Et si "l'exception suisse" pouvait inspirer l'Europe

CHRONIQUE DU "CONTRARIAN" OPTIMISTE. Les préjugés à l'égard de la Suisse sont nombreux, comme on a pu le constater encore récemment. Pourtant, la lecture du classique "Pourquoi la Suisse?" (1), traduit en français aux éditions (suisses) Markus Haller et signé par l'historien américain Jonathan Steinberg, montre que ce pays singulier peut être une source d'inspiration pour les autres, notamment ceux de l'Union européenne.
Robert Jules
(Crédits : Reuters)

"Face à Moscou, l'Europe ne doit pas être une grosse Suisse molle." Ce jugement émane de Nathalie Loiseau, élue au Parlement européen, de retour d'un voyage en Ukraine. Au-delà du propos désobligeant de l'ancienne directrice de l'ENA, sa sortie en dit long sur les préjugés en France à l'égard de la Suisse. Aussi pour mieux connaître nos voisins helvètes, on recommandera expressément la lecture de "Pourquoi la Suisse? Un pays improbable" (1), signé par Jonathan Steinberg (1934-2021), historien américain qui a enseigné à l'université de Pennsylvanie. Ce quasi-classique - il en est à sa troisième édition révisée - est enfin disponible en français grâce aux éditions Markus Haller, une maison suisse francophone.

Enquête de terrain

Pour justifier l'existence de son livre, Jonathan Steinberg, lui-même, s'est posé deux questions : quel lecteur européen serait suffisamment intéressé par ce sujet ? Et pourquoi la Suisse existe-t-elle (toujours) ? Pour y répondre, Steinberg consacre des chapitres à l'histoire, la politique, les diverses langues, la richesse qui fascine tant les autres pays, ou encore la religion, avec un luxe de détails et en suivant la chronologie historique. Mais son enquête n'est pas seulement historique, il a également passé du temps sur le terrain, a rencontré nombre de Suisses aux profils très différents, ce qui rend son récit extrêmement vivant.

Si Steinberg fait de l'Acte de Médiation signé en 1803 par un certain Premier consul nommé Napoléon Bonaparte une étape importante, c'est qu'il acte l'échec de la république helvétique en proposant un première constitution à la Suisse qui sera organisée en cantons, et dont la fédération d'Etats préfigure la Suisse moderne. Néanmoins, il remonte jusqu'au XIIe siècle pour retrouver les origines et l'évolution du pays, balisée par le règlement en 1481 du conflit entre les cantons des montagnes et ceux des villes, la paix d'Aarau en 1712 qui met fin aux oppositions entre catholiques et protestants, la guerre civile de 1847 opposant les libéraux aux cantons catholiques plutôt conservateurs, la grève générale en 1918, et, en 1937, le premier accord important entre syndicats et employeurs.

La pratique de la démocratie directe

Quant à la politique, elle semble très complexe aux yeux d'un non-Suisse, avec son articulation subtile entre l'Etat, les cantons et les communes, et certaines décisions prises par référendums, qui font de la Suisse un des rares pays au monde, qui pratiquent une démocratie directe, jalousement défendue par les citoyens eux-mêmes. Cela explique en partie pourquoi les Suisses ont toujours rejeté l'adhésion à l'Union européenne, tout en entretenant des relations étroites avec elle, encadrées par plusieurs accords. Cette fascination de ce modèle politique pousse même l'essayiste américano-libanais Nassim Nicholas Taleb à en faire le modèle politique "antifragile" par excellence. Dans son livre "Antifragile", il note que "la Suisse est l'endroit le plus antifragile de la planète; elle bénéficie des chocs qui ont lieu dans le reste du monde".

Autre particularité du pays, la coexistence de plusieurs langues. En effet, les quatre langues nationales, suisse allemand, français, italien et romanche, font bon voisinage avec des dialectes comme le tessinois ou le lombard. Jonathan Steinberg explique en détail les rapports complexes qui se développent entre communautés linguistiques pour organiser la vie commune.

