LA TRIBUNE- Est-ce pour sidérer le monde entier que le Hamas a déclenché cette guerre ?
AGNÈS LEVALLOIS- Les Palestiniens veulent montrer qu'ils existent encore et qu'ils n'acceptent pas le processus de normalisation avec l'Arabie saoudite lancé par Israël. Ils craignent qu'il en aille de cette normalisation comme de celle entre Israël et les Émirats arabes unis [un accord de paix entre Tel-Aviv et Abou Dhabi a été signé en août 2020], c'est-à-dire sans que de véritables garanties ne leur soient apportées. Même si les Saoudiens ont voulu envoyer un signal pour rassurer les Palestiniens. Pour la première fois en trente ans d'existence, ils ont en effet accrédité fin septembre un ambassadeur auprès de l'Autorité palestinienne en Cisjordanie. Mais ce geste n'a pas suffi à donner confiance au Hamas.
Quel est le rapport de force entre l'Autorité palestinienne basée en Cisjordanie et le Hamas à Gaza ?
L'Autorité palestinienne et le Fatah ont complètement démonétisés. Dans le rapport de force interpalestinien, il est évident que le Hamas a beaucoup plus de poids que n'en a le Fatah. Il y a toujours un dialogue d'une façon ou d'une autre entre les deux factions mais le Hamas a une défiance totale à l'égard de l'Autorité palestinienne. Les Palestiniens aussi. Cette défiance est renforcée par le fait que l'Autorité continue à discuter avec les Israéliens de questions sécuritaires, alors que l'extrême droite est au pouvoir en Israël. La radicalisation en Israël d'un côté et l'incapacité de l'Autorité à tenir tête à Israël de l'autre côté ne peuvent que faire le jeu du Hamas, qui se considère aujourd'hui comme le seul susceptible de défendre les Palestiniens. Une grande partie des Palestiniens pensent aussi que l'Autorité ne défend plus leurs droits.
Quelle est la situation des Palestiniens à Gaza ?
Il y a une paupérisation chaque jour plus grande, la vie économique y est impossible. Quand la marmite est sur le point d'exploser, Israël négocie avec le Qatar qui arrive avec des valises d'argent pour payer les salaires de l'administration palestinienne, donc essentiellement du Hamas. Voilà la situation, c'est une cocotte-minute maintenue dans un état de cocotte-minute avec l'idée que, de temps en temps, quand les Israéliens sentent que ça va vraiment très mal, ils autorisent un peu d'argent frais à arriver, proposé par le Qatar. Ce qui est dramatique en fait dans cette opération est qu'on revient toujours à la question de l'origine.
C'est-à-dire ?
Cette opération arrive trente ans après les accords d'Oslo, signés en septembre 1993 et censés apporter la paix. Ces accords d'Oslo n'ont pas permis la moindre avancée. Un processus a été engagé, mais il n'a pas été respecté, qu'on le veuille ou non, à cause des Israéliens qui ont poursuivi les colonisations. De plus, ceux qui ont signé ces accords ont disparu aujourd'hui. Les travaillistes sont désormais inexistants sur la scène politique israélienne. Côté palestinien, le Fatah n'a plus beaucoup d'existence. On se retrouve aujourd'hui avec une radicalisation en Israël et dans les territoires palestiniens.
Les images de lynchages d'Israéliens à Gaza sont terribles...
Ces images sont extrêmement violentes et ces actions sont injustifiables. Mais en enfermant les gens dans une enclave dont ils ne peuvent sortir, à qui on donne de temps en temps quelques miettes pour éviter que cela explose, il ne faut pas s'étonner de comportements violents. Il ne faut pas oublier les propos de responsables israéliens, ministres ou rabbins, comparant les Palestiniens à des « cafards qu'il faut écraser ». Ce sont des paroles qui ont été prononcées publiquement. C'est difficile à dire d'une façon aussi crue mais c'est la réalité : tous les jours, des responsables d'extrême droite affirment qu'il faut écraser les Palestiniens, qu'ils n'existent pas. Il ne faut donc pas s'étonner que le Hamas réagisse et que, si un soldat israélien tombe entre les mains des Palestiniens, ces derniers se comportent violemment. À travers cette opération, les Palestiniens se réveillent pour dire aux Israéliens : « On est là et vous ne pourrez pas nous faire disparaître comme ça ». C'est dramatique.