
Après presqu'un an de guerre en Ukraine, assiste-t-on à un tournant? La livraison de chars d'assaut à l'Ukraine autorisée par Washington et Berlin témoigne d'une volonté des Etats-Unis et de l'Union européenne d'intensifier leur engagement matériel pour faire plier Vladimir Poutine. Dans le même temps, une autre guerre, plus feutrée mais tout aussi importante, se déroule depuis décembre qui touche à son nerf : l'argent. Imposés par les pays du G7 et leurs alliés depuis le 5 décembre, l'embargo européen et le plafonnement du prix du baril de pétrole russe exporté commencent à produire leurs effets.
Selon les économistes du KSE Institute, un think tank basé à Kiev, la Russie a engrangé en décembre 12,6 milliards de dollars de revenus pétroliers, soit 2,1 milliards de dollars de moins que la moyenne des revenus mensuels de 2021. « Nous anticipons un effondrement des revenus du pétrole et du gaz en 2023, ce qui va rendre la Russie vulnérable », estiment-ils, soulignant que d'ores et déjà « le différentiel entre le Brent et l'Ural est passé de 20-30 dollars par baril à 35 dollars en décembre ». En raison de cette décote, consentie à ses principaux clients que sont devenus la Chine, l'Inde et la Turquie, la Russie a perdu l'équivalent de 50 milliards de dollars en 2022. Un effet amplifié par la dépréciation du rouble depuis juin face au dollar.
Vente de yuan pour soutenir le rouble
Pour compenser ces pertes et soutenir sa monnaie, la Banque centrale de Russie a dû vendre à la mi-janvier l'équivalent de 47 millions de dollars en yuan pour acheter du rouble, rouvrant pour l'occasion l'achat et la vente de devises étrangères. Ce jeudi, la devise russe dollar s'échangeait à 69,4 roubles contre un dollar, remontant après avoir atteint un plus bas de 8 mois fin décembre à 72 roubles. Sur un an, elle s'est dépréciée de plus de 11% par rapport au billet vert.
Comme l'évolution de la croissance économique russe est quasi corrélée à celle des revenus de la vente de ses hydrocarbures, les sanctions commencent à avoir un impact de plus en plus lourd sur l'économie russe. Selon les dernières prévisions du Fonds monétaire international (FMI), son PIB devrait légèrement rebondir à 0,3% en 2023, après s'être contracté de 2,2% en 2022. Le déficit commercial des pays de l'Union européenne, son premier client avant la guerre, confirme cette chute de revenus. Il est passé de 19,6 milliards d'euros en mars 2022 à 9,7 milliards de dollars en septembre, selon les dernières données d'Eurostat.
Chute du déficit commercial européen avec la Russie
L'office européen des statistiques a ainsi calculé que sur six produits clés importés par l'UE, seul un, le nickel, un métal non ferreux, a vu sa part augmenter. Sinon celle du charbon - sous embargo depuis début août - a chuté de 45% en 2021 à 13% au troisième trimestre 2022, celle du gaz naturel est passée de 36% à 18%, celle des fertilisants de 29% à 17% et celle de l'acier et du fer de 16% à 5%.
« Nous voulons que la guerre cesse au plus tôt. Les sanctions sont un moyen d'y arriver même si cela a des effets négatifs pour les pays qui les imposent », rappelait Nataliia Shapoval, directrice de l'Institut KSE, en introduction d'un séminaire tenu cette semaine. C'est la raison pour laquelle « le prix plafond du baril de brut russe est important », soulignait-elle.
Il est actuellement fixé à 60 dollars. Concrètement, cela implique qu'aucune société de transport et d'assurance ne peut acheminer et garantir les exportations de brut russe si le prix du baril est supérieur à ce niveau sous peine de sanction. Ce jeudi, l'Ural, le pétrole de référence, évoluait autour de 58,3 dollars, en baisse de 4%, alors que la référence internationale, le Brent, valait 87 dollars.
Mais pour les économistes du KSE Institute, le plafond devrait être ramené à 50 dollars pour éviter une flambée des prix du brut puis progressivement à 35 dollars, un niveau qui deviendrait critique pour l'économie russe. C'était celui que la Pologne exigeait en décembre, avant d'accepter le seuil à 60 dollars à condition que le plafond soit discuté en fonction de l'évolution de la situation. La réunion sur ce point entre les pays de l'Union européenne et les Etats-Unis a été repoussée au début du mois de mars.
Car, entre-temps, un nouveau train de sanctions est prévu à partir du 5 février portant sur les exportations de produits raffinés (essence, diesel, gazole, kérosène...), dont les Etats-Unis et les pays de l'UE discutent toujours les différents plafonds. Mais la problématique s'avère différente. La Chine, l'Inde et la Turquie sont intéressés par les prix bradés du brut russe pour pouvoir le raffiner car ces pays disposent d'importantes capacités pour le faire. Ils ne devraient donc pas cette fois-ci se substituer aux clients européens pour les produits raffinés. Pour la Russie, à moins de consentir une décote très importante pour certains clients en Asie, l'alternative sera de réduire l'activité de ses capacités de raffinage, conduisant dans ce cas à une nouvelle perte importante de revenus.
La poursuite de la guerre est en train de devenir pour les deux belligérants une course contre la montre. Signe de cette intensification, le président ukrainien, à peine après avoir reçu l'assurance de la livraison de chars des Etats-Unis et de l'Allemagne, a réclamé mercredi à ses alliés occidentaux des missiles de longue portée et des avions de combat.
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