Berlin confronté à la colère croissante des agriculteurs allemands

Les actions et blocages outre-Rhin rappellent le mouvement des Gilets jaunes.
Le 8 janvier, tracteurs traversant l’Elbe devant le château de Hartenfels (Saxe), dans l’est de l’Allemagne.
Le 8 janvier, tracteurs traversant l’Elbe devant le château de Hartenfels (Saxe), dans l’est de l’Allemagne. (Crédits : © JENS SCHLUETER/AFP)

Tout se jouera demain. Après une spectaculaire semaine d'actions avec des blocages autoroutiers sur l'ensemble du territoire, les agriculteurs allemands doivent se retrouver par milliers devant la porte de Brandebourg à Berlin, en plein cœur de la capitale fédérale. Les convois ont pris la route dès hier. Les premiers tracteurs sont en périphérie et doivent rallier la longue avenue devant le monument dans la soirée. Klaxons, gyrophares... même si la météo est au brouillard, ils seront forcément vus et entendus demain - le bâtiment du Bundestag (le Parlement allemand) est à 100 mètres, la chancellerie à 200 ; et vers le sud, le ministère des Finances est à un jet de pierre. Le gouvernement ne pourra pas les ignorer.

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« Olaf Scholz et son parti, le SPD, ne cessent de dire qu'il faut remettre du respect dans la politique ; ce serait le moment de le montrer », estime Stefan Seidendorf, politologue à l'Institut franco-allemand de Ludwigsburg (DFI). Et de ne pas recommencer la même erreur que jeudi à Cottbus, dans l'est du pays : venu inaugurer un nouvel atelier de réparation de trains à grande vitesse dans cette région minière en pleine restructuration, le chancelier n'est pas allé à la rencontre des agriculteurs qui l'attendaient à l'extérieur dans le calme ; sa berline noire a contourné le rassemblement et filé dans la brume. Les paysans protestent contre la suppression de leur rabais fiscal de 21,48 centimes par litre sur le diesel agricole. La mesure a été annoncée mi-décembre, à l'issue de longues semaines de négociations à huis clos de la coalition au pouvoir. Après un inattendu et sévère rappel à l'ordre des juges constitutionnels, qui ont réaffirmé le mécanisme de « frein à l'endettement » inscrit dans la Loi fondamentale allemande, le gouvernement a bataillé pour boucler le budget 2024. Il fallait trouver 17 milliards d'euros en urgence. La disparition des avantages des agriculteurs soulagera les caisses de 1,3 milliard. Mais quel en sera le prix à payer ?

« Il était évident que ça réveillerait la colère, souligne un observateur à l'ambassade de France. D'ailleurs, en France, on aurait eu du fumier devant les préfectures dès le soir même ! » À l'allemande, la protestation a mis quelques jours à s'organiser. Une première journée de blocage a eu lieu peu avant Noël, avec l'idée de faire monter la pression dès la rentrée de janvier. Opération réussie. Le mouvement des paysans occupe la une et bénéficie, à ce stade, du soutien de la population. « Nous manifesterons jusqu'à ce que nous ayons obtenu gain de cause, a rappelé Peter Schollbach, du groupement paysan. L'agriculture unit l'Allemagne. »

Le président de l'Union bavaroise des agriculteurs, Günther Felssner, montre les muscles : « Jusqu'à présent nous n'avons pas voulu bloquer les infrastructures critiques comme les dépôts de nourriture. Mais pas question de nous laisser balader pendant des mois ! » Même si le sacrifice en moyenne ne sera que de 25 euros par hectare, les agriculteurs dénoncent une grande injustice : on veut leur faire porter 10 % des efforts financiers de 2024 alors même que l'agriculture ne représente que 1,3 % du budget fédéral total.

