Le Canada sans majorité après les élections générales ?

Lundi 19 octobre, le Canada renouvelle sa Chambre des Communes. Le premier ministre sortant Stephen Harper vise une quatrième victoire de suite sur fond de déprime économique. Mais toute majorité absolue semble exclue.
Le Canada était en récession au premier semestre et s'apprête à voir un duel serré dans les élections.

Le 19 octobre, les Canadiens sont appelés à renouveler leur Chambre des Communes à l'issue d'une campagne entamée voici trois mois. L'enjeu principal du scrutin est le renouvellement du mandat du premier ministre conservateur Stephen Harper qui est à la tête du gouvernement canadien depuis neuf ans. Ce serait la première fois qu'un premier ministre remporte quatre élections de suite au Canada. Voici encore quelques semaines, les jours de ce dernier au 24, promenade Sussex, le siège de la résidence du premier ministre, semblaient comptés. Mais, depuis, les Conservateurs ont repris le dessus et pourrait bien, lundi, arriver en tête.

Du trio au duel

Au début de la campagne, trois partis semblaient faire jeu égal : les Conservateurs, les Libéraux, dirigés par Justin Trudeau, le fils de l'ancien premier ministre Pierre-Elliott Trudeau et le Nouveau Parti Démocratique (NPD), parti social-démocrate menée par Thomas Muclair. Le NPD avait été la sensation du scrutin de 2011 où il était devenu la deuxième formation du pays avec 30,6 % des voix contre 18 % en 2008 et 103 sièges sur 308. Durant l'été, il était encore donné en tête des sondages, mais, depuis, le NPD a fortement reculé, passant de 34 % d'intentions de vote moyennes le 10 septembre à 22,4 % un mois plus tard. Le jeu à trois s'est donc progressivement mué en un duel traditionnel entre les Libéraux et les Conservateurs. Un duel dont il est bien malaisé de savoir qui sortira vainqueur.

Coude-à-coude

Selon les calculs du Journal de Montréal, la moyenne des sondages des sept derniers jours donnent une avance aux Libéraux, avec 34,9 % des voix contre 32,9 % aux Conservateurs. Mais le système électoral canadien, réplique du britannique, risque de faire pencher la balance en faveur du parti de Stephen Harper qui pourrait, selon ces calculs, compter sur 126 sièges contre 119 à Justin Trudeau. Le quotidien québécois estime à 71 % la chance du Parti conservateur (PCC) d'arriver en tête du scrutin. Reste qu'on voit mal comment un de ces deux partis pourraient atteindre la majorité absolue de 170 sièges, sauf si un large mouvement de vote utile vers l'un ou l'autre des deux partis se dessine dans les derniers jours. Déjà, la montée des Libéraux s'explique en partie par la désertion d'une partie de l'électorat NPD.

"Maladie hollandaise"

L'économie canadienne, très dépendante des matières premières, et notamment du brut, est entré au premier semestre 2015 en récession avec deux trimestres consécutifs de baisse (- 0,2 % et -0,1 %). Sa balance commerciale est déficitaire depuis octobre dernier et le budget de l'Etat est dans le rouge depuis 2010. Le chômage est passé en un an de 6,6 % à 7,1 % de la population active.

Sur le plan plus structurel, le Canada a perdu beaucoup de compétitivité et doit engager un rééquilibrage de son modèle économique pour dépendre moins des matières premières et gérer le vieillissement de la population et les carences en infrastructures. Le Canada est victime de ce qu'on appelle la "maladie hollandaise", autrement dit de l'effet d'un renchérissement des matières premières qui conduit à une régression de l'industrie manufacturière.

Même si la récession devrait finir au deuxième semestre, les perspectives ne sont pas bonnes. D'autant que l'économie étatsunienne, premier client du Canada, devrait montrer des signes de faiblesses et que les émergents - et notamment la Chine - ne s'engagent pas dans la voie de la reprise.

Les programmes des trois partis

Face à ce défi, la campagne n'aura pas été réellement à la hauteur, se dispersant sur des sujets comme le port du voile intégral islamique lors des cérémonies de nationalisation. Les Conservateurs ont tout fait pour ramener la question migratoire au centre des débats.

