
« Des inondations comme ça, même mon père, qui a 73 ans, n'en a jamais vues », soupire Benoit Hedin, agriculteur au sein d'une exploitation de 200 hectares où se mêlent cultures de céréales, de betteraves, de lin, de maïs et de colza.
Deux fois, la semaine dernière, la Dordogne (affluent de la Canche), est sortie de son lit, se répandant dans la commune de Bréxent-Énocq (Pas-de-Calais), jusqu'à s'engouffrer là où il garde ses vaches et ses génisses. Benoit Hedin avait bien été alerté par un habitant du coin après que le bassin de rétention situé à 10 kilomètres de son exploitation ait débordé et tenté de se préparer, mais rien n'y a fait.
Malgré la petite digue qui entoure son exploitation, « l'eau est passée au-dessus et j'avais à peu près 50 centimètres au sol », décrit-il. Grâce à des quais situés légèrement en hauteur dans l'étable, les ruminants ont néanmoins pu se réfugier leur évitant d'avoir trop longtemps les pattes dans l'eau. Mais les dégâts sont bien là.
« La première fois, on a dû attendre que l'eau reparte vers midi et demi pour traire les vaches à minuit au lieu de 17 heures. La seconde vague d'eau, ce jeudi, ne s'est retirée que le vendredi à 3 heures du matin, nous empêchant de traire les animaux pendant 36 heures. Or, il faut le faire deux fois par jour normalement », se désole-t-il.
Manque à gagner
Au-delà de la douleur que subissent les vaches, cette absence de traite représente un manque à gagner pour l'éleveur dont la production a chuté d'un tiers sur la semaine, indique-t-il. « On va réussir à remonter, ces événements ont provoqué du stress sur les animaux qui peut leur causer des maladies, précise l'éleveur, estimant que « l'impact sur l'élevage durera jusqu'à l'été prochain », sans pour autant réussir à chiffrer les pertes.
Quant à l'étendue des dégâts sur la production maraîchère, « difficile à dire pour l'instant », indique Benoit Hedin qui déplore toutefois que les fortes pluies aient transformé certains de ses champs « en véritable macadam ».
Jean-Michel Delannoy, agriculteur dans le Nord à Avelin et vice-président de l'Interprofession de la filière des fruits et légumes frais (Interfel), accuse, lui, aussi le coup : « J'ai quatre hectares de maïs qui n'ont pas été récoltés et 85% de mes endives sont encore au champ, alors qu'à cette époque je devrais être à 80% de récolte, ce qui est inquiétant. D'autant que les terres sont détrempées donc il est difficile de passer les machines ».
Il sait déjà qu'il va devoir sacrifier une partie de sa production d'endives. De même, les dégâts provoqués par l'eau sur les sols lui font craindre une récolte divisée par deux, même pour la suivante.
« De manière générale, les cultures qui ont été inondées étaient sur le point d'être récoltées pour êtres vendues et donc commercialisées de décembre à avril, ou pour être stockées », résume Anne Coupet, présidente de la section de la Fédération Départementale des Syndicats d'Exploitants Agricoles (FDSEA) du Pas-de-Calais qui liste : « Ce sont des légumes d'automne et d'hiver, des choux, du céleris, des navets, des endives ou encore des poireaux ». « Et si les cultures de plein champ sont sous l'eau, il en va de même pour certaines sous serres avec au minimum 20 centimètres d'eau », indique-t-elle. Et après huit jours sous l'eau pour certains légumes, l'eau ne s'étant pas encore complètement retirée, « les légumes sont asphyxiés et même si on parvient à les récolter, leur conservation est compromise », et deviennent donc invendables, précise-t-elle, se désolant : « ce sont des dégâts irréversibles ». « C'est vraiment une catastrophe pour la région », regrette-t-elle encore.
