La Nouvelle-Orléans, « ground zero » de tous les dangers climatiques

Si la montée des eaux due au changement climatique se poursuit, la capitale économique de la Louisiane ne résistera pas. Les autorités de l’État ont mis sur pied un plan de 50 milliards de dollars sur cinquante ans pour tenter de sauver la région.
Nombreux sont les Américains à n’être pas convaincus de la responsabilité humaine dans le réchauffement climatique.
Nombreux sont les Américains à n’être pas convaincus de la responsabilité humaine dans le réchauffement climatique. (Crédits : Reuters)

Assis sous leur porche, Janet et Willie Picket savourent la douceur de l'hiver à La Nouvelle-Orléans. « Nous resterons ici le temps que cela durera... », déclarent-ils sobrement. Leur petite maison en bois, tout en longueur, dans le quartier de Mid-City, porte encore la marque des inondations monstres qui ont suivi le passage de l'ouragan Katrina, à la fin août 2005. Noyées sous plus de 2,50 mètres d'eau, les parois du canal de la 17e Rue, dans le nord-ouest de la ville, s'étaient rompues sous la pression, libérant des flots de liquide sombre et boueux. Il a fallu nettoyer, assainir, reconstruire, surélever. Et, surtout, se préparer à la suite.

Car les spécialistes considèrent aujourd'hui La NouvelleOrléans, capitale économique de la Louisiane, comme le ground zero du changement climatique, sorte d'épicentre de la crise. Si rien n'est fait pour en déjouer les effets, cette ville de 400 .000 habitants sera la première métropole américaine à être engloutie. La municipalité et la Louisiane dans son ensemble tentent de réagir.

La situation est critique. Selon une étude publiée par la Société américaine de géologie, la Louisiane et ses zones humides perdent l'équivalent d'un terrain de football toutes les heures... Non seulement le niveau de la mer monte en raison du réchauffement climatique -  en Louisiane, il progresse, selon les estimations, de 1 centimètre par an, contre 3 à 4 millimètres en moyenne dans le reste du monde -, mais en plus ce dérèglement induit des ouragans plus fréquents et plus violents, de même que des précipitations plus fortes, le tout érodant un peu plus les terres friables.

En outre, le sol de toute la région, des marécages, s'enfonce inexorablement. Un phénomène naturel accentué par l'exploitation pétrolière. Les majors, qui extraient l'or noir de puits offshore très profonds, ont creusé ou agrandi des canaux pour faire passer leurs barges et leurs pipelines, endommageant la végétation des marécages, qui bloquait auparavant l'entrée des eaux salées du golfe et protégeait un écosystème très fragile. « Et le Mississippi apporte moins de sédiments dans le delta en raison des barrages en amont », ajoute Alex Kolker.

Ce professeur au Louisiana Universities Marine Consortium, basé à Chauvin, sur la côte louisianaise, a conseillé les élus de l'État, qui ont adopté à l'unanimité, en 2007, un premier plan pour la sauvegarde de la région côtière, dans le sillage de Katrina. Un cadre général sur cinquante ans, actualisé périodiquement (notamment en 2017) et assorti d'une enveloppe totale de 50 milliards de dollars, visant à restaurer les marais côtiers et à réduire les risques d'inondations, notamment grâce à la construction de digues et de barrières naturelles en mer. Plusieurs murs de sable ont déjà été érigés dans le golfe. À La Nouvelle-Orléans, les digues ont été réparées et renforcées. Par ailleurs, le cabinet d'architectes Waggonner & Ball s'est inspiré de l'expérience des Pays-Bas pour imaginer un plan de gestion des eaux à base de drainage.

La Nouvelle-Orléans sous les eaux après Katrina, le 31 août 2005. En Louisiane, le niveau de la mer monte de 1 cm par an contre 3 à 4 mm en moyenne dans le reste du monde.

[La Nouvelle-Orléans sous les eaux après Katrina, le 31 août 2005. En Louisiane, le niveau de la mer monte de 1 cm par an contre 3 à 4 mm en moyenne dans le reste du monde. Crédits : Rick Wilking/Reuters]

Un seul plan de défense

« Le master plan, qui s'appuie sur les recherches des experts de l'ONU en matière de montée des eaux, est sérieux et devrait suffire si le niveau des eaux reste modeste », avance Alex Kolker.

Dans le cas contraire, ce sera la catastrophe. D'autant que « le plan se concentre sur la montée des eaux et les précipitations, mais ne lutte pas contre les émissions de gaz à effet de serre qui en sont la cause. Pas plus qu'il ne propose une stratégie économique pour développer des opportunités d'emplois dans le domaine des énergies renouvelables, alors que les Louisianais, spécialistes de l'équipement lourd, sauraient construire des éoliennes, par exemple », relève de son côté Denise Reed, chercheuse spécialisée à l'université de La Nouvelle-Orléans et conseillère technique des autorités louisianaises pour la mise au point du plan de sauvegarde de la région côtière.

Il faut dire qu'en Louisiane, et aux États-Unis en général, le réchauffement climatique fait encore débat. Certes, « nous nous en rendons compte tous les jours », insiste Willie Picket, mais nombreux sont ceux, surtout parmi les Républicains, élus ou simples citoyens, qui ne sont pas convaincus de la responsabilité humaine dans le phénomène. « Nous avons eu un débat public à l'occasion d'un scrutin local et les deux candidats républicains ont répondu par la négative à une question sur la responsabilité humaine, tandis que John Bel Edwards, le gouverneur démocrate, réélu à l'issue de ce scrutin, s'est borné à déclarer que l'activité humaine avait "une certaine part" dans le changement climatique », regrette Denise Reed. Des positions qui ne sont pas de nature à accélérer la lutte, ni à générer une vraie stratégie économique.

