Le programme de Trump fait trembler l’Amérique

Purge politique, poursuite des journalistes, détention des sans-papiers... L’ex-président américain promet des ruptures radicales.
« Trump ou la mort » affichent des manifestants lors d’un rassemblement devant la Trump Tower, à New York le 17 septembre.
« Trump ou la mort » affichent des manifestants lors d’un rassemblement devant la Trump Tower, à New York le 17 septembre. (Crédits : Mark PETERSON/REDUX-REA)

« Promettez-vous aux Américains que vous n'abuserez jamais de votre pouvoir ? » La question a fait rire Donald Trump. Sur le plateau de la chaîne conservatrice Fox News, l'ancien président se gausse en répondant qu'il ne sera pas un dictateur s'il entame un second mandat... « À part le premier jour. » Applaudissements nourris du public.

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La scène remonte au 5 décembre. Hasard du calendrier, c'est aussi la date à laquelle est publié Oath and Honor (« serment et honneur », non traduit). Signé par Liz Cheney, l'ex-numéro trois du Parti républicain au Congrès, ce livre est un témoignage à charge contre le milliardaire gouailleur, et ses bonnes feuilles font le tour des médias américains. L'ancienne élue du Wyoming, qui avait participé aux auditions de la commission d'enquête sur l'invasion du Capitole par les trumpistes radicaux, y tire la sonnette d'alarme : « L'Amérique avance tel un somnambule vers la dictature. »

Liz Cheney n'est pas la seule conservatrice à professer qu'un second mandat de Donald Trump bouleverserait l'État de droit. Plusieurs membres de l'ancien cabinet présidentiel clament haut et fort qu'une réélection de leur ex-patron endommagerait durablement les institutions. « Il semblerait que Trump soit en train d'aligner ses partisans sur un mouvement mondial d'extrême droite visant à détruire la démocratie », observe de son côté Heather Cox Richardson, historienne et professeure au Boston College. Comme elle, de nombreux commentateurs politiques pensent qu'un retour de l'ancien locataire de Washington à la tête du pays représenterait une menace existentielle pour l'Amérique. Car contrairement à 2016, où son élection avait pu constituer une surprise, il a désormais l'expérience du pouvoir. Vendredi 5 janvier, à la veille du troisième anniversaire de la tentative de putsch au Capitole, le président Biden a rejoint la chorale des cassandres : « La démocratie [sera] en jeu » lors du scrutin de novembre, a-t-il insisté lors d'une allocution de campagne en Pennsylvanie.

À un peu moins d'un an de la présidentielle, Donald Trump est donné favori des primaires du Grand Old Party (GOP). Dans la plupart des sondages, il y frôle les 60 % d'intentions de vote. Pour devenir le candidat républicain en novembre 2024, il lui faut d'abord gagner un marathon qui s'étendra sur plusieurs mois. Le coup d'envoi sera donné le 15 janvier dans l'Iowa, où les résultats donneront un avant-goût du reste des primaires et permettront d'écrémer la liste des candidats. Dans cet État du Midwest, les mots tranchants du magnat new-yorkais, décidé à secouer l'Amérique une seconde fois, séduisent plus que ceux des autres républicains.

« Rhétorique nazie »

Si le programme officiel de l'ancien président n'a pas encore été dévoilé, on en connaît les grandes lignes. Le trumpisme se caractérisait déjà par un rejet de l'immigration, et plusieurs proches du candidat ont affirmé, dans une série d'entretiens accordés au New York Times, qu'ils travaillent à en redessiner les règles de manière draconienne. Architecte de la politique aux frontières lors du précédent mandat de Donald Trump, Stephen Miller explique ainsi qu'un des objectifs est de « déployer un vaste arsenal de pouvoirs fédéraux pour mettre en œuvre la répression migratoire la plus spectaculaire ». Une mesure concrète de ce plan étant de « rassembler les personnes sans papiers et les détenir dans des camps tentaculaires », avant de les expulser du territoire.

