Chronique de François Clemenceau : la peur des voisins d’Israël

CHRONIQUE LE MONDE À L'ENDROIT - Avec la reprise des hostilités entre Israël et le Hamas, les risques de débordement du conflit reviennent avec force. L’Egypte, la Jordanie et le Liban y ont tout à perdre.
François Clemenceau
Pour François Clemenceau, l'incendie a donc repris. Les voisins du sinistre regardent la maison se consumer et redoutent que les flammes s’emparent de la leur. Personne ne regarde ailleurs, et l’eau dans cette région est une ressource rare.
Pour François Clemenceau, l'incendie a donc repris. Les voisins du sinistre regardent la maison se consumer et redoutent que les flammes s’emparent de la leur. Personne ne regarde ailleurs, et l’eau dans cette région est une ressource rare. (Crédits : © DR)

Le Maréchal-Président Sissi qui a fait du combat contre les Frères musulmans son cheval de bataille depuis qu'il a pris la tête du renseignement militaire de son pays en 2010, l'a dit et répété en privé : si sa frontière venait à exploser sous le poids des réfugiés palestiniens, il ferait de ces derniers des boat people à destination de l'Europe. Les services de renseignement occidentaux craignent même que ce scénario de la fuite en Égypte, s'il devenait réalité, oblige Le Caire à rompre le traité de paix qu'avaient signé Anouar El-Sadate et Menahem Begin en 1979. À l'époque, le Sinaï avait été rendu aux Égyptiens. Mais le président Sissi clame aujourd'hui que ce grand delta de sable et de pierre n'a pas vocation à devenir une annexe de la bande de Gaza. Les ex-occupants de Gaza, Égyptiens et Israéliens, ne se font plus vraiment confiance. Ils se parlent mais ne s'entendent pas. Et lorsqu'on évoque un éventuel rôle de l'Égypte dans la reprise en main de la sécurité et de la stabilité du territoire palestinien, les hiérarques du Caire balaient cette option d'un revers de manche galonnée. Si Israël veut en finir avec le Hamas, que Netanyahou en assume seul les responsabilités.

Lire aussiGaza : l'après a commencé

À Amman, la crainte du roi Abdallah, qui se lit presque sur son visage aux traits tirés, est de voir la Cisjordanie voisine basculer à son tour dans la guerre. Plus de 200 Palestiniens y ont péri depuis le 7 octobre au cours de combats intenses avec l'armée israélienne, mais ce n'est pas un affrontement total comme à Gaza. Pour le roi Abdallah cependant, la menace est double. La première vient du gouvernement actuel de Benyamin Netanyahou. Son refus obstiné de dialoguer pour remettre sur les rails un processus de paix autour de la solution « à deux États » ainsi que la politique de colonisation à outrance pactisée avec ses collègues annexionnistes d'extrême droite ont enterré tout espoir de voir la Cisjordanie se relever souveraine. La deuxième menace vient de l'intérieur même de la Jordanie. Les Palestiniens qui y vivent - près de 2,3 millions d'habitants - sont en osmose avec leurs frères de Cisjordanie. Le souvenir de Septembre noir en 1970, lorsque le roi Hussein, le père d'Abdallah, décida de liquider les forces palestiniennes présentes sur son sol de peur qu'elles ne renversent son trône, n'a jamais vraiment disparu. Lorsque le Hamas islamiste est sous les bombes de l'État hébreu, les islamistes jordaniens se demandent également pourquoi le roi et son gouvernement sont si impuissants. Signal de désespoir, la reine Rania, d'origine palestinienne - son père a quitté Tulkarem pour le Koweït, où elle est née -, a changé sa photo de profil sur les réseaux sociaux. Son image glamour a laissé place à un disque noir de deuil et elle a posté un extrait d'un discours qu'elle avait prononcé en 2009 lors du premier conflit d'intensité entre Israël et Gaza : « Quatorze ans après et cinq guerres plus tard, mon cœur se brise de voir que rien n'a vraiment changé. Le monde ne peut rester silencieux, il faut que ça s'arrête. »

Si la frontière égyptienne explosait sous le poids des réfugiés palestiniens, Sissi ferait d'eux des boat people à destination de l'Europe

Au pays du cèdre, les choses sont un peu différentes. Sur le plan institutionnel et économique, le Liban ne cesse de creuser sa tombe. En vérité, le Hezbollah pro-iranien en a pris de facto les rênes. Si l'on se fie aux dires de son grand patron, Hassan Nasrallah, l'organisation n'ira pas plus loin que ce que ses intérêts lui dictent. Concrètement ? Le « Parti de Dieu », mouvement politico-militaire chiite qualifié de terroriste par ses ennemis, est solidaire de ses frères islamistes sunnites dans leur combat contre « l'entité sioniste ». Mais pas jusqu'à ouvrir un second front au nord d'Israël. Mieux vaut tenir le Liban tel qu'il est, en somme, plutôt qu'en perdre une partie du sud sous les chenilles des blindés de Tsahal. Pour les plus âgés, dans le reste du pays, la présence des Palestiniens n'a pas laissé de bons souvenirs. Depuis les massacres de Sabra et Chatila perpétrés par les phalanges chrétiennes et l'exfiltration de Yasser Arafat de Beyrouth par l'armée française en 1982, deux générations de réfugiés vivent encore dans une douzaine de camps. Le Hamas y a développé des réseaux et s'y coordonne avec le Djihad islamique et le Hezbollah. Pas étonnant que les émissaires du parrain iranien passent régulièrement à Beyrouth pour veiller au grain. Pour la population libanaise qui ne se retrouve pas dans cette équation, c'est l'horreur. « Nous nous sentons dès lors pris en otages puisque l'Iran décide de notre sort à travers le Hezbollah sans nous demander si nous voulons entrer dans cette guerre contre Israël », explique le député et président du parti Kataeb, Samy Gemayel, dans un entretien à paraître le mois prochain dans la revue Politique internationale.

François Clemenceau

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 2
à écrit le 03/12/2023 à 9:05
Signaler
Un bon article sur le diplo sur le futur problème du déplacement imposé aux palestiniens. Bah les oligarchies finiront bien par s'entendre entre elles comem d'habitude en sacrifiant leurs populations comem d'habitude.

le 03/12/2023 à 10:50
Signaler
@dossier 51 Le plan de pousser les Palestiniens de Gaza dans le Sinai n'est pas nouveau. Israël va reprendre Gaza et ré installer des colons. Exit les Palestiniens (enfin ceux qui ne seront pas morts!). Idem pour la Cisjordanie parce qu'Israel n'acce...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.