Les conséquences de la crise des subprimes

Evidemment, le chapitre qui fascinera les non-Suisses concerne la richesse du pays. Dans ce cas aussi, le détour historique mené par l'auteur montre que l'enrichissement des cités-États s'est d'abord faite par le commerce. Ce n'est qu'à une époque plus récente que l'on a vu des spécialisations dans l'industrie à forte valeur : les textiles de coton à Zurich, la broderie à Saint-Gall, les montres dans le Jura dans l'horlogerie, la nouvelle industrie chimique à Bâle et bien sûr la banque. L'adaptation de ces industries ne s'est pas fait sans mal, notamment l'industrie horlogère, mais a aussi produit des champions internationaux comme l'entreprise pharmaceutique Novartis.

Quand au secteur bancaire suisse, qui a prospéré durant des décennies sur le fameux "secret bancaire suisse", il a été mis à mal durant ces dernières années dans la compétition internationale, avec la dérégulation du système bancaire dans les années Reagan et Tatcher, obligeant les banques suisses à prendre des risques qui les conduiront à faire des faux-pas, que révèlera notamment la crise des subprimes en 2008, et les lourdes amendes qu'elles subiront en particulier aux Etats-Unis. Steinberg en analyse les détails, en soulignant aussi combien l'opacité du système financier international a joué contre les traditions des banques suisses qui n'ont échappé aux poursuites quand s'acquittant d'amendes aux montants astronomiques.

"L'exception suisse"

A la fin de son enquête, l'auteur consacre un dernier chapitre à "L'identité suisse en crise". Cette crise est avant tout celle des doutes qui saisissent les Suisses, notamment alimentés par leur rapport à l'Union européenne. Pourtant, Jonathan Steinberg est convaincu qu'"il existe, ou il a existé une "exception suisse" née de l'agrégation de nombreux facteurs : géographie particulière, évolution macro-économique, maintien des structures archaïques et communales, commercialisation précoce de la viande et des produits laitiers, force physique des montagnards, accumulation des richesses dans les villes, neutralité politique, mosaïque religieuses particulière, recours à des processus de démocratie directe, fédéralisme, autonomie des communes, multilinguisme, sans oublier toutes les règles de conduite tacites qui ont mené à la "concordance" et à la "formule magique", à l'évitement de conflit et à la tolérance". Cette liste résume assez bien la "bizarrerie" qui caractérise ce pays pour les étrangers.

Quant à l'avenir, Jonathan Steinberg ne manque pas de faire l'éloge du fonctionnement des institutions suisses en montrant combien les Etats-Unis, le Royaume-Uni et surtout l'Union européenne devraient s'inspirer des pratiques suisses, qui leur apporteraient bien des avantages qui leur manquent aujourd'hui. Car on a aura la certitude après la lecture de "Pourquoi la Suisse?", elle n'est ni grosse, ni molle.

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(1) Jonathan Steinberg "Pourquoi la Suisse", éditions Markus Haller, traduit de l'anglais par Patrick Hersant, 517 pages, 28 euros

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Livre Suisse

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Robert Jules
Commentaires 20
à écrit le 22/02/2022 à 11:27
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Ok sauf que le seuil de pauvreté en Suisse est calculé différemment et se situe à un autre niveau. Vous ne pouvez pas comparer le taux de pauvreté entre ces deux pays. Par ailleurs une personne sans emploi retrouvera plus facilement un emploi en Suis...

à écrit le 22/02/2022 à 11:27
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Ok sauf que le seuil de pauvreté en Suisse est calculé différemment et se situe à un autre niveau. Vous ne pouvez pas comparer le taux de pauvreté entre ces deux pays. Par ailleurs une personne sans emploi retrouvera plus facilement un emploi en Suis...

à écrit le 22/02/2022 à 11:25
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Ok sauf que le seuil de pauvreté en Suisse est calculé différemment et se situe à un autre niveau. Vous ne pouvez pas comparer le taux de pauvreté entre ces deux pays. Par ailleurs une personne sans emploi retrouvera plus facilement un emploi en Suis...

à écrit le 22/02/2022 à 11:23
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Ok sauf que le seuil de pauvreté en Suisse est calculé différemment et se situe à un autre niveau. Vous ne pouvez pas comparer le taux de pauvreté entre ces deux pays. Par ailleurs une personne sans emploi retrouvera plus facilement un emploi en Suis...