Les Américains étaient déjà habitués à sa verve provocatrice, mais le discours délivré par l'ancien président à Durham (New Hampshire) le 16 décembre piochait dans un autre registre : « Ils empoisonnent le sang de notre pays », a-t-il proclamé en référence aux primo-arrivants « d'Asie, d'Afrique, du monde entier » qui migrent aux États-Unis. « Contrairement à certaines figures nationalistes européennes comme Giorgia Meloni, plus modérée dans ses mots, Trump normalise une rhétorique nazie », prévient Jason Stanley, l'auteur de How Fascism Works, une analyse sémiologique des extrémismes publiée en 2018. Pour ce professeur de philosophie de l'université Yale, « brandir l'idée que les immigrants souillent la prétendue pureté des États-Unis et y introduisent le crime en est la preuve ». En 2016, Donald Trump comparait déjà les Mexicains à des violeurs menaçant sexuellement les Américaines. « Il est aujourd'hui sur une pente encore plus fasciste qu'il y a sept ans », appuie l'universitaire.

L'autre axe fort sur lequel table le républicain le plus populaire est la « punition », soit l'idée de venger ses fidèles à qui l'on aurait « volé » le dernier scrutin présidentiel. Il s'agit de « nettoyer le marécage », de débarrasser l'humide Washington non pas de ses essaims de moustiques mais des hordes de costumes-cravates qui constituent la bureaucratie américaine. Donald Trump a prévenu qu'il leur ferait la guerre en cas de réélection. Il menace d'ailleurs régulièrement Joe Biden et les représentants du camp démocrate, assurant qu'il utilisera contre eux le département de la Justice à des fins inquisitrices.

La recette du démantèlement de l'establishment politique, cet « État profond » que Donald Trump honnit, est consignée dans le Projet 2025, une bible conservatrice rédigée par la Heritage Foundation. Le think tank entretient des liens étroits avec le milliardaire et a influencé sa première présidence. Le Projet 2025 propose de réduire drastiquement le budget du département de la Justice, de supprimer ceux de l'Éducation et du Commerce, et de démanteler le FBI. Il préconise aussi de booster les pouvoirs de l'exécutif, donnant la part du lion au chef de l'État. « S'il revient au pouvoir, Donald Trump fera tout pour le conserver, selon un modèle personnaliste semblable à celui de Poutine où tout est orienté vers le leader », soutient le professeur Stanley.

Un ancien cadre trumpiste, Kash Patel, a poussé le bouchon encore plus loin : « Nous irons chercher les conspirateurs non seulement au sein du gouvernement mais aussi dans les médias », a-t-il promis, invité au micro du podcast réactionnaire de Steve Bannon, l'éminence grise déchue de Donald Trump. L'annonce n'a pas été officiellement corroborée par l'équipe de campagne du tycoon, mais celui-ci laisse ce parfum d'autoritarisme embaumer les sphères politico-médiatiques. De même qu'il laisse flotter les spéculations sur le champ libre que pourrait laisser une seconde administration à divers loyalistes qui, à l'instar de Kash Patel, œuvreraient en faveur d'une purge.

Trump veut « nettoyer le marécage », débarrasser l'humide Washington des hordes de costumes-cravates

Le trombinoscope pour porter un tel programme ne ressemblerait pas au premier : « D'abord parce que Trump est incapable de garder auprès de lui ses meilleurs conseillers », rappelle le sondeur d'opinion John Zogby. Ensuite parce qu'il existe cette fois-ci « la crainte que les républicains modérés ne puissent plus être un frein ralentissant ses politiques mortifères et sa volonté d'endommager les institutions », complète Scott Hibbard, directeur du département de science politique de l'université DePaul.

La droitisation du camp conservateur est-elle parachevée ? Selon Soufian Alsabbagh, le parti a été siphonné de ses éléments les plus raisonnables, et Trump l'a « complètement radicalisé ». L'auteur de La Nouvelle Droite américaine, un ouvrage consacré justement à la radicalisation du GOP, estime que celui-ci s'est déporté à tribord plus que jamais auparavant. Un exemple : la candidature de Nikki Haley, décrite comme la modérée du pool d'aspirants à la primaire. « Or Haley est issue du Tea Party, une branche des républicains qui correspondait à la droite du parti, raconte Soufian Alsabbagh. Aujourd'hui, le Tea Party en représente la gauche. » Selon Libby Krieger, électrice républicaine pennsylvanienne, « le GOP a changé et les incarnations old school comme Nikki Haley séduisent moins que Donald Trump ». Par ailleurs consultante pour le cabinet de conseil conservateur Communications Counsel, elle précise : « Les nouvelles aspirations des leaders républicains ne sont plus seulement économiques, mais concernent aussi les frontières. »

« Élu de Dieu »

Donald Trump se pose déjà en vainqueur, sûr du soutien des « éléphants » (l'animal est le symbole des républicains). Et si les autres candidats du parti ont promis d'épauler celui d'entre eux qui emporterait l'adhésion populaire lors des primaires, Trump, lui, fait cavalier seul. Il pose des lapins à ses adversaires, préférant les haltes informelles dans des restaurants de burgers à la confrontation directe des débats télévisés.

