Cultures noyées, production perdue : les agriculteurs des Hauts-de-France déplorent « la catastrophe » des inondations

Si la vigilance orange a été levée à certains endroits, le département reste sous haute-tension craignant que de nouvelles pluies viennent faire déborder la Canche et la Lys. Lors des inondations ces dernières semaines, les agriculteurs ont particulièrement été touchés par les eaux qui ont ravagé les cultures et se sont répandues dans les étables. De quoi pénaliser les récoltes et la production de lait sur le long terme, s'inquiète-t-on dans cette zone particulièrement soumise au risque de crue. Décryptage.
Coline Vazquez
Deux fois, la semaine dernière, la Dordogne, affluent de la Canche, est sortie de son lit se répandant dans la commune de Bréxent-Énocq et inondant les terres de Benoît Hedin.
Deux fois, la semaine dernière, la Dordogne, affluent de la Canche, est sortie de son lit se répandant dans la commune de Bréxent-Énocq et inondant les terres de Benoît Hedin. (Crédits : Jarry/ANDBZ/ABACA via Reuters Connect)

« Des inondations comme ça, même mon père, qui a 73 ans, n'en a jamais vues », soupire Benoit Hedin, agriculteur au sein d'une exploitation de 200 hectares où se mêlent cultures de céréales, de betteraves, de lin, de maïs et de colza.

Deux fois, la semaine dernière, la Dordogne (affluent de la Canche), est sortie de son lit, se répandant dans la commune de Bréxent-Énocq (Pas-de-Calais), jusqu'à s'engouffrer là où il garde ses vaches et ses génisses. Benoit Hedin avait bien été alerté par un habitant du coin après que le bassin de rétention situé à 10 kilomètres de son exploitation ait débordé et tenté de se préparer, mais rien n'y a fait.

Malgré la petite digue qui entoure son exploitation, « l'eau est passée au-dessus et j'avais à peu près 50 centimètres au sol », décrit-il. Grâce à des quais situés légèrement en hauteur dans l'étable, les ruminants ont néanmoins pu se réfugier leur évitant d'avoir trop longtemps les pattes dans l'eau. Mais les dégâts sont bien là.

« La première fois, on a dû attendre que l'eau reparte vers midi et demi pour traire les vaches à minuit au lieu de 17 heures. La seconde vague d'eau, ce jeudi, ne s'est retirée que le vendredi à 3 heures du matin, nous empêchant de traire les animaux pendant 36 heures. Or, il faut le faire deux fois par jour normalement », se désole-t-il.

Manque à gagner

Au-delà de la douleur que subissent les vaches, cette absence de traite représente un manque à gagner pour l'éleveur dont la production a chuté d'un tiers sur la semaine, indique-t-il. « On va réussir à remonter, ces événements ont provoqué du stress sur les animaux qui peut leur causer des maladies, précise l'éleveur, estimant que « l'impact sur l'élevage durera jusqu'à l'été prochain », sans pour autant réussir à chiffrer les pertes.

Quant à l'étendue des dégâts sur la production maraîchère, « difficile à dire pour l'instant », indique Benoit Hedin qui déplore toutefois que les fortes pluies aient transformé certains de ses champs « en véritable macadam ».

Lire aussiInondations dans le Pas-de-Calais : plus de 200 communes classées en catastrophe naturelle

Jean-Michel Delannoy, agriculteur dans le Nord à Avelin et vice-président de l'Interprofession de la filière des fruits et légumes frais (Interfel), accuse, lui, aussi le coup : « J'ai quatre hectares de maïs qui n'ont pas été récoltés et 85% de mes endives sont encore au champ, alors qu'à cette époque je devrais être à 80% de récolte, ce qui est inquiétant. D'autant que les terres sont détrempées donc il est difficile de passer les machines ».

Il sait déjà qu'il va devoir sacrifier une partie de sa production d'endives. De même, les dégâts provoqués par l'eau sur les sols lui font craindre une récolte divisée par deux, même pour la suivante.