Sur le plan économique, Stephen Harper a joué la carte du retour à l'équilibre budgétaire et de la stabilité fiscale. Face à lui, Thomas Muclair a prétendu également assurer l'équilibre des comptes publics, tout en prônant l'établissement d'un service de garde d'enfant au niveau national. Il veut financer les deux par des hausses d'impôts sur les entreprises. Quant à Justin Trudeau, il défend un programme ouvertement keynésien qui laisserait filer les déficits pour trois ans afin de financer un programme d'investissement. In fine, les électeurs lassés de Stephen Harper auront préféré les choix libéraux que ceux du NPD. Un choix qui s'explique aussi par la personnalité très médiatique du leader libéral, né dans le bain politique et qui, souvent jugé peu convaincant avant la campagne, est la révélation de cette dernière.

Le Québec, province clé

L'élection fédérale risque en grande partie de se jouer au Québec. La « belle province » est la seule où les Conservateurs, peu représentés, disposent d'un potentiel de gains de sièges. En 2011, le PCC n'avait gagné que 5 sièges au Québec, contre 59 sur 75 au NPD. En menant une campagne sur la question du voile, Stephen Harper a tenté de capter une partie de l'électorat québécois sensible à ces questions. Les calculs du Journal de Montréal lui attribuent 10 sièges cette année. Mais au-delà, une des clés sera aussi de savoir si le Bloc Québécois (BQ), l'alliance indépendantiste au niveau fédéral, progressera notablement ou non. Si oui, elle devrait le faire au détriment du NPD et des Libéraux, ce qui serait une bonne nouvelle pour le PCC. Le temps est cependant loin où les indépendantistes pouvaient prendre 50 sièges dans la province. Pénalisés par les querelles internes, ils n'en ont gagné que 4 en 2011 et on ne leur promet que 6 cette fois. Mais comme le PCC n'aura certainement pas la majorité absolue, le BQ affirme aux électeurs être en mesure, quoi qu'il arrive, de défendre les intérêts des Francophones à Ottawa. La dernière clé, et non des moindres, sera de savoir si les électeurs de la province restent fidèles au NPD ou joue la carte du vote utile en faveur des Libéraux. Une partie de la majorité future aux Communes se jouent donc dans la « belle province. »

Vers une coalition anti-Harper ?

Il est cependant fort probable que ni Justin Trudeau, ni Stephen Harper ne réussissent à obtenir la majorité absolue. On se dirigerait alors vers un gouvernement de coalition ou un gouvernement minoritaire. Dans ce cas, le premier ministre sortant risque de se retrouver très isolé et ne sera sans doute pas en mesure de tenir un gouvernement minoritaire comme en 2006. Libéraux et NPD ont beaucoup attaqué le chef du gouvernement sortant et, malgré la rhétorique de campagne, semblent proches, notamment sur le plan économique.

Si les Conservateurs sont la première force politique du pays, NPD et Libéraux pourraient donc monter une coalition, fait inédit au Canada où il y a eu 13 gouvernement minoritaires, mais aucune coalition gouvernementale. En revanche, si les Libéraux sont devant en sièges, on en restera sans doute à un gouvernement minoritaire classique. Restera à savoir si Justin Trudeau fera, à cette occasion, preuve des mêmes qualités d'hommes d'Etat que son père, qui avait géré avec fermeté la première crise souverainiste québécoise à la fin des années 1970.

Commentaires 2
à écrit le 16/10/2015 à 12:24
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Du grand Godin qui parle de ce qu'il ne connaît pas :-) 1) Le Canada a toujours eu une économie qui reposait sur les ressources naturelles (et non les "commodities" que l'on appelle d'ailleurs maintenant "marchandises" en finance et en comptabilité)....

le 16/10/2015 à 22:05
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Pour un article destiné au public français, je trouve au contraire le texte très bon. Les européens se foutent pas mal de connaitre le nom exact de la cérémonie de citoyenneté . Les enjeux sont bien posés et le sujet est approfondi, notamment sur la...

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