Pour convertir toutes les droites à son programme, le septuagénaire tisse des réseaux stratégiques. Par exemple avec les nationalistes chrétiens, qui le considèrent comme « un élu de Dieu pour défendre leur cause », dixit Scott Hibbard. « Qu'importe que Trump ait divorcé deux fois, qu'il possède divers casinos et strip-clubs, ajoute le spécialiste du nationalisme religieux, les évangéliques voient en lui un homme fort qui fait face à des élites cor- rompues. » L'ascenseur est renvoyé lorsque, durant son mandat, l'ex-président nomme à la Cour suprême les juges qui détricoteront le droit à l'avortement. « Depuis, Donald Trump et les évangéliques entretiennent une relation d'utilité transactionnelle, leurs sensibilités se rejoignant aujourd'hui sur le plan nationaliste davantage que sur le religieux. »

« L'opportunisme de Trump se démarque désormais sur les questions sociétales », poursuit le professeur Stanley ; depuis le début de la campagne, le candidat est moins incisif quand il s'agit de pourfendre les progressistes. « Il assure qu'il protégera les personnes LGBTQ... jusqu'à ce qu'il les attaque pour contenter ses soutiens conservateurs », décrit encore l'universitaire de Yale. Donald Trump ne fait pas non plus grand cas du bouillant sujet de l'avortement, « car ce thème n'unit pas autant la droite que l'immigration, l'enjeu culturel qui résume tous les maux de l'Amérique selon lui », souligne Scott Hibbard.

Selon Jason Stanley, « Donald Trump a toujours été démagogue à propos du lien entre criminalité et Afro-Américains ». Et pourtant... le tribun flagorneur inspire cet électorat mieux qu'aucun autre candidat du GOP dans l'histoire récente : un sondage du Siena College et du New York Times rapporte que 22 % des électeurs noirs de six swing states (États pivots) choisiraient Donald Trump lors du prochain scrutin. C'est moins que les 71 % qui soutiennent Joe Biden, mais c'est presque le double du record républicain depuis un demi-siècle (12 %).

Ingérences électorales

Le 19 décembre, les opposants de Donald Trump ont poussé un bref soupir. La Cour suprême du Colorado l'a jugé inéligible au scrutin présidentiel dans cet État, en raison de ses actions lors de l'assaut du Capitole. Quelques jours plus tard, dans le Maine, la ministre chargée de l'organisation des élections prenait une décision similaire. Au Michigan, où Trump est sous le coup des mêmes accusations, les électeurs républicains pourront toutefois glisser son nom dans l'urne à la primaire, malgré des enregistrements téléphoniques accablants. L'équipe de campagne de Trump entend contester les décisions du Colorado et du Maine. Vendredi, la Cour suprême des États-Unis a annoncé qu'elle examinera le 8 février la question de l'inéligibilité de Trump dans le Colorado. « La décision des juges aura potentiellement un effet significatif sur l'élection et pourrait aliéner une partie du pays, celle qui trouvera la réponse de la Cour abusive », développe le constitutionnaliste Richard Pildes, professeur à l'université de New York. Nikki Haley et Ron DeSantis, les deux principaux républicains en lice après Trump, ont tous deux annoncé qu'ils gracieraient ce dernier s'ils étaient élus.

Plusieurs autres procès colleront aux semelles de l'ancien président en 2024. Le premier, qui a commencé l'année dernière à New York, est une affaire de fraude civile - en lien avec le versement de plusieurs milliers de dollars à l'ex-actrice pornographique Stormy Daniels pour taire une relation sexuelle - dans laquelle Donald Trump aurait gonflé la valeur nette de ses biens. Une autre action en justice l'opposera à la chroniqueuse E. Jean Carroll, qui l'avait accusé de viol et le poursuit pour diffamation. L'audience s'ouvrira le lendemain du caucus en Iowa. L'ancien président est également doublement poursuivi pour ses ingérences électorales en 2020, au niveau fédéral dans un procès qui s'ouvrira la veille du Super Tuesday, l'une des plus grosses échéances des primaires, et en Géorgie pour ses agissements dans cet État. Enfin, un autre procès fédéral l'attend en Floride, où il est soupçonné d'avoir emporté des documents confidentiels après avoir quitté la Maison-Blanche.