« De manière générale, les cultures qui ont été inondées étaient sur le point d'être récoltées pour êtres vendues et donc commercialisées de décembre à avril, ou pour être stockées », résume Anne Coupet, présidente de la section de la Fédération Départementale des Syndicats d'Exploitants Agricoles (FDSEA) du Pas-de-Calais qui liste : « Ce sont des légumes d'automne et d'hiver, des choux, du céleris, des navets, des endives ou encore des poireaux ». « Et si les cultures de plein champ sont sous l'eau, il en va de même pour certaines sous serres avec au minimum 20 centimètres d'eau », indique-t-elle. Et après huit jours sous l'eau pour certains légumes, l'eau ne s'étant pas encore complètement retirée, « les légumes sont asphyxiés et même si on parvient à les récolter, leur conservation est compromise », et deviennent donc invendables, précise-t-elle, se désolant : « ce sont des dégâts irréversibles ». « C'est vraiment une catastrophe pour la région », regrette-t-elle encore.

Une possible hausse des prix dans les rayons

De quoi décimer les rayons des supermarchés : « les poireaux et les choux dont les cultures ont été immergées vont disparaître », prédit, en effet, l'agriculteur. Il alerte sur un risque de pénurie qui pourrait peser sur les prix des légumes français concernés. Pour rappel, le prix des fruits et légumes est fixé quotidiennement selon un système de vente de gré à gré. Et pour Jean-Michel Delannoy, il faut donc que « la marge des distributeurs soit bienveillante ». Autrement dit, « si la grande distribution applique son coefficient habituel sur les produits achetés aux producteurs, qui seront en hausse, c'est le consommateur qui va payer la facture », explique-t-il.

Quant aux céréales, leurs prix étant fixés par des cours internationaux, une forte production à l'échelle mondiale tirera les tarifs à la baisse, au grand désarroi des agriculteurs français, déplore le vice-président de l'Interfel, qui espère que « les aides seront à la hauteur de celles distribuées lors de l'épisode de gel en 2021 ».

Le gouvernement a d'ores et déjà annoncé un fonds doté de 80 millions d'euros pour les agriculteurs touchés en Bretagne, en Normandie et dans les Hauts-de-France. Une somme qui « permettra de couvrir à la fois les pertes de récolte, mais aussi les pertes d'investissement qui ne seraient pas couvertes par les sujets d'assurance », a précisé le ministre de l'Agriculture, Marc Fesneau.

Le plus gros de la facture payée par les agriculteurs

En résumé, la plus grosse facture sera payée par les agriculteurs regrette Jean-Michel Delannoy, qui cite le cas d'un père et de son fils - Réginald et Alexandre Graves - à Saint-Omer (Pas-de-Calais), qui « n'auront pas de rentrée d'argent avant mai ou juin faute de récoltes ». Ils déplorent au total environ 750.000 euros de pertes dont 200.000 euros pour ses choux, 10.000 euros pour ses carottes ou encore 500.000 euros pour son matériel.

Lire aussiSystèmes agroalimentaires : les coûts cachés dépassent 10% du PIB mondial

XXX exploitation agricole inondée saint-Omer

[L'exploitation inondée de Réginald et Alexandre Graves à Saint-Omer. J.M Delannoy]

Une zone submersible

D'autant que, comme Benoit Hedin, il garde à l'esprit que ce type d'événements dévastateurs va se reproduire dans les années à venir. Alors Comment s'en prémunir ? Si l'agriculteur-éleveur de Bréxent-Énocq se sent bien désarmé - « l'eau, on ne l'arrête pas, si elle doit passer elle passera » - pour Jean-Michel Delannoy, le défi est réalisable.

« Il y a toute une problématique des retenues d'eau dont on a besoin pour éviter les inondations et pour permettre l'irrigation », affirme-t-il. D'autant que c'est la géographie même du Pas-de-Calais qui rend les exploitations agricoles si vulnérables face aux inondations. En particulier le triangle Boulogne-Calais-St-Omer. Il s'agit d'un polder, c'est-à-dire une étendue artificielle de terre conquise sur la mer grâce notamment à des wateringues, des fossés créés pour évacuer les crues. Mais ces derniers ont échoué à remplir leur mission face aux intempéries de ces derniers jours. En témoignent les dégâts « catastrophiques » subis par la famille Graves et ses 16 hectares de choux perdus.

