De la fin de l'essence au plomb à la fin... de l'essence

CHRONIQUE DU "CONTRARIAN" OPTIMISTE. Le programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) a annoncé cette semaine la fin de l'utilisation de l'essence à plomb pour les voitures et les camions dans le monde. Une démarche riche d'enseignements sur le dilemme posé par la nécessité de concilier développement technique et développement humain au moment où la communauté internationale doit se passer des produits pétroliers pour les véhicules.
Robert Jules
(Crédits : Reuters)

Dans les pays riches, l'essence au plomb pour les voitures et les camions, le fameux "plein de super" est un lointain souvenir. Pourtant son interdiction totale en raison de sa toxicité dans le monde n'est définitive que depuis juillet dernier, l'Algérie étant le dernier pays à la distribuer.

C'est le Programme des Nations unis pour l'environnement (PNUE) qui l'a annoncé cette semaine atteignant ainsi l'objectif qu'il s'était fixé il y a 20 ans. Il s'agit là d'un cas exemplaire du dépassement de l'alternative entre les nuisances engendrées par le développement économique et les progrès en matière de santé publique. Il est intéressant de connaître la genèse de ce cas face à l'urgence de lutter contre le dérèglement climatique engendré par les émissions de gaz à effet de serre issus en large part de la combustion de produits pétroliers des véhicules.

Eviter le "cognement"

L'histoire de l'essence sans plomb débute en 1921. Des chimistes du laboratoire du constructeur automobile américain General Motors (GM) cherchent un moyen de mettre fin au « cognement », c'est-à-dire les vibrations sauvages et potentiellement destructrices pour le moteur qui résultent de la combustion d'essence de qualité inférieure, rappelle le PNUE. En versant une cuillerée à café d'un composé appelé plomb tétraéthyle dans un moteur en ébullition, ils constatent que le moteur se met à « ronronner ». Ils ont trouvé une solution pratique à un problème technique.

Même si, à l'époque, des employés de GM tombent malades, empoisonnés par le plomb, un métal réputé pour sa forte toxicité, l'essence au plomb va être distribuée dans toutes les stations service de la planète. Des tonnes de plomb seront ainsi rejetées dans l'atmosphère, jusqu'aux années 1970, à raison de 380.000 tonnes en moyenne par an. La puissance des lobbies des secteurs pétrolier, automobile et des métaux s'impose auprès des pouvoirs publics qui resterons sourds aux critiques dénonçant cette pollution et ses effets néfastes sur la santé des individus.

Maladies cardiaques

Pourtant, dans les années 1950, des chercheurs établissent déjà que les gaz d'échappement au plomb sont toxiques. ​​"Alors que l'essence au plomb se répandait aux quatre coins du monde, elle a été suivie d'épidémies de maladies cardiaques, de cancers, d'accidents vasculaires cérébraux et, surtout, de retards de développement chez les enfants", indique le PNUE.

La prise de conscience du grand public sur les dangers du métal se renforce dans les années 1970. En 1979, un pédiatre américain, Herbert Needleman, publie une vaste étude montrant les effets nocifs de la teneur en plomb des dents des écoliers sur leur développement déclenche un débat dans les pays riches.

Les Etats-Unis commencent à bannir le carburant toxique dès 1975, l'Europe ne l'interdira que progressivement - en réduisant la teneur au plomb - à partir des années 1990, grâce aux innovations réalisées en matière de carburants et de moteurs. Pourtant, malgré les effets bien documentés, l'essence au plomb a continué à être distribuée dans 117 pays parmi les plus pauvres, dont toute l'Afrique, jusqu'à juillet dernier.