Cette année ne sera donc pas simplement électorale pour Donald Trump, qui n'aura d'autre choix que d'assumer de front sa campagne et ses procès. Les verdicts de ces derniers pourraient avoir un impact non négligeable sur son destin politique, pour le pire mais aussi le meilleur : chaque fois qu'il a eu maille à partir avec la justice, le héros populiste a su galvaniser ses zélotes en criant à la chasse aux sorcières. Ses auditions au tribunal risquent ainsi d'être un combustible médiatique bienvenu. S'il n'est pas encore avéré que l'Amérique est somnambule, Donald Trump, lui, est bel et bien pyromane.

Commentaires 13
à écrit le 07/01/2024 à 16:09
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Ce qui est décontenançant avec Trump est qu'il peut dire un truc puis le contraire (un peu) plus tard, sans que ça ne soit grave, c'est son idée, son opinion du moment, à quoi bon avoir une 'ligne directrice' ?

le 07/01/2024 à 16:44
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Cela ne vous rappelle pas quelqu'un en France qui nous enfume en permanence? Mais bien sur avec une ligne directrice, sic ! ;-)

à écrit le 07/01/2024 à 15:16
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Et dire que des américain(es) soutiennent cet énergumène prêt à tout faire péter, au sens propre bien sûr !

à écrit le 07/01/2024 à 14:18
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fait trembler une toute petite partie de l'Amerique, ceux de la "liste" en fait...

à écrit le 07/01/2024 à 14:10
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Le Droit existe. Dans les démocraties, la Justice existe. Si le programme de tel ou tel décoiffe et qu'un président soit élu sur celui-ci, reste à voir la faisabilité réelle. Nous sommes habitués dans notre pays au fait que les programmes pré-élector...

à écrit le 07/01/2024 à 10:25
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C'est surtout la nomenklatura européenne qui a peur de devenir orphelin et dans la mouise par leur collaboration ! ;-)

à écrit le 07/01/2024 à 10:04
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Avant qu'il soit élu il y a quelques années la propagande contre lui était identique, on voulait faire peur et finalement, une fois élu président, toutes les prévisions se montrées infondées. Au contraire, avec lui, c'est la seule période où les Etat...

à écrit le 07/01/2024 à 9:24
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Un pays qui a éliminé Capone pour fraude fiscale devrait faire de même pour Trump qui n'a pas payé d'impôts pendant des années !

le 07/01/2024 à 9:45
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"Un pays qui a éliminé Capone pour fraude fiscale devrait faire de même pour Trump qui n'a pas payé d'impôts pendant des années ! " Je propose même qu'on e fasse pour tous ceux qui s'évadent fiscalement dans le monde ! ^^

à écrit le 07/01/2024 à 9:02
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Le problème est qu'en UE nous n'avons rien qui s'apparente même de loin à un TRUMP. Aucun espoir, que de la dictature financière médiocre, des dirigeants politiques et économiques profondément nuls.

à écrit le 07/01/2024 à 8:13
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Les pays dits démocratiques vont de mal en pis .La France est un excellent exemple gouverner sans majorité est possible par un petit article le 49.3. Le Président qui ne veut pas voir que sa politique d' autocrate est le premier pas qui ouvre en gra...

le 07/01/2024 à 10:45
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@On y arrive - Vous préférez sans doute les errements de la IVeme République. La Veme République permet grace au 49.3 d'avancer et contrairement à ce que vous pensez ce n'est pas la dictature que de prendre des décisions même si elles sont parfois ...

le 07/01/2024 à 14:43
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La démocratie, c'est là où des contre pouvoirs existent. Le rêve de Trump, c'est de rallier l'internationale des dictatures: Poutine, Kim, L'Iran, etc... Son pays est suffisant pour vivre en autarcie. Malheureusement pour eux, l'arrivée au pouvoir (m...

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