Une possible hausse des prix dans les rayons
De quoi décimer les rayons des supermarchés : « les poireaux et les choux dont les cultures ont été immergées vont disparaître », prédit, en effet, l'agriculteur. Il alerte sur un risque de pénurie qui pourrait peser sur les prix des légumes français concernés. Pour rappel, le prix des fruits et légumes est fixé quotidiennement selon un système de vente de gré à gré. Et pour Jean-Michel Delannoy, il faut donc que « la marge des distributeurs soit bienveillante ». Autrement dit, « si la grande distribution applique son coefficient habituel sur les produits achetés aux producteurs, qui seront en hausse, c'est le consommateur qui va payer la facture », explique-t-il.
Quant aux céréales, leurs prix étant fixés par des cours internationaux, une forte production à l'échelle mondiale tirera les tarifs à la baisse, au grand désarroi des agriculteurs français, déplore le vice-président de l'Interfel, qui espère que « les aides seront à la hauteur de celles distribuées lors de l'épisode de gel en 2021 ».
Le gouvernement a d'ores et déjà annoncé un fonds doté de 80 millions d'euros pour les agriculteurs touchés en Bretagne, en Normandie et dans les Hauts-de-France. Une somme qui « permettra de couvrir à la fois les pertes de récolte, mais aussi les pertes d'investissement qui ne seraient pas couvertes par les sujets d'assurance », a précisé le ministre de l'Agriculture, Marc Fesneau.
Le plus gros de la facture payée par les agriculteurs
En résumé, la plus grosse facture sera payée par les agriculteurs regrette Jean-Michel Delannoy, qui cite le cas d'un père et de son fils - Réginald et Alexandre Graves - à Saint-Omer (Pas-de-Calais), qui « n'auront pas de rentrée d'argent avant mai ou juin faute de récoltes ». Ils déplorent au total environ 750.000 euros de pertes dont 200.000 euros pour ses choux, 10.000 euros pour ses carottes ou encore 500.000 euros pour son matériel.
[L'exploitation inondée de Réginald et Alexandre Graves à Saint-Omer. J.M Delannoy]
Une zone submersible
D'autant que, comme Benoit Hedin, il garde à l'esprit que ce type d'événements dévastateurs va se reproduire dans les années à venir. Alors Comment s'en prémunir ? Si l'agriculteur-éleveur de Bréxent-Énocq se sent bien désarmé - « l'eau, on ne l'arrête pas, si elle doit passer elle passera » - pour Jean-Michel Delannoy, le défi est réalisable.
« Il y a toute une problématique des retenues d'eau dont on a besoin pour éviter les inondations et pour permettre l'irrigation », affirme-t-il. D'autant que c'est la géographie même du Pas-de-Calais qui rend les exploitations agricoles si vulnérables face aux inondations. En particulier le triangle Boulogne-Calais-St-Omer. Il s'agit d'un polder, c'est-à-dire une étendue artificielle de terre conquise sur la mer grâce notamment à des wateringues, des fossés créés pour évacuer les crues. Mais ces derniers ont échoué à remplir leur mission face aux intempéries de ces derniers jours. En témoignent les dégâts « catastrophiques » subis par la famille Graves et ses 16 hectares de choux perdus.
Ce sont des zones « fortement artificialisées par l'homme, ce qui n'est pas un problème en soi, mais il apparaît que le système de drainage actuel n'est plus adapté à ces fortes pluies qu'il peine à absorber », explique Matthieu Brun, directeur scientifique de la Fondation pour l'Agriculture et la Ruralité dans le Monde (FARM). « Il y a une problématique hydraulique qu'il faut prendre à bras-le-corps », confirme Jean-Michel Delannoy qui regrette le manque d'entretien des Wateringues.
« Le système a été conçu dans les années 1970, mais, là, avec le changement climatique, il est nécessaire d'avoir une vraie réflexion sur l'eau pour la canaliser et qu'elle puisse aller là où elle doit aller », conclut l'agriculteur qui espère que ces inondations provoqueront « une prise de conscience au moins régionale ».
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