Entre Biden et Netanyahou, trop c'est trop

CHRONIQUE LE MONDE A L'ENDROIT- Le langage américain pour commenter la fuite en avant de Benyamin Netanyahou à Gaza laisse entendre que rien ne va plus désormais entre Israël et les États-Unis.
François Clemenceau
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François Clemenceau (Crédits : © DR)

C'était jeudi soir en direct depuis la salle de réception des diplomates de la Maison-Blanche. Le monde entier a éprouvé un soupçon de malaise en entendant le président Biden confondre ses homologues mexicains et égyptien. De quoi oublier ce qu'il venait de dire un instant plus tôt : « Je pense, comme vous le savez, que la conduite de la riposte à Gaza a dépassé les bornes. Il y a là-bas beaucoup de gens innocents qui sont affamés, en détresse et qui meurent. Et cela doit cesser. »

La rupture est-elle consommée ?

Jamais depuis les attaques du Hamas le 7 octobre, le président américain ne s'était exprimé publiquement de la sorte. La veille, en Israël, son secrétaire d'État, Antony Blinken, à l'issue d'un entretien avec le Premier ministre israélien, avait choisi également ses mots pour marquer une prise de distance progressive avec le gouvernement de l'État hébreu. En estimant que le Hamas avait « déshumanisé » les Israéliens et les otages dont il s'était emparé, le chef de la diplomatie américaine a estimé que cela ne pouvait donner à Israël un « permis de déshumaniser » autrui à son tour. « Les familles de Gaza, dont la survie dépend de l'aide humanitaire qui passe par Israël, sont comme nos propres familles. Nous ne devons pas perdre de vue cette humanité commune », a-t-il souligné. Antony Blinken a ajouté que sa cinquième tournée dans la région depuis l'automne avait renforcé sa conviction de la nécessité d'un « chemin irréversible vers un État palestinien ». La rupture est-elle consommée avec Benjamin Netanyahou, lui qui venait d'ordonner l'assaut de Rafah et le rejet de tout État palestinien ?

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Joe Biden et Benjamin Netanyahou se connaissent depuis plus de 40 ans

Joe Biden et le premier ministre israélien se connaissent depuis plus de quarante ans. Lorsqu'ils se sont rencontrés pour la première fois, le premier était déjà sénateur et le second chef de mission adjoint de l'ambassade d'Israël à Washington. La longévité de Netanyahou au poste de Premier ministre - dix-sept années de mandat en trois périodes - et celle de Joe Biden - presque douze ans à la Maison-Blanche et autant à la Commission des affaires étrangères du Sénat - expliquent en partie cette relation si régulière. Mais Biden a appris très tôt à se méfier de ce Likoudnik si hostile au processus de paix parrainé par les États-Unis depuis la conférence de Madrid en 1991. Après l'assassinat d'Itzhak Rabin, en 1995 puis le décès de Yasser Arafat, en 2004, la présidence Obama-Biden, entre 2008 et 2016, a subi toutes les humiliations possibles de son allié. Que ce soit sur le « gel » de la colonisation réclamé avec insistance par la Maison-Blanche ou sur le dossier du nucléaire iranien qui aurait pu se transformer en succès diplomatique et stratégique si Donald Trump n'avait pas déchiré l'accord de Vienne de 2015.

Et si Benyamin Netanyahou n'avait que cet objectif en tête ? Continuer cette guerre si meurtrière de Gaza jusqu'à ce que Donald Trump revienne au pouvoir et lui donne carte blanche pour la suite ? En vérité, « Bibi » n'a jamais supporté que les présidents démocrates lui fassent la leçon. La dernière fois que lui et Biden se sont vus, c'était en septembre 2023, en marge de l'Assemblée générale des Nations unies. Depuis 1964, aucun dirigeant israélien n'avait attendu dix longs mois avant de rencontrer son homologue américain. Ce dernier avait ainsi marqué sa distance à l'égard d'un Netanyahou dont la réforme de la justice visait, selon la Maison-Blanche, à dénaturer le caractère démocratique de l'État hébreu. Ce qui n'empêchait pas Joe Biden de vouloir finaliser un « deal » en bonne progression, celui de la normalisation des relations entre Israël et l'Arabie saoudite. Un nouvel accord d'Abraham en quelque sorte, dont personne n'a oublié que le projet initial était signé Jared Kushner, le gendre de Donald Trump.

En vérité, « Bibi » n'a jamais supporté que les présidents démocrates lui fassent la leçon

Netanyahou jusqu'au-boutisme

Comment se désolidariser du jusqu'au-boutisme de Netanyahou sans donner l'impression que les États-Unis lâchent Israël ? Peut-être en retardant l'aide militaire exceptionnelle de 15 milliards de dollars prévue dans le « package » de soutien que devait voter le Congrès cette semaine. Il n'a échappé à personne que cinq sénateurs démocrates, dont Bernie Sanders, clairement opposé à une aide « inconditionnelle » à Israël, ont voté contre. Ou en choisissant de ne pas mettre son veto aux prochaines résolutions du Conseil de sécurité sur la situation à Gaza, comme ce fut le cas en décembre pour accélérer l'envoi d'aide humanitaire sur place. Ou en envisageant de reconnaître l'État palestinien, comme s'y préparent plusieurs pays européens, dont le Royaume-Uni et la France. Bref, cette relation-là ne se terminera pas en divorce, mais elle ressemble chaque jour davantage à un mariage avec chambres à part.

François Clemenceau
Commentaire 1
à écrit le 11/02/2024 à 9:55
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Veto et fourniture de matériel militaire américain à Israël ne vont pas dans le sens d'un apaisement. Au contraire, les US soutiennent de manière indéfectible Israël en dépit de toutes les exactions commises. Le sionisme n'est pas une idée "repousso...

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