Joe Biden sous la pression de la minorité arabe

À deux jours du Super Tuesday, le soutien du président à la politique israélienne risque de lui faire perdre les voix d'électeurs historiquement démocrates.
L’actuel locataire de la Maison-Blanche et l’animateur de télévision Seth Meyers, chez un glacier de New York, le 26 février.
L’actuel locataire de la Maison-Blanche et l’animateur de télévision Seth Meyers, chez un glacier de New York, le 26 février. (Crédits : © Jim WATSON / AFP)

Le cornet de glace à la menthe semble appétissant. Joe Biden s'apprête à l'engloutir. « Quand pensez-vous qu'un cessez-le-feu prendra effet ? » lui lance alors un journaliste à propos de la guerre à Gaza. Le cornet reste en l'air, sans atteindre la bouche du président-candidat. « Eh bien, j'espère que d'ici le début... Enfin, la fin du week-end... Mon conseiller en matière de sécurité nationale me dit que nous sommes proches... J'espère que nous aurons un cessez-le-feu d'ici à lundi », évacue Joe Biden avant d'avaler enfin son cornet en sortant de chez un glacier de New York. Cette poignée de mots larguée d'un ton égal, il y a une semaine, les Américains ralliés à la cause palestinienne l'attendaient depuis des mois.

Mais la mort jeudi d'une centaine de Palestiniens à l'arrivée de camions d'aide dans la ville de Gaza, certains tués par des balles israéliennes, d'autres lors d'une bousculade, a jeté l'effroi dans le monde entier. Joe Biden a dû reconnaître qu'une trêve n'aurait « probablement pas » lieu d'ici à demain, comme il l'avait espéré.

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La menace d'une abstention massive

À deux jours du Super Tuesday, temps fort des primaires où démocrates comme républicains sont appelés à se prononcer dans 14 États pour leurs candidats à la présidentielle, le drame va peser encore plus sur Joe Biden. Chacune de ses prises de parole publiques comme celles de sa vice-présidente est émaillée d'un appel au cessez-le-feu alors que les bombes israéliennes qui pulvérisent Gaza depuis cinq mois sont en partie financées par les États-Unis.

Depuis les attaques terroristes du Hamas le 7 octobre, les exactions commises par l'armée israélienne contre les civils palestiniens et la faiblesse de la Maison-Blanche face à l'intransigeance du Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, indignent. Au point qu'une partie de l'électorat bleu songe à abandonner le démocrate. En tête de ce cortège de déçus, les musulmans et les Arabes-Américains. Ces derniers étaient 59 % à soutenir Joe Biden en 2020. Fin octobre 2023, seulement 17 % se disaient prêts à revoter pour lui, rapporte une étude de l'Arab American Institute.

Au Michigan, qui promet d'être un État-charnière en novembre, vivent quelque 210 000 Arabes-Américains. Ici, où chaque vote compte, Trump l'avait remporté de 11 000 voix en 2016, et Biden de 154 000 en 2020. Cette année encore, l'écart pourrait être ténu. Dearborn, l'autoproclamée capitale arabe des États-Unis, tressaille de tristesse et de colère depuis l'automne dernier : alors que plus de 30 000 personnes ont été tuées dans la bande de Gaza, en majorité des femmes et des enfants, le soutien de Biden à Israël est vécu comme une trahison jusqu'à cette banlieue de Detroit. « Notre communauté ne sera plus utilisée à des fins de calculs politiques, a tempêté une nouvelle fois sur MSNBC le 2 février son maire, Abdullah Hammoud. Je sais bien que Trump est une menace pour nous, mais que fera Biden pour gagner la confiance et le respect de ses électeurs ? » « Le conflit à Gaza a réactivé une conscience de la politique étrangère », confirme Youssef Chouhoud, professeur adjoint à l'université Christopher Newport.

Notre communauté ne sera plus utilisée à des fins de calculs politiques

Abdullah Hammoud maire de Dearborn, Michigan

Le rejet du président-candidat est devenu une contre-campagne et fait peser sur les démocrates la menace d'une abstention massive. Les premières répercussions se sont fait ressentir mardi à l'issue de la primaire du Michigan : Joe Biden a remporté le scrutin sans surprise, mais un peu plus de 100 000 bulletins « sans engagement » ont été glissés dans les urnes. Soit 13,3 % des voix. L'initiative, portée par les dirigeants arabes-américains et musulmans locaux et soutenue par l'élue au Congrès Rashida Tlaib (une démocrate du Michigan), vise à faire pression sur Biden pour qu'il appelle à un cessez-le-feu, ferme le robinet de l'aide militaire à Israël et reconnaisse formellement l'existence d'un État palestinien. « C'est décevant de devoir protester par le vote, mais beaucoup d'entre nous se sentent délaissés », témoigne un jeune Syro-Américain, qui a voté « sans engagement ».

Aux États-Unis, le nombre de citoyens d'ascendance arabe est estimé à 3,5 millions. C'est peu à l'échelle du pays (1 %), mais suffisant pour influencer à la marge une élection qui devrait se jouer dans un mouchoir de poche. « Il y a assez d'Arabes et de musulmans en Géorgie, en Arizona et dans le Michigan pour peser sur le scrutin de manière significative », explique le professeur Chouhoud, qui a cherché à quantifier les conséquences d'une abstention massive ou d'un report des voix vers un candidat tiers des électeurs musulmans, moyen-orientaux et nord-africains. « Chaque Arabe qui ne vote pas est un vote démocrate perdu », appuie le sondeur John Zogby. Car ce réservoir de voix fait partie de la « coalition Obama », une combinaison de blocs électoraux composée des minorités raciales, des jeunes et des femmes. Elle avait porté le candidat Obama au pouvoir en 2008, mais « son manque d'enthousiasme avait coûté l'élection à Hillary Clinton, rappelle John Zogby. C'est cette manne de voix qui a propulsé Biden vers la victoire en 2020. »

« Nous avons d'autres choix »

« Nos votes sont considérés comme acquis [par les démocrates], mais nous avons d'autres choix que Trump », souligne Ghada Elnajjar. Militante politique de longue date, cette fille de réfugiés palestiniens s'était engagée en 2020 avec le mouvement des Arabes-Américains pour Biden en Géorgie. Quatre ans plus tard, le divorce est consommé. « Une chose est claire : il ne devrait jamais être réélu », assure celle qui a perdu 75 membres de sa famille depuis le début des représailles israéliennes dans la bande de Gaza. « Il est dans l'intérêt du Parti démocrate que quelqu'un d'autre se présente à la présidentielle », insiste la lobbyiste.

En 2020, Joe Biden incarnait la meilleure synthèse possible entre toutes les sensibilités démocrates. « Il avait adopté la rhétorique des groupes de défense des droits raciaux », souligne le politologue Ruy Teixeira. L'octogénaire est aujourd'hui malaimé au sein de son propre camp, et les manifestations pour la Palestine, dans le Michigan, répètent désormais un slogan bien connu, qui sait effrayer les candidats : « In november, we'll remember. »

Commentaires 2
à écrit le 04/03/2024 à 22:03
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"Mais la mort jeudi d'une centaine de Palestiniens à l'arrivée de camions d'aide dans la ville de Gaza, certains tués par des balles israéliennes, d'autres lors d'une bousculade, a jeté l'effroi dans le monde entier." Comment peut-on encore exc...

à écrit le 03/03/2024 à 9:08
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Ca tombe bien le monde a besoin de Trump.

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