rues de la capitale Buenos Aires dimanche soir.
Les Argentins célébrant la victoire de Javier Milei dans les rues de la capitale Buenos Aires dimanche soir. (Crédits : Reuters)

Le 10 décembre prochain, l'économiste Javier Milei, candidat « anarcho-capitaliste », deviendra officiellement le premier président déclaré « libertarien » du monde. A 53 ans, celui qui s'est fait connaître à la télévision argentine pour faire écho au désespoir de la population face à un Etat en quasi faillite, compte appliquer les préceptes de courant de pensée qui rejette la mainmise de l'Etat omniscient, au profit des libertés individuelles et de la privatisation de l'économie.

Sa victoire, de dix points sur l'autre finaliste, l'ancien ministre de l'Economie Sergio Massa, doit mettre fin à plus d'un siècle d'instabilité politique, ponctuée par les dictatures, le péronisme, la corruption, et les plans d'aides du Fonds monétaire international (FMI).

A quoi va ressembler la « thérapie de choc », promise par cet adepte du libre-échange et de l'école autrichienne, adoubé par Donald Trump ou encore Elon Musk ?

Pour la troisième économie d'Amérique latine, la pente est rude ; l'indice des prix atteint + 140% et il est attendu à +185% en décembre, la monnaie locale (pesos) ne vaut plus rien (350 pesos pour 1 dollar), et 40% de la population vit sous le seuil de pauvreté. Alors que Milei veut restreindre la place de l'Etat à ses fonctions régaliennes (sécurité, justice), sur une population de 45 millions d'habitants, plus d'un Argentin sur deux bénéficie d'aides publiques.

« Le modèle de la décadence est arrivé à sa fin, il n'y a pas de retour possible (...) La situation est grave et il n'y a pas de place pour des demi-mesures tièdes », a prévu le président élu à 56%, porté par les voix des jeunes qui, cette fois, se sont déplacés aux urnes.

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Désendetter l'un des pays les plus déficitaires au monde

Ce novice de la politique doit mettre fin à une spirale d'endettement infernale. Il y a dix ans, en plein dans la « Grande crise », le 23 décembre 2001, un président intérimaire déclarait l'Argentine en cessation de paiements sur sa dette souveraine (100 milliards de dollars). Une situation qui s'est reproduite par deux fois. L'Argentine fait même partie des pays émergents les plus endettés (114,8 milliards de dollars en 2021).

Mais Javier Mileil veut arriver à « zéro déficit » en un an seulement. « L'Argentine a depuis des décennies un déficit budgétaire important : une forte culture d'attentes sociales, mais peu de croissance, donc des dépenses qui ne sont plus finançables », résume l'historien Roy Hora, du centre de recherche Conicet cité par l'AFP.

En plus d'assécher la dépense publique et de couper certaines aides, Javier Milei devra trouver la recette magique pour rembourser au FMI un prêt de 44 milliards de dollars, contracté en 2018 par le gouvernement précédentLe tout dans une économie entrée en récession, avec un recul attendu de -2% du PIB en 2023.

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Son « traitement de choc », promis pour équilibrer les comptes, vise à réduire à la « tronçonneuse » la dépense publique de 15%, et des privatisations en rafale, pour parvenir à la discipline budgétaire requise par le FMI.

Pour la dette publique, l'une des options à l'étude consisterait à placer 130 milliards de dollars de dettes libellées en dollars argentins détenues par des organismes du secteur public dans un trust de droit new-yorkais, qui vendrait ensuite des participations pour lever les fonds nécessaires à la dollarisation, a confié cet été au Financial Times l'un de ses conseillers, Dario Epstein.

Redonner du pouvoir d'achat grâce... au dollar

Le président anti système s'appuie sur un constat : aucune des nombreuses remontées de taux d'intérêt de la banque centrale (à +133% aujourd'hui) n'a porté ses fruits pour stopper l'incendie de l'inflation. Son remède : supprimer l'institution financière et adopter le dollar comme monnaie officielle.

« Nous pensons qu'il sera beaucoup plus facile d'obtenir les 30 à 35 milliards de dollars nécessaires à la dollarisation une fois que nous aurons mené à bien les réformes [fiscales et du marché du travail] », a expliqué cet été son conseiller économique Darío Epstein  au Financial Times.

« Nous encouragerons la modernisation du marché du travail en vue de la mise en place d'un système d'assurance chômage », annonçait Milei. Jusqu'ici, les Argentins épargnent en pesos, sans pouvoir accéder au crédit.

Javier Milei va-t-il réussir son pari de redonner du pouvoir d'achat grâce au dollar ? Rien n'est moins sûr. Avec des réserves nettes négatives de 10,5 milliards de dollars, l'adoption de cette monnaie impliquerait un taux de change excessivement élevé, ce qui signifie qu'une dévaluation est inévitable avant que la mesure ne soit appliquée.

« Je n'ai pas peur de Milei, ce dont j'ai peur c'est que mon père ne puisse pas payer son loyer. Je crois fermement à la dollarisation de l'économie. Le peso argentin ne vaut plus rien », raconte à l'AFP un supporter de Javier Milei au lendemain de la victoire.

Couper dans la dépense publique

L'axe principal du président élu est de réduire le poids de l'Etat dans l'économie. Mais d'avancer prudemment sur les emplois publics afin de ne pas provoquer une vague de licenciements : « La première chose à faire est de réduire le déficit budgétaire de 5 points de pourcentage, ce qui n'est pas du tout facile », assumait Darío Epstein.