Lire aussiCatastrophes naturelles : les primes d'assurance habitation pourraient s'envoler en 2024

Ce sont des zones « fortement artificialisées par l'homme, ce qui n'est pas un problème en soi, mais il apparaît que le système de drainage actuel n'est plus adapté à ces fortes pluies qu'il peine à absorber », explique Matthieu Brun, directeur scientifique de la Fondation pour l'Agriculture et la Ruralité dans le Monde (FARM). « Il y a une problématique hydraulique qu'il faut prendre à bras-le-corps », confirme Jean-Michel Delannoy qui regrette le manque d'entretien des Wateringues.

« Le système a été conçu dans les années 1970, mais, là, avec le changement climatique, il est nécessaire d'avoir une vraie réflexion sur l'eau pour la canaliser et qu'elle puisse aller là où elle doit aller », conclut l'agriculteur qui espère que ces inondations provoqueront « une prise de conscience au moins régionale ».

Coline Vazquez

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 11
à écrit le 18/11/2023 à 16:05
Signaler
J'ai du mal à pleurer pour la FNSEA, paysages saccagés, production intensives, subventions à gogo, suicides partout, glyphosate, crédits, ventes des terres aux Chinois sous couvert de prête noms... Là c'est la cata mais où sont les entretiens pré...

à écrit le 18/11/2023 à 15:08
Signaler
La frandre Maritime pays des grands fosse qui se jette dans les canaux pour irriguer toute une région un impots existe de 39 euros an pour un particulier et des sommes importantes pour les cultivateurs (impôts wateringues) soit disant pour l’entretie...

à écrit le 18/11/2023 à 12:31
Signaler
Quand on maltraite la nature elle vous le rend bien... Cette région est décimée de ses forets depuis le moyen age, tout est artificiel. La nature n'y existe plus, impossible de savoir quelle est la flore indigène, elle a été remplacée... Vue d'avio...

à écrit le 18/11/2023 à 11:30
Signaler
Un polder gagné sur la mer ?des wateringues non entretenu ? Ben ils sont co- responsables de ce qui leur arrivent … ras lle bon du diktat de l émotionnel … il est temps d être factuel : toutes les terres récupérées sur le trait de côté européen sont...

à écrit le 18/11/2023 à 10:51
Signaler
La deindustrialisation de la France l'a fait trop dépendante d'agriculture et du tourisme ces secteurs donnent trés faibles gagnes.Mais le pire vient.L'avenir de l'nfrastructure de la France et des territoires d'Outre mer ne serait pas claire.

à écrit le 18/11/2023 à 10:49
Signaler
J'espère que toutes ces personnes seront très bien indemnisées. C'est tellement difficile ce qu'elles vivent. Ne serait-il pas préférable qu'elles soient dédommagées à hauteur d'une réinstallation, donc d'une reconstruction de leurs pavillons, dans d...

à écrit le 18/11/2023 à 10:40
Signaler
"même mon père, qui a 73 ans, n'en a jamais vues" Taper : " les inondations remarquable en France" , vous verrez que cela ne date pas d'aujourd'hui.

à écrit le 18/11/2023 à 10:07
Signaler
Vu qu'on y peut rien, songer peut être à planter du riz.

le 18/11/2023 à 15:01
Signaler
Autre option: la pisciculture !!!

à écrit le 18/11/2023 à 9:42
Signaler
mais sera t'il possible de nettoyer le fond des rivieres sans que les écolos et autre arriéré ce manifeste et récupérer les limons pour les cultures et autre sable pour les constructions en place des gravières

à écrit le 18/11/2023 à 9:27
Signaler
Plus de haies entre les parcelles, plus de zones avec des arbres pour éponger, on connait parfaitement ce qu'il faut pour limiter ces inondations mais bon là nous sommes dans le pire lobby qu'il soit à savoir celui de l'agro-industrie, celui qui ne b...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.