à écrit le 22/02/2022 à 11:21
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Ok sauf que le seuil de pauvreté en Suisse est calculé différemment et se situe à un autre niveau. Vous ne pouvez pas comparer le taux de pauvreté entre ces deux pays. Par ailleurs une personne sans emploi retrouvera plus facilement un emploi en Suis...

à écrit le 22/02/2022 à 11:17
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Enfin bon la Suisse reste la béquille financière de nombreux dictateurs et régimes odnt vous n'arrêtez pas de nous exposer le danger. A un moment faudrait être cohérent, sans argent pour les financer pas de dictateurs, pas de marionnettes des marchés...

à écrit le 20/02/2022 à 12:52
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Ardisson, le taux de pauvreté OCDE est le taux avec un seuil à 50% du revenu médian (pas 60%). il est bien de 8,5% pour la France, contre 10,5% pour la Suisse. mes autres éléments sont tout aussi fiables. Courage.

le 20/02/2022 à 15:49
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Ok sauf que le seuil de pauvreté en Suisse est calculé différemment et se situe à un autre niveau. Vous ne pouvez pas comparer le taux de pauvreté entre ces deux pays. Par ailleurs une personne sans emploi retrouvera plus facilement un emploi en Suis...

à écrit le 20/02/2022 à 11:43
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Le Suisse continue de recycler l'argent d''origine de toute origine, même douteuse dans son économie. L'accord en la Suisse et l UE sur la transparence fiscal à été complétement opacifié par les avocats d'affaires et fiscalistes dont c' est le métier...

le 20/02/2022 à 14:33
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Vos propos sont totalement délirants. Bien que l'activité financière de la Suisse soit importante, la première richesse de la Suisse, c'est son industrie (22% de son PIB). La Suisse à l'économie la plus diversifiée au monde après celle du Japon. Elle...

à écrit le 20/02/2022 à 11:32
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On parle quelle langue en Suisse? Le français, l'allemand ou l'italien? A moins que ce ne soit surtout le dollars US! :-D

le 20/02/2022 à 16:04
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C’est clair que pour un pays de « beaufs » ethnocentrés comme la France dont les habitants ne savent s’exprimer qu’en français ça choque ;-)

à écrit le 20/02/2022 à 11:27
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La Suisse est une fiction, ce n'est en réalité qu'une confédération helvétique!

à écrit le 20/02/2022 à 10:33
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Je me rappelle d'un homme politique Suisse qui répondait à des attaques française sur la frilosité à faire complètement partie de l'UE .En substance il disait :" En Suisse ,si vous investissez 100€ au bout d'un an vous aurez 125€ en France vous aure...

à écrit le 20/02/2022 à 9:58
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Je connais peu la Suisse donc je ne me hasarderai pas à faire des commentaires sans réel fondement mais je m'interroge néanmoins sur le fait que comment un pays de moins de 10 millions d'habitants avec certes une gestion irréprochable peut avoir une ...

le 20/02/2022 à 15:57
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Rigueur, travail, organisation, pragmatisme et stabilité font de la Suisse son succès La France est un pays instable, mal organisé avec une administration catastrophique. Et pourtant, si la France libérait ses forces vives dans tous les domaines, ell...

à écrit le 19/02/2022 à 16:21
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La Suisse a elle-même une espèce de parasite sur le dos : le Liechtenstein, qui profite du Franc suisse, mais qui l'a trahie quand même en entrant dans Shengen.

à écrit le 19/02/2022 à 14:37
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non, la Suisse n’est pas un modèle. c’est un pays très particulier. très dépendant du trading, de la finance et de la chimie/pharmacie. très dépendant de l’export en général. coût de la vie très élevé (34% supérieur au nôtre, d’après BAK Economics ; ...

le 19/02/2022 à 23:15
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Le taux de pauvreté suisse est à 8.5 % En France il est à 14.6%. Vous racontez n’importe quoi. Quant au taux d’émigration suisse il faudrait peut-être préciser qu’il concerne principalement des double nationaux. Le taux d’émigration depuis la France...

le 20/02/2022 à 14:17
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commentaire tres a charge. Mettez vous a la frontiere suisse/france le matin (par ex Bardonnex qui desert geneve) et vous allez voir les francais allant travailler en suisse tous les matins. Bon apres c est ssur que la perfection n etant pas de ce m...

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