
Les revenus que tirent la Russie de ses ventes de pétrole et de gaz ont plongé en janvier, de 46%, selon les données officielles du ministère russe des Finances. Ils avaient déjà chuté en décembre. Ce tassement concorde avec l'application depuis le 5 décembre d'un embargo européen et de l'imposition par les pays du G7 et leurs alliés de conditions restrictives sur les exportations de brut russe. Depuis le 5 février, les mêmes mécanismes s'appliquent aux produits raffinés dont le diesel.
De son côté, Gazprom a indiqué le mois dernier que ses exportations avaient reculé de 46% sur un an. Depuis la chute des livraisons par gazoduc aux pays européens, le géant gazier ambitionne de développer ses capacités de gaz naturel liquéfié (GNL), qui est livré par voie maritime. Le GNL russe n'est pas, pour le moment, soumis à des sanctions occidentales, et pourrait comme le brut trouver des débouchés en Asie, en particulier en Chine, premier importateur mondial de GNL dont l'économie s'ouvre à nouveau depuis la levée de la politique « zéro Covid ».
Le déficit public se creuse
Ce manque à gagner s'est traduit en janvier par un déficit public de l'ordre de 25 milliards de dollars, un niveau inédit depuis 2011. Parallèlement, les dépenses publiques ont bondi de 59% sur un an, principalement pour financer l'effort de guerre en Ukraine de plus en plus coûteux.
« Nous n'avons aucune limitation de financement », avait averti à la mi-décembre Vladimir Poutine. Transformé en économie de guerre, l'industrie, notamment manufacturière, a été réorientée vers des productions nécessaires à la poursuite de la guerre. « Le pays et le gouvernement donneront tout ce que l'armée demandera », avait tranché le président russe.
Le pays dispose de son fonds souverain pour couvrir ce déficit. Au premier janvier, ses réserves étaient évaluées à quelque 148,4 milliards de dollars, équivalent à 7,8% du PIB, selon le ministère des Finances. Depuis le 1er février 2022, ce montant a baissé de 15%. Pour le seul mois de décembre, le gouvernement avait puisé 35,1 milliards de dollars pour combler son déficit. Ce fonds souverain a été principalement alimenté au cours de ces dernières années par les revenus pétroliers et gaziers. Avant la guerre, l'ensemble des recettes générées par la vente des hydrocarbures contribuait à 45% du budget public.
Un impôt exceptionnel sur le bénéfice des entreprises à l'étude
Pour faire face à ses besoins, le gouvernement étudie également le principe d'une contribution des entreprises du pays, selon la presse locale. Le Premier ministre Mikhaïl Michoustine a proposé de faire appel aux membres de l'Union russe des industriels et des entrepreneurs pour verser un impôt exceptionnel de 2,8 milliards de dollars dans les coffres de l'Etat russe. Mais le lobby industriel penche davantage en faveur d'une majoration de 0,5% de la taxe sur les bénéfices, qui aujourd'hui s'élève à 20%.
Pour le Kremlin, la perte de revenus pétroliers va se transformer en casse-tête dans les prochains mois. En effet, 2023 ne devrait pas être comme 2022. L'année dernière, malgré la guerre en Ukraine et les sanctions, qui portaient en large part sur les importations de la Russie et son isolement du commerce international, les revenus générés par les hydrocarbures avaient atteint 36,7 milliards de dollars, selon des données officielles du gouvernement russe, soit une hausse de 28% par rapport à 2021. Pour le seul pétrole, la production avait augmenté de 2% et les exportations de 7%, malgré une décote sur les prix de l'oural, son brut de référence. Pour le gaz, la baisse des livraisons en Europe avait été partiellement compensée par la hausse de 8% des exportations de gaz naturel liquéfié (GNL).
L'inconnue de l'embargo sur le diesel
D'autant que pour cette année, l'impact du mécanisme de l'embargo européen et du plafond de prix sur l'exportation de produits pétroliers raffinés, notamment du diesel, restent difficiles à évaluer. Jusqu'au mois dernier leur principale destination était l'Union européenne (voir graphique).
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Si l'Europe devrait pouvoir trouver des fournisseurs alternatifs, car elle raffine elle-même 80% de ses besoins en diesel, la situation s'annonce plus tendue pour la Russie, qui doit tenir compte d'un prix du baril de diesel plafonné par le G7 à 100 dollars. « La question fondamentale va être de savoir si la Russie peut dérouter le million de barils par jour de diesel vendus auparavant aux pays de l'Union européenne. Cela, dépend 1/ de savoir si coût du transport et de l'assurance sont couverts avec le prix plafonné, et 2/ de trouver de nouveaux clients », indiquent dans une note de recherche Ben McWilliams, Simone Tagliapietra et George Zachman, analystes au centre de réflexions Bruegel. Selon eux, comme le diesel russe se vend pour le moment en-dessous des 100 dollars, le plafond et ses conditions ne devraient pas être un problème.
En revanche, trouver de nouveaux débouchés pourrait s'avérer plus délicat. Autant la Chine, et l'Inde qui s'étaient substitués aux pays européens étaient intéressés pour acheter du pétrole brut russe à un prix attractif pour utiliser leurs importantes capacités de raffinage et exporter les produits, autant acheter directement des produits raffinés est économiquement moins rentable.
Plusieurs scénarios
Selon les chercheurs de Bruegel, les pays qui exportent déjà du diesel vers l'Union européenne pourraient être intéressés à condition que le diesel russe soit vendu à un prix attractif. Parmi ces pays, on compte l'Egypte, la Turquie, l'Algérie et le Maroc, et sur des routes maritimes plus longues les Emirats Arabes Unis et l'Arabie saoudite. Pour ces pays, cela leur permettrait d'optimiser leur part de marchés européens en ajoutant des capacités d'exportation de diesel dont l'Europe va avoir besoin. Une autre alternative est une substitution de l'autre côté de l'Atlantique. « Si les pays de l'Union européenne augmentent leurs importations de diesel en provenance des Etats-Unis, le diesel russe pourrait être acheminé aux pays d'Amérique latine achetant du diesel aux Etats-Unis », indiquent-ils. Enfin, la Russie peut aussi ajuster ses capacités de raffinage, et exporter davantage de brut ou d'autres produits raffinés en fonction de l'évolution des conditions du marché et des prix des produits.
Quoiqu'il en soit, la carte mondiale d'acheminement du diesel est bien partie pour être redessinée.
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