Et il faudra 20 ans d'une campagne coordonnée par les Nations unies pour atteindre l'objectif de l'interdiction. On soulignera ainsi que pour les pays les plus pauvres de la planète, les institutions internationales ont un rôle positif  à jouer en coordonnant les initiatives pour imposer la réduction d'une nuisance pour la population. Par ailleurs, la collaboration internationale non seulement entre gouvernements, notamment ceux des pays les plus riches, mais aussi avec les acteurs privés est nécessaire, car la mondialisation aide à diffuser les connaissances et la technologie à travers les frontières. Ce sont en premier lieu les constructeurs automobiles qui innovent pour trouver des solutions techniques soutenables économiquement, comme on le voit dans le développement des modèles électriques.

La prise en compte des externalités

Le cas de l'essence au plomb montre aussi un progrès théorique par rapport aux années 1920 et suivantes, celui de la prise en compte dans le calcul économique des "externalités". Par leurs activités, nombre d'entreprises peuvent ainsi créer soit des dommages (externalités négatives) - en polluant l'air dans le cas du plomb-, soit des avantages (externalités positives), - par exemple en plantant des arbres - pour la communauté. Désormais, ces externalités peuvent avoir un prix qui doit être supporté par l'entreprise, et surenchérit ses coûts de production. Pour les réduire, elle doit investir dans des technologies qui réduisent la pollution qu'elle engendre.

C'est dans cette logique que s'inscrit la nécessité de faire payer les émissions de carbone. Elle peut prendre la forme d'une taxe, par exemple imposée aux frontières de l'UE pour les biens importés fabriqués à partir d'une électricité produite à partir du charbon, ou encore sur l'essence même si sa contestation en France par le mouvement des Gilets jaunes relevait davantage du pouvoir d'achat que d'une indifférence à la pollution.

L'instauration d'un marché de quotas de carbone

Elle peut également se faire via un marché de quotas de carbone pour pousser les entreprises à réduire leurs émissions pour rester compétitive, à condition de fixer un prix suffisamment élevé pour que les échanges fonctionnent, ce qui n'avait pas été le cas dans la première tentative en Europe d'instaurer un tel marché.

Si un tel dispositif ainsi que le cadre juridique des actions de classe avaient existé dans les années 1950, GM aurait dû payer la facture des milliers de morts causés par le plomb que ses moteurs ont déversé dans l'atmosphère.

En effet, selon les estimations données par le PNUE, l'interdiction du carburant au plomb permet de sauver chaque année plus de 1,2 million de vies tout en aidant l'économie mondiale à éviter 2.400 milliards de dollars en dépenses de santé et autres coûts.

Robert Jules
Commentaires 6
à écrit le 04/09/2021 à 9:43
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Et toujours rien contre l'agro-industrie première source d'écocide au monde et de loin, ce qui en dit sur leurs intention aux rabais. Nietzsche nous avait prévenu, plus on possède et plus on est possédé or jamais dans l’histoire de l'humanité les ric...

à écrit le 04/09/2021 à 8:36
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Mais quelle est donc l'essence des choses ?

à écrit le 03/09/2021 à 17:35
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Le sans plomb est une absurdité subie dans l'industrie de l'électronique obligeant les professionnels à s'équiper de station de "soudage" (plutôt brasure) de forte puissance pour atteindre le point de fusion plus élevé des nouveaux alliages confor...

le 06/09/2021 à 11:03
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Le bio carburant n'est pas mieux, on arrête de manger pour rouler? Le souci de notre pays est qu'on va toujours dans un excès. la fin de l'essence, diesel, kérosène... est une aberration le développement d'autresss sourcess pour en diminuer l'utilisa...

à écrit le 03/09/2021 à 16:52
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Finalement, le plomb aura bien été transformé en or (pour les pétroliers) dans les moteurs à essence.

à écrit le 03/09/2021 à 15:29
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Y a pas du benzène dans l'essence déplombée ? A savoir s'il fait également anti-détonnant ou juste additif mais peut provoquer des leucémies. A part peut-être le GNL/méthane tout ce qui brûle, essence, gazole, kérosène, produit des nuisances. Même le...

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