Il prône aussi la fin des subventions chroniques (transports, énergie), une libéralisation des prix, la suppression des taxes à l'export. Enfin, 1% du PIB sera consacré à l'élimination des régimes de retraite privilégiés accordés aux hauts fonctionnaires, note Bloomberg.

« Nous sommes en train de concevoir le ministère du capital humain, qui comprend une partie consacrée à l'enfance et à la famille, une autre à la santé, une autre à l'éducation, et ces trois domaines sont intégrés au travail. Nous n'allons donc pas cesser de fournir un soutien. Ce que nous faisons, c'est redéfinir les mécanismes d'endiguement pour que les gens puissent s'en sortir »expliquait le candidat dans une interview à The Economist.

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Des privatisations massives : pétrole, aérien, média

Fidèle au principe de subsidiarité, Javier Milei veut redonner le pouvoir à l'échelon local. « Nous devons penser que les soins de santé et l'éducation sont gérés au niveau provincial [l'Argentine est un pays fédéral avec 24 provinces]. Nous ne pouvons que suggérer des choses », détaillait celui qui fut footballeur professionnel à The Economist.

Javier Milei veut privatiser les entreprises publiques non rentables, voire carrément les supprimer. Adepte des vidéos chocs, le candidat libertarien arrachait joyeusement lors de sa campagne les étiquettes des ministères jugés inutiles. De 18 ministères, il n'en voudrait ainsi que 8. Aussi, il envisage de privatiser de grandes entités du secteur public telles que la compagnie pétrolière nationale YPF et la compagnie aérienne Aerolíneas Argentinas, les médias publics tels l'agence Telam ou la télévision TVP, ou encore de remplacer le coûteux système de santé public du pays par un modèle géré par le secteur privé et financé par l'assurance sociale.

Sur le plan monétaire, ce lecteur de l'économiste Milton Friedman est favorable aux cryptomonnaies, dont le bitcoin, qui doit servir à créer des échanges décentralisés et sans intermédiaire.

« Les contrats entre individus sont à la base du marché. Le marché est un processus de coopération sociale où les individus échangent volontairement des droits de propriété », ajoutait Milei.

Nouer de nouveaux partenariats

Tandis que le Brésil de Lula et la Chine sont les deux premiers partenaires commerciaux de l'Argentine, Javier Milei pourrait aussi revoir sa politique internationale. Si la Chine a officiellement félicité le président élu, le nouveau président argentin avait au cours de sa campagne dit vouloir mettre fin aux liens commerciaux avec le pays. « Je ne ferai pas d'affaires avec des communistes. Je suis un défenseur de la liberté, de la paix et de la démocratie », avait-il notamment déclaré.

Economie exportatrice, l'Argentine recèle de mines de lithium - utilisé pour les batteries électriques - et de cuivre. Le nouveau président va d'ailleurs hériter du gisement de gaz et de pétrole de Vaca Muerta, qui devrait faire économiser quelque 10 milliards de dollars à l'Etat.

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Avec les Etats-Unis, les relations s'annoncent au beau fixe. La première économie mondiale « se réjouit de travailler avec le président-élu Milei et son gouvernement sur des priorités communes »Enfin, dans le contexte géopolitique incertain provoqué par les dernières attaques sanglantes du Hamas, Javier Milei est un fervent supporter de l'Etat d'Israël auquel il a déjà apporté son soutien.

Reste à savoir si le président Milei pourra faire adopter son programme de réformes. En 2021, son parti, la Libertad Avanza, était entré au Parlement avec trois députés. Il est désormais la 3e force dans une chambre basse sans majorité absolue. Le bloc péroniste (centre-gauche) reste dominant. Javier Milei a indiqué qu'il allait rechercher des « consensus ».

Jeanne Dussueil
Commentaires 6
à écrit le 21/11/2023 à 18:23
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Tous les programmes économique péronistes étaient bien pire mais personne en Europe ne s'en offusquait. Quand la Grèce a fait ses reformes tout le monde se scandalisait en France, mais à la fin ils s'améliorent et nous régressons.

à écrit le 21/11/2023 à 15:19
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Depuis 50 ans, les idées libérales sur un plan économique s'imposent et se renforcent, sans résultats probants au final (ceux qui affirmaient qu'elles accompagnaient la démocratisation voient que partout, aussi en occident, la démocratie recule et pa...

à écrit le 21/11/2023 à 11:38
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Franchement, ces argentins ...,, Combien de temps leur faudra t-il pour récolter les conséquences de leur "vote défouloir " ? Quand la misère économique subventionne l'indigence morale .....

à écrit le 20/11/2023 à 19:37
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"Javier Milei est applaudie à la Bourse de Buenos Aires" LOL ! Les souris votent pour les chats.

à écrit le 20/11/2023 à 19:12
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Le peuple argentin a viré les gauchistes du pouvoir ! Observons ce que va produire la politique économique du président Javier Milei : parviendra-t-il à guérir l'Argentine, massacrée par les gauchistes ?

le 22/11/2023 à 17:45
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N'importe quoi: qu'on apprécie ou non leurs politiques, les gouvernants au pouvoir en Argentine depuis 40 ans n'ont jamais été des "gauchistes", ils ont appartenu tantôt au centre droit (Menem, "péroniste de droite"), tantôt au centre gauche.

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