États-Unis : le Kennedy qui veut dynamiter la présidentielle

Avec 10 % d’intentions de vote, RFK Jr, candidat indépendant et controversé, s’invite dans le duel Trump-Biden.
Le candidat indépendant Robert Francis Kennedy Junior à Oakland (Californie), le 26 mars.
Le candidat indépendant Robert Francis Kennedy Junior à Oakland (Californie), le 26 mars. (Crédits : © LTD / Jim Wilson/The New York Times/REA)

Qu'il est encombrant ! À peine Biden et Trump viennent-ils de s'entendre sur une date de débat que Robert Francis Kennedy Junior (RFK Jr), 10 % d'intentions de vote au compteur, voudrait se joindre à la fête. L'âne bleu (démocrate) renâcle et l'éléphant rouge (républicain) barrit, mais « Bobby » persiste et signe : « Ils essaient de m'exclure parce qu'ils ont peur que je gagne. » Cet automne, Joe Biden avait refusé de challenger son titre de candidat naturel du camp démocrate, souhaitant sortir Kennedy de la course. Celui-ci n'est pas tombé dans le fossé : c'est décidé, il la jouera cavalier seul.

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Dans la galaxie des Jill Stein, Cornel West et autres sans étiquette qui lorgnent la magistrature suprême, l'ex-procureur adjoint de Manhattan est de loin le plus populaire. Pas assez encore pour charmer 270 grands électeurs - un peu plus de la moitié des 538 manitous du collège électoral - et s'emparer des clés de Washington. Mais suffisamment pour grappiller une poignée de votes périphériques et faire dérailler l'un des deux monstres sacrés, lors d'un scrutin qui s'annonce ultra-serré. Un petit pas après l'autre, RFK Jr trace sa troisième voie, et cinq États confirment qu'il est inscrit sur leur bulletin. Parmi eux, le Delaware, l'Utah et, surtout, le Michigan, qui risque d'être le principal champ de bataille d'une présidentielle où chaque voix perdue pour Biden est un nouveau barreau à l'échelle trumpiste.

Ni Trump ni Biden

« Les candidats tiers affectent la course en punissant le candidat le plus proche d'eux », écrivait le chroniqueur politique Jonathan Chait dans le New York Magazine le 9 mai. Mais à qui Kennedy ressemble-t-il le plus ? Ce fervent soutien d'Israël, originellement démocrate, s'est aliéné sa famille politique en tenant tête au grand sachem. Pire, il a jeté de l'huile sur le feu en disant de Joe Biden qu'il est « la pire des menaces pour la démocratie ». En cas de duel bipartite, l'avantage est aujourd'hui donné à Trump. Mais si le scrutin est élargi aux petits candidats, l'actuel président devrait l'emporter. Un rapport commandé par The Economist et publié cet hiver stipule d'ailleurs que « 61 % des républicains voient Kennedy d'un bon œil, contre seulement 33 % des démocrates ». Une perspective comminatoire pour l'ogre de Mar-a-Lago, puisque, en tapant sur l'actuel locataire de la Maison-Blanche, RFK Jr séduit les trumpistes. « La quasi-totalité des électeurs craignent suffisamment l'autre camp pour éviter de voter pour un troisième candidat » le jour J, relativise de son côté le politologue Stephen Farnsworth, de l'université de Mary-Washington.

Dans une Amérique mortifiée de devoir rejouer le casting senior de 2020, le septuagénaire veut pourtant croire qu'il catalysera les indécis. Et espère convaincre autour du ticket qu'il partage avec sa « veep » en puissance, Nicole Shanahan, débarquée de la Silicon Valley. « La principale qualité de Kennedy est de n'être ni Trump ni Biden, il est donc moins polarisant », résume Fanny Lauby, professeure à l'université d'État de Montclair. Le franc-tireur travaille ainsi au corps un électorat bigarré. Dans son viseur : un mélange hétérogène de déçus du système bipartite, de suspicieux des institutions, d'autodidactes qui s'éduquent en ligne et de vrais marginaux, le tout relevé d'une généreuse louche de théories du complot. « Entre deux candidats issus de partis traditionnels et apparemment peu appréciés, Kennedy pourrait se faire une place en attirant les électeurs moins enclins à voter », analyse Fanny Lauby.

Un nom pour les gouverner

Avec une ligne politique opaque et parfois contradictoire - la faute au parasite qui lui rongea jadis la cervelle ? -, Kennedy Junior pioche des ingrédients à gauche comme à droite pour mieux épaissir son bouillon, quitte à le touiller dans tous les sens. Lui qui soutenait une interdiction fédérale de l'avortement dès trois mois de grossesse en août 2023, voilà qu'il s'oppose dorénavant à toute limitation gouvernementale de l'IVG « lorsque le bébé est viable hors de l'utérus ». Idem concernant l'environnement, puisque l'ancien défenseur des rivières, qui dénonçait l'inaction politique en matière de lutte contre le dérèglement climatique en 2014, fait maintenant confiance au libre marché pour réduire les émissions de carbone. Un comble pour cet écolo à la voix éraillée, l'un des plus influents du pays. Plusieurs grandes associations environnementales américaines se sont désolidarisées de l'avocat « négationniste de la science », l'appelant dans une lettre ouverte à arrêter sa course « dangereuse » et favorable à la réélection d'un Trump dévastateur en matière d'écologie. À cela s'ajoute le discours conspirationniste de RFK Jr au moment de la pandémie de Covid-19, lorsqu'il parlait d'un virus à « ciblage ethnique » et s'affolait d'un vaccin « mortel ». Le fondateur de Children's Health Defense, virulente plateforme de désinformation au temps du coronavirus, établissait depuis quinze ans un lien - erroné - entre vaccination et autisme.

La marque Kennedy pourrait toutefois jouer en sa faveur, permettant à l'ex-démocrate de réaliser « des scores honorables dans cinq ou six États grâce à son nom », souligne Barbara Perry, spécialiste de la dynastie et professeure à l'université de Virginie. « Bobby » n'hésite plus à marchander le patronyme sacré, au grand dam du clan familial qui l'a désavoué en adoubant Joe Biden cet hiver. Son propre petit-cousin - et unique petit-fils de JFK - a qualifié sa campagne de « projet vaniteux ». Presque soixante ans après l'assassinat de deux piliers de la mythologie politique américaine, John Fitzgerald (l'oncle) et Robert Francis (le père), Junior aimerait réinstaller le blason à la Maison-Blanche, pour un mandat complet. Histoire de déjouer la malédiction.

Commentaires 2
à écrit le 26/05/2024 à 13:16
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Bonjour, dire que beaucoup d'américains ne souhaitent pas voté pour Mr Trump ou Mr Biden, donc ils y a de la place pour un troisième hommes... Bien sur , cela est mon avis de petit européenne français...

à écrit le 26/05/2024 à 9:23
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« La quasi-totalité des électeurs craignent suffisamment l'autre camp pour éviter de voter pour un troisième candidat » Bon électorat, bien dressé. ^^

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