C'est un mouvement qui part d'une mesure assez accessoire, au fond, mais hautement symbolique sur le carburant

Stefan Seidendorf, politologue

La balle est dans le camp du gouvernement. « Pour l'instant je ne vois rien qui indiquerait qu'on s'approche d'une sortie de crise, pointe Holger Thiele, professeur d'agroéconomie à l'école supérieure de Kiel. Tous les partenaires de la coalition semblent déterminés à rester fermes. » D'autant plus qu'un premier pas a été fait pendant les fêtes - originellement, le gouvernement avait aussi prévu de rétablir une taxe sur les véhicules agricoles, mais il a fait machine arrière et a également accepté d'étaler sur deux ans la suppression du rabais fiscal sur le diesel. Toutefois, Christian Lindner, le ministre fédéral des Finances et chef du parti libéral FDP, compte prendre la parole devant la foule. « Le mouvement de protestation doit rester dans le cadre démocratique, a-t-il mis en garde. La société a une responsabilité vis-à-vis des agriculteurs ; l'inverse est vrai aussi. » Le message aux organisateurs est clair : tenez vos troupes, les appels à renverser le gouvernement et autres slogans radicaux ne seront pas tolérés.

Car la jacquerie prend une tournure peu habituelle en Allemagne. Des accents de révolte populaire qui poussent certains observateurs à parler de « Gilets jaunes d'outre-Rhin ». Dans les provinces, d'autres groupes ont rejoint le mouvement et y agglomèrent leurs sujets d'exaspération - des routiers, des artisans, des petits patrons qui gonflent les convois avec leurs camionnettes... et tous ceux qui se reconnaissent désormais sous le vocable de « Wutbürger », les citoyens en colère. « Trop c'est trop ! » « Maintenant ça suffit ! » : les pancartes ciblent « ceux d'en haut », présentés comme déconnectés de la réalité et contre lesquels il faudrait désormais « en découdre ». À l'avant des tracteurs, on installe parfois de fausses potences ou des pendus de chiffons. Pendant les fêtes, un petit groupe a menacé physiquement le ministre de l'Économie et sa famille. La police s'est interposée de justesse. Le ferry sur lequel se trouvait le ministre et qui venait juste d'accoster a dû reprendre la mer.

Stefan Seidendorf, de l'Institut franco-allemand, juge pertinent le parallèle avec les Gilets jaunes : « C'est un mouvement qui part d'une mesure assez accessoire, au fond, mais hautement symbolique sur le carburant. Il y a une tension dans les territoires qui se sentent abandonnés, ou au mieux pas représentés. » La récupération de cette colère par des groupes politiques populistes est aussi le signe d'une « grande morosité générale », constate le chercheur. Les drapeaux et les slogans du parti d'extrême droite Alternative pour l'Allemagne (AfD) sont fréquents dans les convois, alors même que la suppression de toute subvention agricole figure en bonne place dans son programme politique. Dans l'est du pays, d'autres formations issues des milieux néonazis ont infiltré le mouvement et assument, sans tabou, le déploiement de leurs pancartes radicales aux abords des points de blocage.

Commentaires 5
à écrit le 14/01/2024 à 20:02
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Je vois des tracteurs à 300 000 euros pièce, pour des propriétaires terriens de centaines d'hectares.., recevant des subventions Européennes par centaine de milliers d'Euros annuel...Le lobbying rural.. Regardez les videos agricoles sur youtube , de...

à écrit le 14/01/2024 à 19:08
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Bonjour, comme toujours l'ons constate que le lobbies agricole reste toujours actifs et souhaitent être favoriser financièrement... Bien sur, ils ne faut pas le dire... Maintenant, ils me semblent important de voir les priorités budgétaire... L...

à écrit le 14/01/2024 à 15:15
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l'ineffable Scholz est cionfronte a la colere des allemands, agriculteurs ou pas!!!!! apres avoir coule le nucleaire, mis rwe et e.on au tas ( comme segole avec edf, donc), merkel a fait son ' wir schaffen das' de 2016, les allemands sont furieux.......

à écrit le 14/01/2024 à 11:01
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Meme ici a Seoul on parle de ce qui se passe en Germanie et ce depuis plusieurs jours. Avant c'etait aux Pays-Bas. Faudrait vous reveiller la paresse francaise. Pardon la presse.....

à écrit le 14/01/2024 à 8:22
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Un mouvement hétéroclite peu susceptible de s'embraser d'autant que nous sommes en Allemagne là à savoir le pays du peuple, si arrogant, qui a validé le troisième Reich. Nietzsche disait que la différence entre les français et les allemands était que...

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