Depuis sa naissance en 1987, le Hamas adapte en permanence ses systèmes de financement. Classée par le Trésor américain comme « terroriste », l'organisation - comme le Djihad islamique palestinien et le Hezbollah libanais - est soumise à des sanctions qui lui interdisent l'accès au système bancaire international. Tout individu ou organisation effectuant des transactions en dollars avec le Hamas s'expose à des poursuites pénales en raison de l'extraterritorialité du droit des États-Unis.
Pour financer ses opérations militaires, le Hamas a recours aux crypto-monnaies, qui reposent sur un système de blockchain censé préserver l'anonymat des transactions. Depuis le début de l'année, trois groupes islamistes - le Hamas, le Djihad islamique palestinien (DIP) et leur allié le Hezbollah - ont bénéficié de versements. Le DIP a reçu jusqu'à 93 millions de dollars en crypto entre août 2021 et juin de cette année, selon la société israélienne Elliptic, spécialisée en cybersécurité. Sur la même période, le Hamas a perçu environ 41 millions de dollars, selon une société de crypto de Tel-Aviv, BitOK. Cela fait déjà plusieurs années que des organisations terroristes utilisent ce système. « Selon les données d'Elliptic, le Hamas a commencé à solliciter des dons en bitcoin [BTC] en 2019, mais n'a reçu que quelques milliers de dollars au cours des mois suivants. En 2020, le gouvernement américain a démantelé ce programme », rappelle Frédéric Ocana, expert en cybersécurité. Dès l'été 2021, en raison de tensions croissantes avec Israël, le Hamas réussit à collecter plus de 7 millions de dollars de la diaspora palestinienne et de donateurs privés du golfe Persique.
Un fonds d'actifs à l'étranger
Un réseau de connexions entre les adresses des comptes du Hamas et d'autres organisations terroristes comme le DIP et le Hezbollah permet de brouiller les pistes. « La coopération récente de la plateforme d'échanges Binance ouvrira probablement la voie à de nouvelles découvertes et saisies d'actifs, principalement en stablecoin dollars [actifs numériques adossés au dollar américain] plutôt qu'en bitcoins », relève Frédéric Ocana.
Au-delà des cryptomonnaies, l'organisation recourt à des méthodes plus classiques, comme le détournement d'une partie des milliards de dollars d'aide internationale. Il reste limité, les donateurs veillant à tracer les financements. Ou encore, à l'instar d'une mafia, le Hamas prélève des taxes sur les divers produits d'importation ou de contrebande venant d'Égypte : nourriture, médicaments, gaz, matériaux de construction, cigarettes... En 2021, ce système rapportait en moyenne plus de 12 millions de dollars par mois.
Selon certains experts, l'organisation gérerait également un fonds d'actifs évalué à 500 millions de dollars, investis dans des sociétés au Soudan, en Turquie, en Arabie saoudite, en Algérie et aux Émirats arabes unis. Certains pays financent directement le Hamas. L'Iran fournit surtout l'organisation en armes et en formation, même si, depuis la guerre en Syrie, les relations se sont distendues. Le Hamas soutient en effet l'opposition islamiste au régime d'Assad, alors que l'Iran, au travers du Hezbollah libanais, aide Damas. La Turquie entretient également une relation directe avec le Hamas. Un soutien qu'Ankara dit politique mais que les États-Unis affirment être aussi financier, au moyen de fonds alloués par l'Agence turque de coopération et de développement (Tika). Fort de cette position, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a annoncé qu'il négociait avec le Hamas pour la libération des otages.
Enfin, le Qatar verse 20 millions de dollars chaque mois pour maintenir à flot la société gazaouie. « Ce versement se fait avec l'accord du gouvernement de Benyamin Netanyahou, qui a toujours joué le Hamas contre l'Autorité palestinienne », souligne l'économiste Jacques Bendelac. Abritant sur son sol le leader politique du Hamas, Ismaël Haniyeh, l'émirat compte lui aussi jouer les intermédiaires entre Israël, les pays occidentaux et le Hamas.
« Israël est déjà une économie de guerre. Le pays s'est construit sur une industrie de la défense pour garantir sa sécurité », rappelle Jacques Bendelac, économiste, spécialiste de l'économie du pays et des territoires palestiniens. La banque Hapoalim a évalué à 27 milliards de shekels (6,47 milliards d'euros) le coût de l'opération contre le Hamas, soit l'équivalent de 1,3 % du PIB d'Israël en 2022. « Le montant me semble sous-estimé, évalue Jacques Bendelac. Il faudra au moins le double au regard des dégâts causés, de la reconstruction, des indemnisations, des aides aux populations les plus fragiles... » De même, avec un budget de la défense de 15 milliards de dollars et une aide américaine de 3,8 milliards de dollars, Israël a les moyens de la guerre, mais « tout dépendra de la répartition de l'argent », précise l'économiste. Israël peut également compter sur ses importantes réserves de change : 200 milliards de dollars. La Banque centrale a déjà débloqué 30 milliards de dollars pour soutenir le shekel et donner des liquidités au gouvernement. Il n'en reste pas moins que la guerre va peser sur l'activité, jusque-là plutôt dynamique, avec une croissance de 3,1 % en 2023, selon le FMI. « Les principaux secteurs touchés seront l'agriculture, importante dans le sud du pays, et évidemment le tourisme », indique Jacques Bendelac. La mobilisation de 300 000 réservistes va réduire l'activité du pays. R.J.