Au niveau fédéral, l'administration Trump ne cesse de détricoter les programmes de lutte contre le changement climatique mis en place par le président Obama et de desserrer les contraintes sur la pollution due au transport, en particulier en Californie, sur l'extraction du charbon, et même sur la durée des ampoules électriques.

Lire aussi : Pour les Etats-Unis, "il n'y a pas de crise climatique"

Quant au Green New Deal, un vaste plan d'investissements dans les énergies renouvelables, cheval de bataille d'Alexandria Ocasio-Cortez, représentante démocrate - à la gauche du parti - pour l'État de New York à la Chambre, « il est écrasant, et les citoyens ont du mal à s'en emparer », estime Denise Reed.

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Déplacement de populations loin des côtes

Toutefois, les autorités de Louisiane s'appuient tout de même sur le gouvernement fédéral. En mai 2019, elles ont dévoilé un autre plan, le premier du genre aux États-Unis, visant à gérer les mouvements de population induits par le réchauffement et la montée des eaux. Des Louisianais qui devront quitter leur lieu d'habitation pour être accueillis ailleurs, un peu plus loin des côtes, à des niveaux plus élevés. Déjà, certaines petites villes côtières ont vu leur population diminuer depuis les années 2000. Le plan, qui inclut un développement urbain plus dense et de meilleures infrastructures, en particulier en ce qui concerne le transport, s'appuie sur une enveloppe de 40 millions de dollars, débloquée en son temps par l'administration Obama.

Alex Kolker est persuadé que l'expérience louisianaise peut être reproduite ailleurs.

« De nombreuses villes dans le monde sont construites au bord de l'eau et se sont développées grâce à leur port, pointe-t-il. Et il se trouve que La Nouvelle-­Orléans et la Louisiane ont vingt ou cinquante ans d'avance. »

Il est d'ailleurs actuellement en poste au Maroc, où il partage son expérience sur les changements côtiers et les remèdes à y apporter.

Lire aussi : Katrina : Obama à la Nouvelle-Orléans, 10 ans après la catastrophe

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ENCADRÉ

La menace plane aussi sur Manhattan

Manhattan, projet Big U

[Le gouvernement fédéral a déjà alloué 335 millions de dollars pour le projet Big U, qui constituera une barrière de protection. Crédits : Bjarke Ingels Group]

Si La Nouvelle-Orléans pourrait être la première ville américaine rayée de la carte, elle n'est pas la seule. New York est également menacée. Au point que son maire, le démocrate Bill de Blasio, a annoncé, en mars 2019, un plan qui pourrait coûter 10 milliards de dollars pour sauver la métropole.

Lire aussi : Climat : un enjeu électoral aux États-Unis

Selon l'étude du projet Lower Manhattan Coastal Resiliency, 37 % des immeubles de la pointe de Manhattan pourraient être déstabilisés par d'immenses marées de tempête qui déferleraient sur la ville d'ici à 2050. Et, en 2100, le niveau de la mer pourrait monter de près de 2 mètres.

« Le débat sur le changement climatique n'a plus cours ici, a déclaré le maire lors de l'annonce. La seule question qui se pose désormais, c'est où et à quelle vitesse nous allons bâtir des digues - notamment des barrières amovibles, qui pourraient être mises en place périodiquement à l'approche d'un ouragan - pour nous protéger de la montée des eaux et du prochain événement climatique, inévitables. »

D'autres éléments du plan incluent un mur qui ceinturerait Staten Island, dans la baie, et des dunes de sable pour protéger les Rockaways, au sud de Brooklyn.

Wall street en danger

Cependant, certains experts doutent que Wall Street, le quartier des affaires, puisse être sauvé dans les décennies à venir : trop bas, trop construit, trop peuplé, il compte des milliers d'immeubles où habitent près de 100 .000 personnes et des bureaux qui fournissent un demi-million d'emplois à ceux qui viennent y travailler grâce à un réseau de transport très dense.

Pour l'heure, les habitants, notamment ceux qui sont tout près de la mer, comme à Howard Beach, près de l'aéroport Kennedy, à Brooklyn, reconstruisent après chaque ouragan. Ils se souviennent de Sandy, qui a paralysé la ville en octobre 2012. « J'ai eu deux mètres et demi d'eau chez moi. Heureusement que l'administration et les assurances m'ont aidée », raconte Theresa Bartol, une artiste dont certains des tableaux ont été détruits par le passage de Sandy. Et encore, sa maison est quelque peu abritée. Le long de Cross Bay Boulevard, plus proche de la mer, les restaurants, les supermarchés, les immeubles ont tous été endommagés et fermés pendant de longs mois. Quant au Wharf, un restaurant de poisson implanté directement sur la plage, il a été littéralement « liquidé » par les eaux. « Mais, ensemble, nous avons reconstruit, déclare fièrement Jo-Anne, qui y travaille. Ici, il y a un vrai sens de la communauté. »

Si Manhattan est peuplé d'électeurs en majorité démocrates, aux confins de la Grosse Pomme, à Howard Beach, les citoyens sont plutôt conservateurs, et le drapeau américain flotte sur la plupart des maisons. Jo-Anne fait partie de ceux qui ne croient qu'aux caprices, fréquents, de la nature. « Nous avons eu Irene en 2011, Sandy en 2012, dit-elle. Et il y en aura d'autres, c'est comme ça. » Pas question de partir. À moins que la nature ne la chasse un jour...

Commentaire 1
à écrit le 17/01/2020 à 9:03
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Et nous autres pouvons nous commencer à nous inquiéter pour Bordeaux construite sur des marécages ?

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